La Débâcle

Fiction & Literature, Action Suspense, Classics, Historical
Cover of the book La Débâcle by Émile Zola, Consumer Oriented Ebooks Publisher
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Author: Émile Zola ISBN: 1230000734875
Publisher: Consumer Oriented Ebooks Publisher Publication: October 22, 2015
Imprint: Language: French
Author: Émile Zola
ISBN: 1230000734875
Publisher: Consumer Oriented Ebooks Publisher
Publication: October 22, 2015
Imprint:
Language: French

À deux kilomètres de Mulhouse, vers le Rhin, au milieu de la
plaine fertile, le camp était dressé. Sous le jour finissant de
cette soirée d'août, au ciel trouble, traversé de lourds nuages,
les tentes-abris s'alignaient, les faisceaux luisaient,
s'espaçaient régulièrement sur le front de bandière; tandis que,
fusils chargés, les sentinelles les gardaient, immobiles, les yeux
perdus, là-bas, dans les brumes violâtres du lointain horizon, qui
montaient du grand fleuve.

On était arrivé de Belfort vers cinq heures. Il en était huit, et
les hommes venaient seulement de toucher les vivres. Mais le bois
devait s'être égaré, la distribution n'avait pu avoir lieu.
Impossible d'allumer du feu et de faire la soupe. Il avait fallu
se contenter de mâcher à froid le biscuit, qu'on arrosait de
grands coups d'eau-de-vie, ce qui achevait de casser les jambes,
déjà molles de fatigue. Deux soldats pourtant, en arrière des
faisceaux, près de la cantine, s'entêtaient à vouloir enflammer un
tas de bois vert, de jeunes troncs d'arbre qu'ils avaient coupés
avec leurs sabres-baïonnettes, et qui refusaient obstinément de
brûler. Une grosse fumée, noire et lente, montait dans l'air du
soir, d'une infinie tristesse.

Il n'y avait là que douze mille hommes, tout ce que le général
Félix Douay avait avec lui du 7e corps d'armée. La première
division, appelée la veille, était partie pour Froeschwiller; la
troisième se trouvait encore à Lyon; et il s'était décidé à
quitter Belfort, à se porter ainsi en avant avec la deuxième
division, l'artillerie de réserve et une division de cavalerie,
incomplète. Des feux avaient été aperçus à Lorrach. Une dépêche du
sous-préfet de Schelestadt annonçait que les Prussiens allaient
passer le Rhin à Markolsheim. Le général, se sentant trop isolé à
l'extrême droite des autres corps, sans communication avec eux,
venait de hâter d'autant plus son mouvement vers la frontière,
que, la veille, la nouvelle était arrivée de la surprise
désastreuse de Wissembourg. D'une heure à l'autre, s'il n'avait
pas lui-même l'ennemi à repousser, il pouvait craindre d'être
appelé, pour soutenir le 1er corps. Ce jour-là, ce samedi
d'inquiète journée d'orage, le 6 août, on devait s'être battu
quelque part, du côté de Froeschwiller: cela était dans le ciel
anxieux et accablant, de grands frissons passaient, de brusques
souffles de vent, chargés d'angoisse. Et, depuis deux jours, la
division croyait marcher au combat, les soldats s'attendaient à
trouver les Prussiens devant eux, au bout de cette marche forcée
de Belfort à Mulhouse.

Le jour baissait, la retraite partit d'un coin éloigné du camp, un
roulement des tambours, une sonnerie des clairons, faibles encore,
emportés par le grand air. Et Jean Macquart, qui s'occupait à
consolider la tente, en enfonçant les piquets davantage, se leva.
Aux premiers bruits de guerre, il avait quitté Rognes, tout
saignant du drame où il venait de perdre sa femme Françoise et les
terres qu'elle lui avait apportées; il s'était réengagé à trente-
neuf ans, retrouvant ses galons de caporal, tout de suite
incorporé au 106e régiment de ligne, dont on complétait les
cadres; et, parfois, il s'étonnait encore, de se revoir avec la
capote aux épaules, lui qui, après Solférino, était si joyeux de
quitter le service, de n'être plus un traîneur de sabre, un tueur
de monde. Mais quoi faire? Quand on n'a plus de métier, qu'on n'a
plus ni femme ni bien au soleil, que le coeur vous saute dans la
gorge de tristesse et de rage? Autant vaut-il cogner sur les
ennemis, s'ils vous embêtent. Et il se rappelait son cri: ah! bon
sang! puisqu'il n'avait plus de courage à la travailler, il la
défendrait, la vieille terre de France!

