Le Pèlerin de Sainte Anne Tome I

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Le Pèlerin de Sainte Anne Tome I by LEON PAMPHILE LE MAY, GILBERT TEROL
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Author: LEON PAMPHILE LE MAY ISBN: 1230002771359
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 1, 2018
Imprint: Language: French
Author: LEON PAMPHILE LE MAY
ISBN: 1230002771359
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 1, 2018
Imprint:
Language: French

Le 24 mai 1837, Eusèbe Asselin arrivait de la ville, et nous apprenait que le bateau de Jean-Baptiste Daigle, que l’on appelait toujours Paton, chez nous, avait chaviré et que plusieurs personnes de la paroisse s’étaient noyées. Vous savez que l’on n’allait guère à Québec qu’en bateaux à voiles ou à rames, il y a quarante ans. On voyageait encore de la même façon primitive il y a vingt-cinq ans ; et le premier vapeur qui vint chez nous, le Rob Roy, — un nom formidable — eut une rude concurrence à soutenir contre les petits vaisseaux de Mathurin et de Paton. La routine, voyez-vous, est toute puissante, et nos habitants sont prévenus contre le progrès.

Le bateau de Paton avait laissé Lotbinière l’avant-veille, avec treize passagers, nombre nécessairement fatal. Dans la rade de Québec, mal gouverné, il vient se jeter sur le câble d’un navire. La mer baisse : le courant est rapide. Il penche, il penche. L’eau monte jusqu’aux pavois. Les passagers, poussent un grand cri. Comme une grappe serrée ils s’accrochent au flanc qui sort de l’eau. Mais en vain, le courant est plus fort. Le bateau ne retrouve plus son équilibre ; l’eau fait irruption dans la cale ; le mât frappe l’onde ; la grappe humaine disparaît dans les flots ; et la quille légère de la petite berge chavirée apparaît au-dessus du fleuve paisible.

Un seul des passagers, alerte et vif, a eu le temps de se cramponner à la chaîne du navire. Il donne l’éveil à l’équipage qui, n’a rien vu. Les matelots du grand bâtiment se précipitent dans la chaloupe et réussissent à sauver cinq des victimes de l’imprudence du capitaine Daigle. Or voici comment la Gazette de Québec, du vingt-trois de mai 1837, rapporte ce pénible événement.

« Un accident qui a plongé plusieurs familles dans l’affliction, a eu lieu hier dans ce port. Un bateau de Lotbinière appartenant à Jean-Baptiste Daigle, et contenant treize personnes, savoir neuf hommes, parmi lesquels se trouvaient MM. Moraud, notaire, et le docteur Grenier, de Lotbinière, et quatre femmes, venant à passer sur le câble d’un bâtiment à l’ancre dans le port, a chaviré, et sept des personnes qu’il contenait se sont noyées. Voici leurs noms, autant que M. Moraud, qui nous donne ces détails, les connaît ou peut se les rappeler : François Rivard, Chrysostome Roiraux dit Laliberté, Frédéric Laliberté, tous père de famille, la veuve Beaudet, mère de quatre enfants en bas âge, (Madame Beaudet était la mère de M. l’Abbé Louis Beaudet, du Séminaire de Québec, ) et trois filles dont les noms sont inconnus. Les survivants ont gagné à la nage la barque Thames, « Capitaine Allen, où ils ont été recueillis par sa chaloupe. Monsieur Moraud nous prie, tant en son nom qu’en celui de ses compagnons d’infortunes, de témoigner leur profonde reconnaissance au Capitaine Allen et à son équipage, dont les généreux efforts les ont sauvés.

« P. S. Une note qui nous est communiquée donne ainsi les noms des personnes qui se trouvaient à bord du bateau.

« Personnes noyées : François Rivard, Frédéric Laliberté, Joseph Laliberté et Théophile Lemay, Marie Blanchet, Rosalie Rousseau, Sophie Pérusse (la veuve Beaudet) et un autre dont le nom est inconnu.

« Sauvés : Le docteur Grenier, M. Moraud, notaire, Jean-Baptiste LeMay et un autre dont le nom est aussi inconnu. »

La nouvelle de ce pénible accident se répandit chez nous comme une trainée de poudre enflammée. Chacun voulut voir Eusèbe Asselin et l’interroger.

