Author: | Gabriel Ferry | ISBN: | 1230001322125 |
Publisher: | Gabriel Ferry | Publication: | August 26, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Gabriel Ferry |
ISBN: | 1230001322125 |
Publisher: | Gabriel Ferry |
Publication: | August 26, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
EXTRAIT:
Première partie
Souvenirs d’un émigrant
J’ai sous les yeux des lettres écrites des points les plus opposés de l’Amérique du Nord, par un jeune émigrant dont la révolution de février a brusquement déplacé l’existence. Dernier rejeton d’une famille historique, George de L… n’était pas un de ces esprits inquiets que l’influence d’une étoile errante pousse de contrée en contrée à la poursuite de quelque chimère. D’un caractère tranquille et rêveur, ennemi de tout changement, il était de ces hommes qui regardent la vie couler comme un fleuve, sans s’inquiéter d’où viennent ses eaux, sans se demander où elles iront se perdre. C’est à la nécessité qu’il avait obéi en quittant la France après avoir recueilli à la hâte les débris de son patrimoine. Il avait disparu sans que personne eût été informé de son départ ; quand, les premiers jours de trouble passés, la société, un peu remise de son émoi, avait pu compter ses morts et ses blessés, alors seulement les amis de George de L… avaient remarqué son absence. Bientôt cependant j’avais eu de ses nouvelles, et les premières lettres qu’il m’écrivit ne furent qu’une sorte de prélude à une assez volumineuse correspondance où il y avait à la fois l’abandon d’un journal de voyage et l’intérêt d’un roman. Ce qui me frappa surtout dans les longues confidences de George de L…, ce fut le contraste de deux pays, de deux civilisations, qui s’y reflétaient parfaitement. En quelques mois, le jeune émigrant avait fait l’essai de deux existences, celle du colon cultivateur dans les solitudes de la Virginie et celle du chercheur d’or sur les grèves de la Californie ; il avait pu les comparer, en apprécier mûrement les inconvéniens, ainsi que les avantages. On ne s’étonnera pas que je me sois plu à recueillir ces impressions, qui étaient pour moi autant de souvenirs : j’avais vu moi-même les lieux que George décrivait complaisamment, j’avais vécu au milieu des rudes populations qu’il visitait. Un autre motif me rendait cette correspondance intéressante : j’y trouvais de vifs aperçus sur les profondes révolutions qui menacent le Nouveau-Monde comme l’Europe. Je comparais le présent de l’Amérique à son avenir, et les villes mêmes qu’avait traversées le voyageur me facilitaient cette comparaison ; la Nouvelle-Orléans, New-York et San-Francisco, par exemple, me semblaient représenter les faces les plus curieuses de ce monde naissant, ses grandeurs passées et ses grandeurs nouvelles : d’une part, la richesse acquise péniblement et courageusement par la culture ; de l’autre, les faciles et merveilleuses conquêtes du chercheur d’or. C’était, en un mot, l’Amérique d’hier et l’Amérique d’aujourd’hui qui se trouvaient opposées l’une à l’autre dans leurs plus pittoresques aspects.
Par une singularité digne de remarque, ces deux points extrêmes du même continent, New-York et San-Francisco, semblent rapprochés par l’identité des conditions géographiques. La première de ces villes, à l’est et sur l’Atlantique, regarde l’Europe ; la seconde, à l’ouest, sur l’Océan Pacifique, est en face de l’Asie. Les fondateurs de New-York, comme ceux de San-Francisco, durent être frappés par l’aspect d’une immense baie, abritée contre les vents du large par une ceinture de collines verdoyantes, et au fond de laquelle venaient se déverser deux larges fleuves. Des deux côtés, d’ailleurs, on retrouve les mêmes avantages naturels. Le Rio-San-Joaquin et le Rio-Sacramento sont pour San-Francisco ce que l’Hudson et la Rivière de l’Est sont pour New-York il n’y a que les noms à changer. Aujourd’hui encore la race anglo-saxonne remplace à San-Francisco la race espagnole, comme elle remplaçait à New-York, il y a deux siècles à peu près, les colons hollandais. Ici toutefois il y a un premier contraste à noter.
