Le Magasin d’antiquités

Fiction & Literature
Cover of the book Le Magasin d’antiquités by Charles Dickens, Hachette
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Author: Charles Dickens ISBN: 1230003184585
Publisher: Hachette Publication: April 15, 2019
Imprint: Language: French
Author: Charles Dickens
ISBN: 1230003184585
Publisher: Hachette
Publication: April 15, 2019
Imprint:
Language: French

C’était un petit vieillard aux longs cheveux gris. Tandis qu’il élevait la lumière au-dessus de sa tête et regardait en avant à mesure qu’il approchait, je pus distinguer parfaitement ses traits et sa physionomie. Malgré les ravages produits par l’âge, il me sembla reconnaître dans ses formes grêles et maigres quelque chose de la forme svelte et souple que j’avais remarquée chez l’enfant. Il y avait certainement de l’analogie dans leurs yeux bleus brillants ; mais le vieillard était tellement ridé par l’âge et les chagrins, que là s’arrêtait toute ressemblance.

La salle qu’il traversait à pas lents était un de ces réceptacles d’objets curieux et antiques qui semblent se cacher dans les coins les plus bizarres de notre ville, et, par jalousie et méfiance, dérober leurs trésors moisis aux regards du public. Il y avait là des assortiments de cottes de mailles, toutes droites et figurant des fantômes de chevaliers armés ; il y avait des bas-reliefs fantastiques empruntés aux cloîtres des moines d’autrefois ; il y avait diverses sortes d’armes rouillées ; il y avait des figures contournées en porcelaine, en bois et en fer ; il y avait des ouvrages d’ivoire ; il y avait des tapisseries et des meubles étranges, dont le dessin paraissait dû à la fièvre des rêves. La physionomie égarée du petit vieillard était merveilleusement en harmonie avec la localité. Cet homme devait être allé à tâtons parmi les vieilles églises, les tombes et les maisons abandonnées, pour en recueillir les dépouilles de ses propres mains. Dans toute sa collection, il n’y avait rien qui ne fût en parfaite analogie avec lui, rien qui fût plus que lui vieux et délabré.

Tout en tournant la clef dans la serrure, il me contemplait avec une surprise qui fut loin de diminuer lorsque son regard se porta de moi sur ma compagne de route. La porte s’ouvrit, et l’enfant, s’adressant à son grand-père, lui raconta la petite histoire de notre rencontre.

« Dieu te bénisse ! s’écria le vieillard en passant la main sur la tête de l’enfant ; comment se fait-il que tu aies pu t’égarer en chemin ? Ô Nell, si je t’avais perdue !

— Grand-père, répondit avec fermeté la petite fille, j’eusse retrouvé mon chemin pour revenir vers vous, n’ayez pas peur. »

Le vieillard l’embrassa ; puis il se tourna de mon côté et m’invita à entrer, ce que je fis. La porte fut fermée de nouveau à double tour. Mon hôte, me précédant avec son flambeau, me conduisit, à travers la salle que j’avais déjà contemplée du dehors, dans une petite pièce située derrière : là se trouvait une autre porte ouvrant sur une sorte de cabinet où je vis un lit en miniature qui eût bien convenu à une fée, tant il était exigu et gentiment arrangé. L’enfant prit une lumière et se retira dans la petite chambre, me laissant avec le vieillard.

« Vous devez être fatigué, monsieur, me dit-il en approchant pour moi une chaise du feu. Comment pourrais-je vous remercier ? »

Je répondis :

« En ayant une autre fois plus de soin de votre petite-fille, mon bon ami.

— Plus de soin !… répéta le vieillard d’une voix aigre ; plus de soin de Nelly !… Qui jamais a aimé une enfant comme j’aime ma Nell ? »

Il prononça ces paroles avec une surprise si manifeste, que je me trouvai fort embarrassé pour répondre, d’autant plus que, s’il y avait dans ses manières quelque chose de heurté et d’égaré, ses traits offraient les indices d’une pensée profonde et triste, d’où je conclus que, contrairement à ma première impression, ce n’était ni un radoteur ni un imbécile.

