Opinions et Sentences mêlées

Nonfiction
Cover of the book Opinions et Sentences mêlées by Friedrich Nietzsche, Société du Mercure de France
View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart
Author: Friedrich Nietzsche ISBN: 1230003191040
Publisher: Société du Mercure de France Publication: April 18, 2019
Imprint: Language: French
Author: Friedrich Nietzsche
ISBN: 1230003191040
Publisher: Société du Mercure de France
Publication: April 18, 2019
Imprint:
Language: French

À ceux que la philosophie a déçus. — Si jusqu’à présent vous avez cru à la valeur supérieure de la vie et si vous vous voyez déçus maintenant, faut-il donc vous débarrasser de la vie au plus vil prix ?

Être gâté. — On peut aussi être gâté pour ce qui concerne la clarté des idées. Combien vous dégoûtent alors les rapports avec ces gens obscurs et nébuleux, qui aspirent et qui pressentent ! Combien paraît ridicule, sans être réjouissant, leur éternel papillonnement, leur chasse perpétuelle, sans qu’ils parviennent véritablement à voler et à attraper quelque chose !

Les prétendants de la réalité. — Celui qui finit par s’apercevoir combien et combien longtemps il a été dupé, embrasse, par dépit, la réalité même la plus laide : en sorte que, si l’on considère le monde dans son ensemble, c’est à la réalité que sont échus au cours des siècles les meilleurs prétendants, — car ce sont les meilleurs qui ont été dupés le mieux et le plus longtemps.

Progrès de la pensée libre. — Il n’y a pas de meilleur moyen pour rendre intelligible la différence qu’il y a entre la libre pensée de jadis et la pensée libre d’aujourd’hui que de se souvenir d’un axiome célèbre. Pour l’imaginer et le formuler il fallut toute l’intrépidité du siècle dernier, et pourtant, mesuré selon notre expérience d’aujourd’hui, il devient une naïveté involontaire, — je veux parler de l’axiome de Voltaire : « Croyez-moi, mon ami, l’erreur aussi a son mérite. »

Un péché originel des philosophes. — Les philosophes se sont emparés de tous temps des axiomes de ceux qui étudient les hommes (moralistes) ; il les ont corrompus, en les prenant dans un sens absolu et en voulant démontrer la nécessité de ce que ceux-ci n’avaient considéré que comme indication approximative, ou même seulement comme la vérité particulière à une ville ou à un pays pendant une dizaine d’années — ; mais par là les philosophes croyaient s’élever au-dessus des moralistes. C’est ainsi que l’on trouvera, comme bases des célèbres doctrines de Schopenhauer concernant la primauté de la volonté sur l’intellect, l’invariabilité du caractère, la négativité de la joie — qui toutes, telles qu’il les entend, sont des erreurs — des principes de sagesse populaire érigés en vérités par des moralistes. Le mot « volonté » que Schopenhauer transforma pour en faire une désignation commune à plusieurs conditions humaines, l’introduisant dans le langage là où il y avait une lacune, à son grand profit personnel, pour autant qu’il était moraliste — dès lors il put parler de la « volonté » le mot de la même façon dont Pascal en avait parlé —, le mot « volonté » chez Schopenhauer dégénéra entre les mains de son inventeur, à cause de sa rage philosophique des généralisations, pour le plus grand malheur de la science : car c’est faire de cette volonté une métaphore poétique que de prétendre attribuer à toutes les choses de la nature une volonté ; enfin, on en a abusé par une fausse objectivation, en vue de l’utiliser à toutes sortes d’excès mystiques — et tous les philosophes à la mode répètent et semblent savoir exactement que toutes choses n’ont qu’une seule volonté et qu’elles sont même cette seule volonté (ce qui voudrait dire, d’après la description que l’on donne de cette volonté une et universelle, que l’on veut absolument avoir pour Dieu le stupide démon).

Contre les imaginatifs. — L’imaginatif nie la vérité devant lui-même, le menteur seulement devant les autres.

Inimitié contre la lumière. — Si l’on fait comprendre à quelqu’un qu’au sens strict il ne peut jamais parler de vérité, mais seulement de probabilité et des degrés de la probabilité, on découvre généralement, à la joie non dissimulée de celui que l’on instruit ainsi, combien les hommes préfèrent l’incertitude de l’horizon intellectuel, et combien, au fond de leur âme, ils haïssent la vérité à cause de sa précision. — Cela tient-il à ce qu’ils craignent tous secrètement que l’on fasse une fois tomber sur eux-mêmes, avec trop d’intensité, la lumière de la vérité ? Ils veulent signifier quelque chose, par conséquent on ne doit pas savoir exactement ce qu’ils sont ? Ou bien n’est-ce que la crainte d’un jour trop clair, auquel leur âme de chauve-souris crépusculaire et facile à éblouir n’est pas habituée, en sorte qu’il leur faut haïr ce jour ?

Scepticisme chrétien. — On présente maintenarnt volontiers Pilate, avec sa question « qu’est-ce que la vérité ? » comme avocat du Christ, et cela pour mettre en suspicion tout ce qui est connu et connaissable, le faire passer pour apparence, afin de pouvoir dresser sur l’horrible fond de l’impossibilité-de-savoir : la Croix !

View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart

À ceux que la philosophie a déçus. — Si jusqu’à présent vous avez cru à la valeur supérieure de la vie et si vous vous voyez déçus maintenant, faut-il donc vous débarrasser de la vie au plus vil prix ?

Être gâté. — On peut aussi être gâté pour ce qui concerne la clarté des idées. Combien vous dégoûtent alors les rapports avec ces gens obscurs et nébuleux, qui aspirent et qui pressentent ! Combien paraît ridicule, sans être réjouissant, leur éternel papillonnement, leur chasse perpétuelle, sans qu’ils parviennent véritablement à voler et à attraper quelque chose !