La femme de Jean Letellier allait devenir mère encore. Jeune, belle et bonne, elle était mariée depuis neuf ans. Elle avait un petit garçon de huit ans, frais et mignon comme ces petits anges que les grands artistes savent peindre. Trois autres enfants, morts au berceau l’attendaient au ciel. Ce n’était pas à qui lui annoncerait le naufrage du bateau de Paton, car on savait que son mari était au nombre des passagers et qu’il avait péri. Les femmes, les mères surtout ont un instinct merveilleux. Madame Jean Letellier s’aperçut bien qu’il y avait du mystère autour d’elle. Tous les visages étaient tristes, toutes les voix, muettes ou tremblantes, tous les yeux, mouillés ou rougis.

La mère Lozet fut choisie pour être la messagère de la douleur. La pauvre bonne femme tremblait comme si le froid l’eut glacée. Elle mit sa jupe neuve et son mantelet d’indienne à fond blanc, tout comme pour un jour de dimanche. Elle s’agenouilla devant son crucifix, pour demander la force et la prudence, puis s’en vint chez Letellier qui demeurait à une demi-lieue de chez elle.

— Excuse, dit-elle en entrant, excuse, Julie, si j’entre sans cogner.

— Pas d’offense ! mère Lozet, pas d’offense ! répond de sa voix douce la jeune femme Venez vous asseoir. Disant cela, elle apporte une chaise à son ancienne voisine : Il fait beau, reprend-elle, et nos hommes, je l’espère, se sont rendus heureusement à Québec.

La mère Lozet ne peut retenir une larme qui roule sur sa joue. Elle n’ose parler, car sa voix brisée par l’émotion la trahirait trop vite. Elle s’assied, tire sa tabatière d’argent et son mouchoir de poche, et, pour se donner de la contenance, elle hume une prise de tabac. La jeune femme continue : — Je n’ai pas été bien la nuit dernière. J’ai mal dormi. Des rêves fatigants m’écrasaient la poitrine sitôt que je fermais les yeux. Puis l’heure approche je crois. Si le vent d’en haut retardait la berge, je pense qu’à son retour Jean trouverait sa famille augmentée… Si je lui donnais une fille, comme il serait content !

En entendant cela la mère Lozet perd toute contenance et les sanglots l’étouffent.

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Le 24 mai 1837, Eusèbe Asselin arrivait de la ville, et nous apprenait que le bateau de Jean-Baptiste Daigle, que l’on appelait toujours Paton, chez nous, avait chaviré et que plusieurs personnes de la paroisse s’étaient noyées. Vous savez que l’on n’allait guère à Québec qu’en bateaux à voiles ou à rames, il y a quarante ans. On voyageait encore de la même façon primitive il y a vingt-cinq ans ; et le premier vapeur qui vint chez nous, le Rob Roy, — un nom formidable — eut une rude concurrence à soutenir contre les petits vaisseaux de Mathurin et de Paton. La routine, voyez-vous, est toute puissante, et nos habitants sont prévenus contre le progrès.

Le bateau de Paton avait laissé Lotbinière l’avant-veille, avec treize passagers, nombre nécessairement fatal. Dans la rade de Québec, mal gouverné, il vient se jeter sur le câble d’un navire. La mer baisse : le courant est rapide. Il penche, il penche. L’eau monte jusqu’aux pavois. Les passagers, poussent un grand cri. Comme une grappe serrée ils s’accrochent au flanc qui sort de l’eau. Mais en vain, le courant est plus fort. Le bateau ne retrouve plus son équilibre ; l’eau fait irruption dans la cale ; le mât frappe l’onde ; la grappe humaine disparaît dans les flots ; et la quille légère de la petite berge chavirée apparaît au-dessus du fleuve paisible.

Un seul des passagers, alerte et vif, a eu le temps de se cramponner à la chaîne du navire. Il donne l’éveil à l’équipage qui, n’a rien vu. Les matelots du grand bâtiment se précipitent dans la chaloupe et réussissent à sauver cinq des victimes de l’imprudence du capitaine Daigle. Or voici comment la Gazette de Québec, du vingt-trois de mai 1837, rapporte ce pénible événement.