Jean, debout, jeta un coup d'oeil dans le camp, où une agitation
dernière se produisait, au passage de la retraite. Quelques hommes
couraient. D'autres, assoupis déjà, se soulevaient, s'étiraient
d'un air de lassitude irritée. Lui, patient, attendait l'appel,
avec cette tranquillité d'humeur, ce bel équilibre raisonnable,
qui faisait de lui un excellent soldat. Les camarades disaient
qu'avec de l'instruction il serait peut-être allé loin. Sachant
tout juste lire et écrire, il n'ambitionnait même pas le grade de
sergent. Quand on a été paysan, on reste paysan.

Mais la vue du feu de bois vert qui fumait toujours, l'intéressa,
et il interpella les deux hommes en train de s'acharner, Loubet et
Lapoulle, tous deux de son escouade.

-- Lâchez donc ça! vous nous empoisonnez!

Loubet, maigre et vif, l'air farceur, ricanait.

-- Ca prend, caporal, je vous assure... Souffle donc, toi!

Et il poussait Lapoulle, un colosse, qui s'épuisait à déchaîner
une tempête, de ses joues enflées comme des outres, la face
congestionnée, les yeux rouges et pleins de larmes.

Deux autres soldats de l'escouade, Chouteau et Pache, le premier
étalé sur le dos, en fainéant qui aimait ses aises, l'autre
accroupi, très occupé à recoudre soigneusement une déchirure de sa
culotte, éclatèrent, égayés par l'affreuse grimace de cette brute
de Lapoulle.

-- Tourne-toi, souffle de l'autre côté, ça ira mieux! cria
Chouteau.

Jean les laissa rire. On n'allait peut-être plus en trouver si
souvent l'occasion; et lui, avec son air de gros garçon sérieux, à
la figure pleine et régulière, n'était pourtant pas pour la
mélancolie, fermant les yeux volontiers quand ses hommes prenaient
du plaisir. Mais un autre groupe l'occupa, un soldat de son
escouade encore, Maurice Levasseur, en train, depuis une heure
bientôt, de causer avec un civil, un monsieur roux d'environ
trente-six ans, une face de bon chien, éclairée de deux gros yeux
bleus à fleur de tête, des yeux de myope qui l'avaient fait
réformer. Un artilleur de la réserve, maréchal des logis, l'air
crâne et d'aplomb avec ses moustaches et sa barbiche brunes, était
venu les rejoindre; et tous les trois s'oubliaient là, comme en
famille.

Obligeamment, pour leur éviter quelque algarade, Jean crut devoir
intervenir.

-- Vous feriez bien de partir, monsieur. Voici la retraite, si le
lieutenant vous voyait...

Maurice ne le laissa pas achever.

-- Restez donc, Weiss.

Et, sèchement, au caporal:

-- Monsieur est mon beau-frère. Il a une permission du colonel,
qu'il connaît.

De quoi se mêlait-il, ce paysan, dont les mains sentaient encore
le fumier? Lui, reçu avocat au dernier automne, engagé volontaire
que la protection du colonel avait fait incorporer dans le 106e,
sans passer par le dépôt, consentait bien à porter le sac; mais,
dès les premières heures, une répugnance, une sourde révolte
l'avait dressé contre cet illettré, ce rustre qui le commandait.

-- C'est bon, répondit Jean, de sa voix tranquille, faites-vous
empoigner, je m'en fiche.

Puis, il tourna le dos, en voyant bien que Maurice ne mentait pas;
car le colonel, M De Vineuil, passait à ce moment, de son grand
air noble, sa longue face jaune coupée de ses épaisses moustaches
blanches; et il avait salué Weiss et le soldat d'un sourire.
Vivement, le colonel se rendait à une ferme que l'on apercevait
sur la droite, à deux ou trois cents pas, parmi des pruniers, et
où l'état-major s'était installé pour la nuit. On ignorait si le
commandant du 7e corps se trouvait là, dans l'affreux deuil dont
venait de le frapper la mort de son frère, tué à Wissembourg. Mais
le général de brigade Bourgain-Des-Feuilles, qui avait sous ses
ordres le 106e, y était sûrement, très braillard comme à
l'ordinaire, roulant son gros corps sur ses courtes jambes, avec
son teint fleuri de bon vivant que son peu de cervelle ne gênait
point. Une agitation grandissait autour de la ferme, des
estafettes partaient et revenaient à chaque minute, toute
l'attente fébrile des dépêches, trop lentes, sur cette grande
bataille que chacun sentait fatale et voisine depuis le matin. Où
donc avait-elle été livrée, et quels en étaient à cette heure les
résultats? À mesure que tombait la nuit, il semblait que, sur le
verger, sur les meules éparses autour des étables, l'anxiété
roulât, s'étalât en un lac d'ombre. Et l'on disait encore qu'on
venait d'arrêter un espion Prussien rôdant autour du camp, et
qu'on l'avait conduit à la ferme, pour que le général
l'interrogeât. Peut-être le colonel De Vineuil avait-il reçu
quelque télégramme, qu'il courait si fort.

