Le masochisme

Romance, Erotica, Historical, BDSM
Cover of the book Le masochisme by Laurent Tailhade, GMDT
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Author: Laurent Tailhade ISBN: 1230000309447
Publisher: GMDT Publication: March 6, 2015
Imprint: Language: French
Author: Laurent Tailhade
ISBN: 1230000309447
Publisher: GMDT
Publication: March 6, 2015
Imprint:
Language: French

Extrait : « La fête qu’assaisonne et parfume le sang (BAUDELAIRE)

En un vers trop connu pour le citer avec élégance, mais qui porte au vif de notre sujet, Lucrèce parle de ce quelque chose d’amer qui sourd en la fontaine délicieuse, nous torturant jusque dans les fleurs : … Medio e fonte leporum, Surgit amari aliquid quod ipsis in floribus angat... Ce trouble inavoué, ces obscures épines, ce dégoût clandestin du partenaire et de soi-même dans l’acte qui passe, chez la plupart des anthropoïdes, pour le cramoisi de la félicité, dominent sur toutes les manifestations de l’intellect humain : légende, histoire, poésie. L’homme n’accepte point sans révolte secrète le joug que lui impose — dédaignant son éphémère individu — la loi inamovible de l’espèce. Vaguement, le plus borné perçoit la mélancolie éternelle du geste qui perpétue et soumet à la douleur immanente le « troupeau raillé des Dieux » (Eschyle). Un dégoût se lève qui dit à l’amour satisfait que le plus grand crime envers les hommes c’est, non de leur prendre, mais bien de leur conférer le jour. Et l’adolescent gonflé de sève, l’époux à son midi, le vieillard que blêmit déjà le crépuscule abominent et provoquent tour à tour cette minute d’épilepsie où « Marc-Aurèle est égal à son palefrenier, Zénobie à sa fille de ferme, » avec des transes voluptueuses. Il aliène son vouloir, son orgueil, sa personnalité au bénéfice de l’énergie obscure, de l’instinct omnipotent qui l’asservit.

« Eros, maître des hommes et des dieux ! » répétaient avec Euripide les spectateurs d’Athènes. Eros, Himéros, Cupido, personnification mythologique de l’attrait sexuel, de l’inéluctable désir : c’est, d’après la coutume du polythéisme, le nom individualisé, le phénomène organique promu à l’existence divine. Et caro factus est. Rien de moins folâtre que cette incarnation. Les conteurs du Moyen Âge, de la Renaissance et du XVIIIe siècle, les prosateurs grivois nous scandalisent et nous rebutent. La façon joviale dont ils traitent de l’amour offusque les modernes bienséances. Époux bernés, moines paillards, matrones luxurieuses et pécores impudentes, ces propos de cuisine ou d’antichambre nous font tourner le cœur. De Boccace à Voisenon, c’est un déchaînement d’ordures en goguettes, qui, pour des imaginations délicates, recule un peu les bornes du dégoût. Au lieu du tragique adolescent, né de l’Aphrodite marine, portant dans ses yeux farouches la tristesse immuable du ciel et de la mer, le culte polisson de la « gaieté française » taquine et glorifie le « petit dieu malin » galvaudé, cul-nu, parmi les roses de Boucher. L’étreinte des amants paraît aux Gaudissarts, qui rédigent les histoires de femmes, un passe-temps léger congruent à divertir les heures inoccupées. Voilà pourquoi, sans doute, leurs opuscules nous donnent l’impression la plus forte d’inintelligence et de vulgarité. »

 

Texte intégral.

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Extrait : « La fête qu’assaisonne et parfume le sang (BAUDELAIRE)

En un vers trop connu pour le citer avec élégance, mais qui porte au vif de notre sujet, Lucrèce parle de ce quelque chose d’amer qui sourd en la fontaine délicieuse, nous torturant jusque dans les fleurs : … Medio e fonte leporum, Surgit amari aliquid quod ipsis in floribus angat... Ce trouble inavoué, ces obscures épines, ce dégoût clandestin du partenaire et de soi-même dans l’acte qui passe, chez la plupart des anthropoïdes, pour le cramoisi de la félicité, dominent sur toutes les manifestations de l’intellect humain : légende, histoire, poésie. L’homme n’accepte point sans révolte secrète le joug que lui impose — dédaignant son éphémère individu — la loi inamovible de l’espèce. Vaguement, le plus borné perçoit la mélancolie éternelle du geste qui perpétue et soumet à la douleur immanente le « troupeau raillé des Dieux » (Eschyle). Un dégoût se lève qui dit à l’amour satisfait que le plus grand crime envers les hommes c’est, non de leur prendre, mais bien de leur conférer le jour. Et l’adolescent gonflé de sève, l’époux à son midi, le vieillard que blêmit déjà le crépuscule abominent et provoquent tour à tour cette minute d’épilepsie où « Marc-Aurèle est égal à son palefrenier, Zénobie à sa fille de ferme, » avec des transes voluptueuses. Il aliène son vouloir, son orgueil, sa personnalité au bénéfice de l’énergie obscure, de l’instinct omnipotent qui l’asservit.

« Eros, maître des hommes et des dieux ! » répétaient avec Euripide les spectateurs d’Athènes. Eros, Himéros, Cupido, personnification mythologique de l’attrait sexuel, de l’inéluctable désir : c’est, d’après la coutume du polythéisme, le nom individualisé, le phénomène organique promu à l’existence divine. Et caro factus est. Rien de moins folâtre que cette incarnation. Les conteurs du Moyen Âge, de la Renaissance et du XVIIIe siècle, les prosateurs grivois nous scandalisent et nous rebutent. La façon joviale dont ils traitent de l’amour offusque les modernes bienséances. Époux bernés, moines paillards, matrones luxurieuses et pécores impudentes, ces propos de cuisine ou d’antichambre nous font tourner le cœur. De Boccace à Voisenon, c’est un déchaînement d’ordures en goguettes, qui, pour des imaginations délicates, recule un peu les bornes du dégoût. Au lieu du tragique adolescent, né de l’Aphrodite marine, portant dans ses yeux farouches la tristesse immuable du ciel et de la mer, le culte polisson de la « gaieté française » taquine et glorifie le « petit dieu malin » galvaudé, cul-nu, parmi les roses de Boucher. L’étreinte des amants paraît aux Gaudissarts, qui rédigent les histoires de femmes, un passe-temps léger congruent à divertir les heures inoccupées. Voilà pourquoi, sans doute, leurs opuscules nous donnent l’impression la plus forte d’inintelligence et de vulgarité. »

 

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