EXTRAIT:
Première partie
Souvenirs d’un émigrant
J’ai sous les yeux des lettres écrites des points les plus opposés de l’Amérique du Nord, par un jeune émigrant dont la révolution de février a brusquement déplacé l’existence. Dernier rejeton d’une famille historique, George de L… n’était pas un de ces esprits inquiets que l’influence d’une étoile errante pousse de contrée en contrée à la poursuite de quelque chimère. D’un caractère tranquille et rêveur, ennemi de tout changement, il était de ces hommes qui regardent la vie couler comme un fleuve, sans s’inquiéter d’où viennent ses eaux, sans se demander où elles iront se perdre. C’est à la nécessité qu’il avait obéi en quittant la France après avoir recueilli à la hâte les débris de son patrimoine. Il avait disparu sans que personne eût été informé de son départ ; quand, les premiers jours de trouble passés, la société, un peu remise de son émoi, avait pu compter ses morts et ses blessés, alors seulement les amis de George de L… avaient remarqué son absence. Bientôt cependant j’avais eu de ses nouvelles, et les premières lettres qu’il m’écrivit ne furent qu’une sorte de prélude à une assez volumineuse correspondance où il y avait à la fois l’abandon d’un journal de voyage et l’intérêt d’un roman. Ce qui me frappa surtout dans les longues confidences de George de L…, ce fut le contraste de deux pays, de deux civilisations, qui s’y reflétaient parfaitement. En quelques mois, le jeune émigrant avait fait l’essai de deux existences, celle du colon cultivateur dans les solitudes de la Virginie et celle du chercheur d’or sur les grèves de la Californie ; il avait pu les comparer, en apprécier mûrement les inconvéniens, ainsi que les avantages. On ne s’étonnera pas que je me sois plu à recueillir ces impressions, qui étaient pour moi autant de souvenirs : j’avais vu moi-même les lieux que George décrivait complaisamment, j’avais vécu au milieu des rudes populations qu’il visitait. Un autre motif me rendait cette correspondance intéressante : j’y trouvais de vifs aperçus sur les profondes révolutions qui menacent le Nouveau-Monde comme l’Europe. Je comparais le présent de l’Amérique à son avenir, et les villes mêmes qu’avait traversées le voyageur me facilitaient cette comparaison ; la Nouvelle-Orléans, New-York et San-Francisco, par exemple, me semblaient représenter les faces les plus curieuses de ce monde naissant, ses grandeurs passées et ses grandeurs nouvelles : d’une part, la richesse acquise péniblement et courageusement par la culture ; de l’autre, les faciles et merveilleuses conquêtes du chercheur d’or. C’était, en un mot, l’Amérique d’hier et l’Amérique d’aujourd’hui qui se trouvaient opposées l’une à l’autre dans leurs plus pittoresques aspects.
Par une singularité digne de remarque, ces deux points extrêmes du même continent, New-York et San-Francisco, semblent rapprochés par l’identité des conditions géographiques. La première de ces villes, à l’est et sur l’Atlantique, regarde l’Europe ; la seconde, à l’ouest, sur l’Océan Pacifique, est en face de l’Asie. Les fondateurs de New-York, comme ceux de San-Francisco, durent être frappés par l’aspect d’une immense baie, abritée contre les vents du large par une ceinture de collines verdoyantes, et au fond de laquelle venaient se déverser deux larges fleuves. Des deux côtés, d’ailleurs, on retrouve les mêmes avantages naturels. Le Rio-San-Joaquin et le Rio-Sacramento sont pour San-Francisco ce que l’Hudson et la Rivière de l’Est sont pour New-York il n’y a que les noms à changer. Aujourd’hui encore la race anglo-saxonne remplace à San-Francisco la race espagnole, comme elle remplaçait à New-York, il y a deux siècles à peu près, les colons hollandais. Ici toutefois il y a un premier contraste à noter.