Marie Calumet

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Marie Calumet by RODOLPHE GIRARD, GILBERT TEROL
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Author: RODOLPHE GIRARD ISBN: 1230000212886
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 25, 2014
Imprint: Language: French
Author: RODOLPHE GIRARD
ISBN: 1230000212886
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 25, 2014
Imprint:
Language: French

Ce soir-là, monsieur le curé de Saint-Ildefonse avait gardé à souper son voisin, monsieur l’abbé Lefranc, pasteur omnipotent de l’opulente paroisse de Saint-Apollinaire.

Il n’était pas riche, le curé Flavel, mais, dame ! quand on offre à un ami de casser une croûte en commun, on a beau être de la maison du bon Dieu et ne pas ripailler comme dans une noce de Sardanapale, il ne faut pas pour cela s’emplir la panse de cure-dents, entre le bénédicité et les grâces.

Aussi, le brave monsieur Flavel, en homme bien élevé et accueillant, le cœur sur la main, avait fait des frais. Pas autant, cependant, qu’il en eût faits pour le député du comté, et encore moins, pour l’évêque du diocèse.

Sans faire un dieu de son ventre, le desservant de Saint-Ildefonse était gourmand comme une lèchefrite ; et, il n’était jamais plus coulant avec ses paroissiens qu’au sortir de la salle à manger. Les narines dilatées par le fumet chaud et pénétrant qui s’échappait de la cuisine et semblait s’imprégner à tous les meubles de la maison, le curé Lefranc avait accepté avec reconnaissance, en se faisant prier un peu, pour la forme.

Une demi-heure plus tard, ils passaient dans la salle à manger. Cette salle ressemblait à toutes les pièces du même genre : table rectangulaire en plein milieu ; buffet dans un coin ; chaises avec fonds en paille tressée barbouillés d’une peinture jaune ; plusieurs aulnes de catalogne, tapis faits de chiffons tissés au métier. Sur les murs, tapissés de papier peint à quinze sous, une mauvaise lithographie coloriée : Joseph vendu par ses frères ; une autre image, mouchetée de chiures de mouches et représentant Jésus au milieu des docteurs. Dans un angle, quelques portraits de famille, et, à la place d’honneur, au centre du mur principal, une grande croix noire avec un Christ en plâtre, les mains et les pieds en sang.

Le menu comprenait de la soupe aux choux, reste du midi, un filet de bœuf à la sauce, de la poitrine de veau aux petits pois, une gibelotte, du beurre, des concombres dans le vinaigre, des radis, du café au lait, sans compter le dessert. Avant de commencer à manger, le curé Flavel et son ami, se tournant du côté du grand crucifix, firent le signe de la croix, et dirent : « Benedicite, Dominus, nos et ea quae sumus sumpturi benedicat dextera Christi. »

Le curé de Saint-Ildefonse tâtait un peu de tout. Son ami, lui, une bonne fourchette, s’empiffrait. Et cependant, ce n’était pas que la cuisine fût digne d’un cordon bleu. Oh ! non, par exemple. La soupe, du vrai mortier qui devait tout coller les boyaux ; le filet de bœuf, dur comme des semelles de bottes à force d’être cuit ; la poitrine de veau, saignante comme si la pauvre bête venait de rendre le dernier soupir sous le couteau du boucher ; la gibelotte, salée comme une vague marine.

Au dessert, le curé Flavel appela :

— Suzon.

Une adorable enfant de dix-sept ans, au plus, à la bouche rieuse et au front ombragé de mèches folles d’un blond cendré, avança la tête par la porte entrebâillée de la cuisine communiquant avec la salle à manger. Avec une pointe d’ironie, qui arqua délicieusement le coin des lèvres et creusa deux séduisantes fossettes dans les joues mises en feu par la haute température du poêle chauffé à blanc, elle demanda :

— Monsieur le curé désire ?

— Sers-nous les tartes aux fraises et le miel. Pas le miel roux, mais le bon miel blanc que j’ai récolté moi-même, la semaine dernière, en me faisant piquer à l’oreille gauche.

Et comme la jeune fille se retirait :

— Ah ! un instant, ajouta le curé Flavel. Je te l’ai déjà répété cent fois et plus. T’es pas sérieuse. Pourquoi ce ton solennel, et ne jamais m’adresser la parole qu’en commençant par ces mots : Monsieur le curé ? Quand j’suis en chaire, et que, me tournant vers les fidèles, je leur dis : Mes très chers frères, je ne fais pas tant de façons. Appelle-moé don mon oncle, tout court. Ce sera bien plus simple et… plus respectueux.

Ouvrant la porte à demi, la nièce du curé fit quelques pas en avant. Elle s’arrêta, près de la table, dans toute sa beauté ensoleillée par les derniers rayons du soleil couchant. Le curé de Saint-Apollinaire, silencieux, immobile, était rivé à son siège par une adoration extatique.

Comme une pensionnaire prise en défaut et sermonnée par la mère supérieure, la belle enfant regardait pudiquement la pointe de ses souliers emprisonnant une mignonne paire de petons. Profitant de ce moment où ni l’un ni l’autre ne le regardaient, le curé Lefranc admira à la course ce pied fin, ce bas de jambe fluet qui laissait soupçonner un mollet bien tourné et une jambe sans pareille s’enfuyant sous la jupe de calicot bleu pâle parsemé de pâquerettes blanches et pures comme l’âme de la petite. Les hanches arrondies, la taille délicate, les seins frémissants, soupçonnait-il, dans leur fermeté blanche et leur épanouissement naissant, firent courir un frisson sur la chair du curé Lefranc.