« Un accident qui a plongé plusieurs familles dans l’affliction, a eu lieu hier dans ce port. Un bateau de Lotbinière appartenant à Jean-Baptiste Daigle, et contenant treize personnes, savoir neuf hommes, parmi lesquels se trouvaient MM. Moraud, notaire, et le docteur Grenier, de Lotbinière, et quatre femmes, venant à passer sur le câble d’un bâtiment à l’ancre dans le port, a chaviré, et sept des personnes qu’il contenait se sont noyées. Voici leurs noms, autant que M. Moraud, qui nous donne ces détails, les connaît ou peut se les rappeler : François Rivard, Chrysostome Roiraux dit Laliberté, Frédéric Laliberté, tous père de famille, la veuve Beaudet, mère de quatre enfants en bas âge, (Madame Beaudet était la mère de M. l’Abbé Louis Beaudet, du Séminaire de Québec, ) et trois filles dont les noms sont inconnus. Les survivants ont gagné à la nage la barque Thames, « Capitaine Allen, où ils ont été recueillis par sa chaloupe. Monsieur Moraud nous prie, tant en son nom qu’en celui de ses compagnons d’infortunes, de témoigner leur profonde reconnaissance au Capitaine Allen et à son équipage, dont les généreux efforts les ont sauvés.

« P. S. Une note qui nous est communiquée donne ainsi les noms des personnes qui se trouvaient à bord du bateau.

« Personnes noyées : François Rivard, Frédéric Laliberté, Joseph Laliberté et Théophile Lemay, Marie Blanchet, Rosalie Rousseau, Sophie Pérusse (la veuve Beaudet) et un autre dont le nom est inconnu.

« Sauvés : Le docteur Grenier, M. Moraud, notaire, Jean-Baptiste LeMay et un autre dont le nom est aussi inconnu. »

La nouvelle de ce pénible accident se répandit chez nous comme une trainée de poudre enflammée. Chacun voulut voir Eusèbe Asselin et l’interroger.

La femme de Jean Letellier allait devenir mère encore. Jeune, belle et bonne, elle était mariée depuis neuf ans. Elle avait un petit garçon de huit ans, frais et mignon comme ces petits anges que les grands artistes savent peindre. Trois autres enfants, morts au berceau l’attendaient au ciel. Ce n’était pas à qui lui annoncerait le naufrage du bateau de Paton, car on savait que son mari était au nombre des passagers et qu’il avait péri. Les femmes, les mères surtout ont un instinct merveilleux. Madame Jean Letellier s’aperçut bien qu’il y avait du mystère autour d’elle. Tous les visages étaient tristes, toutes les voix, muettes ou tremblantes, tous les yeux, mouillés ou rougis.

La mère Lozet fut choisie pour être la messagère de la douleur. La pauvre bonne femme tremblait comme si le froid l’eut glacée. Elle mit sa jupe neuve et son mantelet d’indienne à fond blanc, tout comme pour un jour de dimanche. Elle s’agenouilla devant son crucifix, pour demander la force et la prudence, puis s’en vint chez Letellier qui demeurait à une demi-lieue de chez elle.

— Excuse, dit-elle en entrant, excuse, Julie, si j’entre sans cogner.

— Pas d’offense ! mère Lozet, pas d’offense ! répond de sa voix douce la jeune femme Venez vous asseoir. Disant cela, elle apporte une chaise à son ancienne voisine : Il fait beau, reprend-elle, et nos hommes, je l’espère, se sont rendus heureusement à Québec.

La mère Lozet ne peut retenir une larme qui roule sur sa joue. Elle n’ose parler, car sa voix brisée par l’émotion la trahirait trop vite. Elle s’assied, tire sa tabatière d’argent et son mouchoir de poche, et, pour se donner de la contenance, elle hume une prise de tabac. La jeune femme continue : — Je n’ai pas été bien la nuit dernière. J’ai mal dormi. Des rêves fatigants m’écrasaient la poitrine sitôt que je fermais les yeux. Puis l’heure approche je crois. Si le vent d’en haut retardait la berge, je pense qu’à son retour Jean trouverait sa famille augmentée… Si je lui donnais une fille, comme il serait content !

En entendant cela la mère Lozet perd toute contenance et les sanglots l’étouffent.

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