Cependant, Maurice s'était remis à causer avec son beau-frère
Weiss et son cousin Honoré Fouchard, le maréchal des logis. La
retraite, venue de loin, peu à peu grossie, passa près d'eux,
sonnante, battante, dans la paix mélancolique du crépuscule; et
ils ne semblèrent même pas l'entendre. Petit-fils d'un héros de la
grande armée, le jeune homme était né, au Chesne-Populeux, d'un
père détourné de la gloire, tombé à un maigre emploi de
percepteur. Sa mère, une paysanne, avait succombé en les mettant
au monde, lui et sa soeur jumelle Henriette, qui, toute petite,
l'avait élevé. Et, s'il se trouvait là, engagé volontaire, c'était
à la suite de grandes fautes, toute une dissipation de tempérament
faible et exalté, de l'argent qu'il avait jeté au jeu, aux femmes,
aux sottises de Paris dévorateur, lorsqu'il y était venu terminer
son droit et que la famille s'était saignée pour faire de lui un
monsieur. Le père en était mort, la soeur, après s'être
dépouillée, avait eu la chance de trouver un mari, cet honnête
garçon de Weiss, un Alsacien de Mulhouse, longtemps comptable à la
raffinerie générale du Chesne-Populeux, aujourd'hui contremaître
chez M Delaherche, un des principaux fabricants de drap de Sedan.
Et Maurice se croyait bien corrigé, dans sa nervosité prompte à
l'espoir du bien comme au découragement du mal, généreux,
enthousiaste, mais sans fixité aucune, soumis à toutes les sautes
du vent qui passe. Blond, petit, avec un front très développé, un
nez et un menton menus, le visage fin, il avait des yeux gris et
caressants, un peu fous parfois.

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À deux kilomètres de Mulhouse, vers le Rhin, au milieu de la
plaine fertile, le camp était dressé. Sous le jour finissant de
cette soirée d'août, au ciel trouble, traversé de lourds nuages,
les tentes-abris s'alignaient, les faisceaux luisaient,
s'espaçaient régulièrement sur le front de bandière; tandis que,
fusils chargés, les sentinelles les gardaient, immobiles, les yeux
perdus, là-bas, dans les brumes violâtres du lointain horizon, qui
montaient du grand fleuve.

On était arrivé de Belfort vers cinq heures. Il en était huit, et
les hommes venaient seulement de toucher les vivres. Mais le bois
devait s'être égaré, la distribution n'avait pu avoir lieu.
Impossible d'allumer du feu et de faire la soupe. Il avait fallu
se contenter de mâcher à froid le biscuit, qu'on arrosait de
grands coups d'eau-de-vie, ce qui achevait de casser les jambes,
déjà molles de fatigue. Deux soldats pourtant, en arrière des
faisceaux, près de la cantine, s'entêtaient à vouloir enflammer un
tas de bois vert, de jeunes troncs d'arbre qu'ils avaient coupés
avec leurs sabres-baïonnettes, et qui refusaient obstinément de
brûler. Une grosse fumée, noire et lente, montait dans l'air du
soir, d'une infinie tristesse.