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Ce soir-là, monsieur le curé de Saint-Ildefonse avait gardé à souper son voisin, monsieur l’abbé Lefranc, pasteur omnipotent de l’opulente paroisse de Saint-Apollinaire.

Il n’était pas riche, le curé Flavel, mais, dame ! quand on offre à un ami de casser une croûte en commun, on a beau être de la maison du bon Dieu et ne pas ripailler comme dans une noce de Sardanapale, il ne faut pas pour cela s’emplir la panse de cure-dents, entre le bénédicité et les grâces.

Aussi, le brave monsieur Flavel, en homme bien élevé et accueillant, le cœur sur la main, avait fait des frais. Pas autant, cependant, qu’il en eût faits pour le député du comté, et encore moins, pour l’évêque du diocèse.

Sans faire un dieu de son ventre, le desservant de Saint-Ildefonse était gourmand comme une lèchefrite ; et, il n’était jamais plus coulant avec ses paroissiens qu’au sortir de la salle à manger. Les narines dilatées par le fumet chaud et pénétrant qui s’échappait de la cuisine et semblait s’imprégner à tous les meubles de la maison, le curé Lefranc avait accepté avec reconnaissance, en se faisant prier un peu, pour la forme.

Une demi-heure plus tard, ils passaient dans la salle à manger. Cette salle ressemblait à toutes les pièces du même genre : table rectangulaire en plein milieu ; buffet dans un coin ; chaises avec fonds en paille tressée barbouillés d’une peinture jaune ; plusieurs aulnes de catalogne, tapis faits de chiffons tissés au métier. Sur les murs, tapissés de papier peint à quinze sous, une mauvaise lithographie coloriée : Joseph vendu par ses frères ; une autre image, mouchetée de chiures de mouches et représentant Jésus au milieu des docteurs. Dans un angle, quelques portraits de famille, et, à la place d’honneur, au centre du mur principal, une grande croix noire avec un Christ en plâtre, les mains et les pieds en sang.

Le menu comprenait de la soupe aux choux, reste du midi, un filet de bœuf à la sauce, de la poitrine de veau aux petits pois, une gibelotte, du beurre, des concombres dans le vinaigre, des radis, du café au lait, sans compter le dessert. Avant de commencer à manger, le curé Flavel et son ami, se tournant du côté du grand crucifix, firent le signe de la croix, et dirent : « Benedicite, Dominus, nos et ea quae sumus sumpturi benedicat dextera Christi. »

Le curé de Saint-Ildefonse tâtait un peu de tout. Son ami, lui, une bonne fourchette, s’empiffrait. Et cependant, ce n’était pas que la cuisine fût digne d’un cordon bleu. Oh ! non, par exemple. La soupe, du vrai mortier qui devait tout coller les boyaux ; le filet de bœuf, dur comme des semelles de bottes à force d’être cuit ; la poitrine de veau, saignante comme si la pauvre bête venait de rendre le dernier soupir sous le couteau du boucher ; la gibelotte, salée comme une vague marine.

Au dessert, le curé Flavel appela :

— Suzon.

Une adorable enfant de dix-sept ans, au plus, à la bouche rieuse et au front ombragé de mèches folles d’un blond cendré, avança la tête par la porte entrebâillée de la cuisine communiquant avec la salle à manger. Avec une pointe d’ironie, qui arqua délicieusement le coin des lèvres et creusa deux séduisantes fossettes dans les joues mises en feu par la haute température du poêle chauffé à blanc, elle demanda :

— Monsieur le curé désire ?

— Sers-nous les tartes aux fraises et le miel. Pas le miel roux, mais le bon miel blanc que j’ai récolté moi-même, la semaine dernière, en me faisant piquer à l’oreille gauche.

Et comme la jeune fille se retirait :

— Ah ! un instant, ajouta le curé Flavel. Je te l’ai déjà répété cent fois et plus. T’es pas sérieuse. Pourquoi ce ton solennel, et ne jamais m’adresser la parole qu’en commençant par ces mots : Monsieur le curé ? Quand j’suis en chaire, et que, me tournant vers les fidèles, je leur dis : Mes très chers frères, je ne fais pas tant de façons. Appelle-moé don mon oncle, tout court. Ce sera bien plus simple et… plus respectueux.

Ouvrant la porte à demi, la nièce du curé fit quelques pas en avant. Elle s’arrêta, près de la table, dans toute sa beauté ensoleillée par les derniers rayons du soleil couchant. Le curé de Saint-Apollinaire, silencieux, immobile, était rivé à son siège par une adoration extatique.

Comme une pensionnaire prise en défaut et sermonnée par la mère supérieure, la belle enfant regardait pudiquement la pointe de ses souliers emprisonnant une mignonne paire de petons. Profitant de ce moment où ni l’un ni l’autre ne le regardaient, le curé Lefranc admira à la course ce pied fin, ce bas de jambe fluet qui laissait soupçonner un mollet bien tourné et une jambe sans pareille s’enfuyant sous la jupe de calicot bleu pâle parsemé de pâquerettes blanches et pures comme l’âme de la petite. Les hanches arrondies, la taille délicate, les seins frémissants, soupçonnait-il, dans leur fermeté blanche et leur épanouissement naissant, firent courir un frisson sur la chair du curé Lefranc.

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