« Je ne crois pas, lui dis-je, que vous ayez assez souci de votre enfant.

— Moi ! je n’en ai pas souci !… s’écria le vieillard en m’interrompant. Ah ! que vous me jugez mal !… Ma petite Nelly ! ma petite Nelly ! »

Nul homme, quelques paroles qu’il employât, ne pourrait montrer plus de tendresse que n’en montra dans ce peu de mots le marchand de curiosités. J’attendis qu’il parlât de nouveau ; mais il appuya le menton sur sa main, et, secouant deux ou trois fois la tête, il tint ses yeux fixés sur le foyer.

Tandis que nous gardions ainsi le silence, la porte du cabinet s’ouvrit, et l’enfant reparut. Ses fins cheveux bruns tombaient épars sur son cou, et son visage était animé par l’empressement qu’elle avait mis à venir nous rejoindre. Sans perdre un instant, elle s’occupa des préparatifs du souper. Pendant qu’elle se livrait à ce soin, je remarquai que le vieillard profitait de l’occasion pour m’examiner plus à fond qu’il ne l’avait fait d’abord. Je vis avec surprise que l’enfant paraissait chargée de toute la besogne, et que, à l’exception de nous trois, il ne semblait y avoir âme qui vive dans la maison. Je saisis un moment où elle était sortie de la chambre pour glisser un mot à ce sujet ; à quoi le vieillard répliqua qu’il y avait peu de grandes personnes aussi dignes de confiance, aussi soigneuses que Nelly.

« Il m’est toujours pénible, dis-je, choqué de ce que je prenais chez lui pour de l’égoïsme, il m’est toujours pénible d’être témoin de cette espèce d’initiation à la vie réelle chez de jeunes êtres à peine hors de la limite étroite de l’enfance, c’est tarir en eux la confiance et la naïveté, deux des principales qualités que le ciel leur ait départies ; c’est leur demander de partager nos chagrins avant l’heure où ils sont capables de s’associer à nos plaisirs.

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C’était un petit vieillard aux longs cheveux gris. Tandis qu’il élevait la lumière au-dessus de sa tête et regardait en avant à mesure qu’il approchait, je pus distinguer parfaitement ses traits et sa physionomie. Malgré les ravages produits par l’âge, il me sembla reconnaître dans ses formes grêles et maigres quelque chose de la forme svelte et souple que j’avais remarquée chez l’enfant. Il y avait certainement de l’analogie dans leurs yeux bleus brillants ; mais le vieillard était tellement ridé par l’âge et les chagrins, que là s’arrêtait toute ressemblance.

La salle qu’il traversait à pas lents était un de ces réceptacles d’objets curieux et antiques qui semblent se cacher dans les coins les plus bizarres de notre ville, et, par jalousie et méfiance, dérober leurs trésors moisis aux regards du public. Il y avait là des assortiments de cottes de mailles, toutes droites et figurant des fantômes de chevaliers armés ; il y avait des bas-reliefs fantastiques empruntés aux cloîtres des moines d’autrefois ; il y avait diverses sortes d’armes rouillées ; il y avait des figures contournées en porcelaine, en bois et en fer ; il y avait des ouvrages d’ivoire ; il y avait des tapisseries et des meubles étranges, dont le dessin paraissait dû à la fièvre des rêves. La physionomie égarée du petit vieillard était merveilleusement en harmonie avec la localité. Cet homme devait être allé à tâtons parmi les vieilles églises, les tombes et les maisons abandonnées, pour en recueillir les dépouilles de ses propres mains. Dans toute sa collection, il n’y avait rien qui ne fût en parfaite analogie avec lui, rien qui fût plus que lui vieux et délabré.