Il n'y avait là que douze mille hommes, tout ce que le général
Félix Douay avait avec lui du 7e corps d'armée. La première
division, appelée la veille, était partie pour Froeschwiller; la
troisième se trouvait encore à Lyon; et il s'était décidé à
quitter Belfort, à se porter ainsi en avant avec la deuxième
division, l'artillerie de réserve et une division de cavalerie,
incomplète. Des feux avaient été aperçus à Lorrach. Une dépêche du
sous-préfet de Schelestadt annonçait que les Prussiens allaient
passer le Rhin à Markolsheim. Le général, se sentant trop isolé à
l'extrême droite des autres corps, sans communication avec eux,
venait de hâter d'autant plus son mouvement vers la frontière,
que, la veille, la nouvelle était arrivée de la surprise
désastreuse de Wissembourg. D'une heure à l'autre, s'il n'avait
pas lui-même l'ennemi à repousser, il pouvait craindre d'être
appelé, pour soutenir le 1er corps. Ce jour-là, ce samedi
d'inquiète journée d'orage, le 6 août, on devait s'être battu
quelque part, du côté de Froeschwiller: cela était dans le ciel
anxieux et accablant, de grands frissons passaient, de brusques
souffles de vent, chargés d'angoisse. Et, depuis deux jours, la
division croyait marcher au combat, les soldats s'attendaient à
trouver les Prussiens devant eux, au bout de cette marche forcée
de Belfort à Mulhouse.

Le jour baissait, la retraite partit d'un coin éloigné du camp, un
roulement des tambours, une sonnerie des clairons, faibles encore,
emportés par le grand air. Et Jean Macquart, qui s'occupait à
consolider la tente, en enfonçant les piquets davantage, se leva.
Aux premiers bruits de guerre, il avait quitté Rognes, tout
saignant du drame où il venait de perdre sa femme Françoise et les
terres qu'elle lui avait apportées; il s'était réengagé à trente-
neuf ans, retrouvant ses galons de caporal, tout de suite
incorporé au 106e régiment de ligne, dont on complétait les
cadres; et, parfois, il s'étonnait encore, de se revoir avec la
capote aux épaules, lui qui, après Solférino, était si joyeux de
quitter le service, de n'être plus un traîneur de sabre, un tueur
de monde. Mais quoi faire? Quand on n'a plus de métier, qu'on n'a
plus ni femme ni bien au soleil, que le coeur vous saute dans la
gorge de tristesse et de rage? Autant vaut-il cogner sur les
ennemis, s'ils vous embêtent. Et il se rappelait son cri: ah! bon
sang! puisqu'il n'avait plus de courage à la travailler, il la
défendrait, la vieille terre de France!

Jean, debout, jeta un coup d'oeil dans le camp, où une agitation
dernière se produisait, au passage de la retraite. Quelques hommes
couraient. D'autres, assoupis déjà, se soulevaient, s'étiraient
d'un air de lassitude irritée. Lui, patient, attendait l'appel,
avec cette tranquillité d'humeur, ce bel équilibre raisonnable,
qui faisait de lui un excellent soldat. Les camarades disaient
qu'avec de l'instruction il serait peut-être allé loin. Sachant
tout juste lire et écrire, il n'ambitionnait même pas le grade de
sergent. Quand on a été paysan, on reste paysan.

Mais la vue du feu de bois vert qui fumait toujours, l'intéressa,
et il interpella les deux hommes en train de s'acharner, Loubet et
Lapoulle, tous deux de son escouade.

-- Lâchez donc ça! vous nous empoisonnez!

Loubet, maigre et vif, l'air farceur, ricanait.

-- Ca prend, caporal, je vous assure... Souffle donc, toi!

Et il poussait Lapoulle, un colosse, qui s'épuisait à déchaîner
une tempête, de ses joues enflées comme des outres, la face
congestionnée, les yeux rouges et pleins de larmes.

Deux autres soldats de l'escouade, Chouteau et Pache, le premier
étalé sur le dos, en fainéant qui aimait ses aises, l'autre
accroupi, très occupé à recoudre soigneusement une déchirure de sa
culotte, éclatèrent, égayés par l'affreuse grimace de cette brute
de Lapoulle.

-- Tourne-toi, souffle de l'autre côté, ça ira mieux! cria
Chouteau.

Jean les laissa rire. On n'allait peut-être plus en trouver si
souvent l'occasion; et lui, avec son air de gros garçon sérieux, à
la figure pleine et régulière, n'était pourtant pas pour la
mélancolie, fermant les yeux volontiers quand ses hommes prenaient
du plaisir. Mais un autre groupe l'occupa, un soldat de son
escouade encore, Maurice Levasseur, en train, depuis une heure
bientôt, de causer avec un civil, un monsieur roux d'environ
trente-six ans, une face de bon chien, éclairée de deux gros yeux
bleus à fleur de tête, des yeux de myope qui l'avaient fait
réformer. Un artilleur de la réserve, maréchal des logis, l'air
crâne et d'aplomb avec ses moustaches et sa barbiche brunes, était
venu les rejoindre; et tous les trois s'oubliaient là, comme en
famille.