Les prétendants de la réalité. — Celui qui finit par s’apercevoir combien et combien longtemps il a été dupé, embrasse, par dépit, la réalité même la plus laide : en sorte que, si l’on considère le monde dans son ensemble, c’est à la réalité que sont échus au cours des siècles les meilleurs prétendants, — car ce sont les meilleurs qui ont été dupés le mieux et le plus longtemps.

Progrès de la pensée libre. — Il n’y a pas de meilleur moyen pour rendre intelligible la différence qu’il y a entre la libre pensée de jadis et la pensée libre d’aujourd’hui que de se souvenir d’un axiome célèbre. Pour l’imaginer et le formuler il fallut toute l’intrépidité du siècle dernier, et pourtant, mesuré selon notre expérience d’aujourd’hui, il devient une naïveté involontaire, — je veux parler de l’axiome de Voltaire : « Croyez-moi, mon ami, l’erreur aussi a son mérite. »

Un péché originel des philosophes. — Les philosophes se sont emparés de tous temps des axiomes de ceux qui étudient les hommes (moralistes) ; il les ont corrompus, en les prenant dans un sens absolu et en voulant démontrer la nécessité de ce que ceux-ci n’avaient considéré que comme indication approximative, ou même seulement comme la vérité particulière à une ville ou à un pays pendant une dizaine d’années — ; mais par là les philosophes croyaient s’élever au-dessus des moralistes. C’est ainsi que l’on trouvera, comme bases des célèbres doctrines de Schopenhauer concernant la primauté de la volonté sur l’intellect, l’invariabilité du caractère, la négativité de la joie — qui toutes, telles qu’il les entend, sont des erreurs — des principes de sagesse populaire érigés en vérités par des moralistes. Le mot « volonté » que Schopenhauer transforma pour en faire une désignation commune à plusieurs conditions humaines, l’introduisant dans le langage là où il y avait une lacune, à son grand profit personnel, pour autant qu’il était moraliste — dès lors il put parler de la « volonté » le mot de la même façon dont Pascal en avait parlé —, le mot « volonté » chez Schopenhauer dégénéra entre les mains de son inventeur, à cause de sa rage philosophique des généralisations, pour le plus grand malheur de la science : car c’est faire de cette volonté une métaphore poétique que de prétendre attribuer à toutes les choses de la nature une volonté ; enfin, on en a abusé par une fausse objectivation, en vue de l’utiliser à toutes sortes d’excès mystiques — et tous les philosophes à la mode répètent et semblent savoir exactement que toutes choses n’ont qu’une seule volonté et qu’elles sont même cette seule volonté (ce qui voudrait dire, d’après la description que l’on donne de cette volonté une et universelle, que l’on veut absolument avoir pour Dieu le stupide démon).

Contre les imaginatifs. — L’imaginatif nie la vérité devant lui-même, le menteur seulement devant les autres.

Inimitié contre la lumière. — Si l’on fait comprendre à quelqu’un qu’au sens strict il ne peut jamais parler de vérité, mais seulement de probabilité et des degrés de la probabilité, on découvre généralement, à la joie non dissimulée de celui que l’on instruit ainsi, combien les hommes préfèrent l’incertitude de l’horizon intellectuel, et combien, au fond de leur âme, ils haïssent la vérité à cause de sa précision. — Cela tient-il à ce qu’ils craignent tous secrètement que l’on fasse une fois tomber sur eux-mêmes, avec trop d’intensité, la lumière de la vérité ? Ils veulent signifier quelque chose, par conséquent on ne doit pas savoir exactement ce qu’ils sont ? Ou bien n’est-ce que la crainte d’un jour trop clair, auquel leur âme de chauve-souris crépusculaire et facile à éblouir n’est pas habituée, en sorte qu’il leur faut haïr ce jour ?

Scepticisme chrétien. — On présente maintenarnt volontiers Pilate, avec sa question « qu’est-ce que la vérité ? » comme avocat du Christ, et cela pour mettre en suspicion tout ce qui est connu et connaissable, le faire passer pour apparence, afin de pouvoir dresser sur l’horrible fond de l’impossibilité-de-savoir : la Croix !

More books from Nonfiction

Cover of the book American Saint by Friedrich Nietzsche
Cover of the book Légendes et archives de la Bastille by Friedrich Nietzsche
Cover of the book Navigating the Nonprofit Rapids by Friedrich Nietzsche
Cover of the book Off the Street: Redemption by Friedrich Nietzsche
Cover of the book Saving Creation by Friedrich Nietzsche
Cover of the book Can America Survive? by Friedrich Nietzsche
Cover of the book Americans In Glasshouses by Friedrich Nietzsche
Cover of the book Three Lectures on the Mystery Dramas: The Portal of Initiation and the Soul's Probation by Friedrich Nietzsche
Cover of the book R and Data Mining by Friedrich Nietzsche
Cover of the book Acceptance and Mindfulness Treatments for Children and Adolescents by Friedrich Nietzsche
Cover of the book International Sanctions by Friedrich Nietzsche
Cover of the book African Political Economy: Contemporary Issues in Development by Friedrich Nietzsche
Cover of the book Materials and Devices for Bone Disorders by Friedrich Nietzsche
Cover of the book A Believer But…Do Believers Really Believe? by Friedrich Nietzsche
Cover of the book La classe operaia italiana. Con uno scritto sulla lezione della FIAT e un saggio di Giulio Sapelli by Friedrich Nietzsche
We use our own "cookies" and third party cookies to improve services and to see statistical information. By using this website, you agree to our Privacy Policy