Tout en tournant la clef dans la serrure, il me contemplait avec une surprise qui fut loin de diminuer lorsque son regard se porta de moi sur ma compagne de route. La porte s’ouvrit, et l’enfant, s’adressant à son grand-père, lui raconta la petite histoire de notre rencontre.

« Dieu te bénisse ! s’écria le vieillard en passant la main sur la tête de l’enfant ; comment se fait-il que tu aies pu t’égarer en chemin ? Ô Nell, si je t’avais perdue !

— Grand-père, répondit avec fermeté la petite fille, j’eusse retrouvé mon chemin pour revenir vers vous, n’ayez pas peur. »

Le vieillard l’embrassa ; puis il se tourna de mon côté et m’invita à entrer, ce que je fis. La porte fut fermée de nouveau à double tour. Mon hôte, me précédant avec son flambeau, me conduisit, à travers la salle que j’avais déjà contemplée du dehors, dans une petite pièce située derrière : là se trouvait une autre porte ouvrant sur une sorte de cabinet où je vis un lit en miniature qui eût bien convenu à une fée, tant il était exigu et gentiment arrangé. L’enfant prit une lumière et se retira dans la petite chambre, me laissant avec le vieillard.

« Vous devez être fatigué, monsieur, me dit-il en approchant pour moi une chaise du feu. Comment pourrais-je vous remercier ? »

Je répondis :

« En ayant une autre fois plus de soin de votre petite-fille, mon bon ami.

— Plus de soin !… répéta le vieillard d’une voix aigre ; plus de soin de Nelly !… Qui jamais a aimé une enfant comme j’aime ma Nell ? »

Il prononça ces paroles avec une surprise si manifeste, que je me trouvai fort embarrassé pour répondre, d’autant plus que, s’il y avait dans ses manières quelque chose de heurté et d’égaré, ses traits offraient les indices d’une pensée profonde et triste, d’où je conclus que, contrairement à ma première impression, ce n’était ni un radoteur ni un imbécile.

« Je ne crois pas, lui dis-je, que vous ayez assez souci de votre enfant.

— Moi ! je n’en ai pas souci !… s’écria le vieillard en m’interrompant. Ah ! que vous me jugez mal !… Ma petite Nelly ! ma petite Nelly ! »

Nul homme, quelques paroles qu’il employât, ne pourrait montrer plus de tendresse que n’en montra dans ce peu de mots le marchand de curiosités. J’attendis qu’il parlât de nouveau ; mais il appuya le menton sur sa main, et, secouant deux ou trois fois la tête, il tint ses yeux fixés sur le foyer.

Tandis que nous gardions ainsi le silence, la porte du cabinet s’ouvrit, et l’enfant reparut. Ses fins cheveux bruns tombaient épars sur son cou, et son visage était animé par l’empressement qu’elle avait mis à venir nous rejoindre. Sans perdre un instant, elle s’occupa des préparatifs du souper. Pendant qu’elle se livrait à ce soin, je remarquai que le vieillard profitait de l’occasion pour m’examiner plus à fond qu’il ne l’avait fait d’abord. Je vis avec surprise que l’enfant paraissait chargée de toute la besogne, et que, à l’exception de nous trois, il ne semblait y avoir âme qui vive dans la maison. Je saisis un moment où elle était sortie de la chambre pour glisser un mot à ce sujet ; à quoi le vieillard répliqua qu’il y avait peu de grandes personnes aussi dignes de confiance, aussi soigneuses que Nelly.

« Il m’est toujours pénible, dis-je, choqué de ce que je prenais chez lui pour de l’égoïsme, il m’est toujours pénible d’être témoin de cette espèce d’initiation à la vie réelle chez de jeunes êtres à peine hors de la limite étroite de l’enfance, c’est tarir en eux la confiance et la naïveté, deux des principales qualités que le ciel leur ait départies ; c’est leur demander de partager nos chagrins avant l’heure où ils sont capables de s’associer à nos plaisirs.

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