Obligeamment, pour leur éviter quelque algarade, Jean crut devoir
intervenir.

-- Vous feriez bien de partir, monsieur. Voici la retraite, si le
lieutenant vous voyait...

Maurice ne le laissa pas achever.

-- Restez donc, Weiss.

Et, sèchement, au caporal:

-- Monsieur est mon beau-frère. Il a une permission du colonel,
qu'il connaît.

De quoi se mêlait-il, ce paysan, dont les mains sentaient encore
le fumier? Lui, reçu avocat au dernier automne, engagé volontaire
que la protection du colonel avait fait incorporer dans le 106e,
sans passer par le dépôt, consentait bien à porter le sac; mais,
dès les premières heures, une répugnance, une sourde révolte
l'avait dressé contre cet illettré, ce rustre qui le commandait.

-- C'est bon, répondit Jean, de sa voix tranquille, faites-vous
empoigner, je m'en fiche.

Puis, il tourna le dos, en voyant bien que Maurice ne mentait pas;
car le colonel, M De Vineuil, passait à ce moment, de son grand
air noble, sa longue face jaune coupée de ses épaisses moustaches
blanches; et il avait salué Weiss et le soldat d'un sourire.
Vivement, le colonel se rendait à une ferme que l'on apercevait
sur la droite, à deux ou trois cents pas, parmi des pruniers, et
où l'état-major s'était installé pour la nuit. On ignorait si le
commandant du 7e corps se trouvait là, dans l'affreux deuil dont
venait de le frapper la mort de son frère, tué à Wissembourg. Mais
le général de brigade Bourgain-Des-Feuilles, qui avait sous ses
ordres le 106e, y était sûrement, très braillard comme à
l'ordinaire, roulant son gros corps sur ses courtes jambes, avec
son teint fleuri de bon vivant que son peu de cervelle ne gênait
point. Une agitation grandissait autour de la ferme, des
estafettes partaient et revenaient à chaque minute, toute
l'attente fébrile des dépêches, trop lentes, sur cette grande
bataille que chacun sentait fatale et voisine depuis le matin. Où
donc avait-elle été livrée, et quels en étaient à cette heure les
résultats? À mesure que tombait la nuit, il semblait que, sur le
verger, sur les meules éparses autour des étables, l'anxiété
roulât, s'étalât en un lac d'ombre. Et l'on disait encore qu'on
venait d'arrêter un espion Prussien rôdant autour du camp, et
qu'on l'avait conduit à la ferme, pour que le général
l'interrogeât. Peut-être le colonel De Vineuil avait-il reçu
quelque télégramme, qu'il courait si fort.

Cependant, Maurice s'était remis à causer avec son beau-frère
Weiss et son cousin Honoré Fouchard, le maréchal des logis. La
retraite, venue de loin, peu à peu grossie, passa près d'eux,
sonnante, battante, dans la paix mélancolique du crépuscule; et
ils ne semblèrent même pas l'entendre. Petit-fils d'un héros de la
grande armée, le jeune homme était né, au Chesne-Populeux, d'un
père détourné de la gloire, tombé à un maigre emploi de
percepteur. Sa mère, une paysanne, avait succombé en les mettant
au monde, lui et sa soeur jumelle Henriette, qui, toute petite,
l'avait élevé. Et, s'il se trouvait là, engagé volontaire, c'était
à la suite de grandes fautes, toute une dissipation de tempérament
faible et exalté, de l'argent qu'il avait jeté au jeu, aux femmes,
aux sottises de Paris dévorateur, lorsqu'il y était venu terminer
son droit et que la famille s'était saignée pour faire de lui un
monsieur. Le père en était mort, la soeur, après s'être
dépouillée, avait eu la chance de trouver un mari, cet honnête
garçon de Weiss, un Alsacien de Mulhouse, longtemps comptable à la
raffinerie générale du Chesne-Populeux, aujourd'hui contremaître
chez M Delaherche, un des principaux fabricants de drap de Sedan.
Et Maurice se croyait bien corrigé, dans sa nervosité prompte à
l'espoir du bien comme au découragement du mal, généreux,
enthousiaste, mais sans fixité aucune, soumis à toutes les sautes
du vent qui passe. Blond, petit, avec un front très développé, un
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