La Confession de Claude

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book La Confession de Claude by EMILE ZOLA, GILBERT TEROL
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Author: EMILE ZOLA ISBN: 1230002654300
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 10, 2018
Imprint: Language: French
Author: EMILE ZOLA
ISBN: 1230002654300
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 10, 2018
Imprint:
Language: French

Oui, Jacques ne s’était pas trompé. J’ai été malade. J’ai eu la fièvre, le délire. Je sens aujourd’hui, à la fatigue de mon cœur, qu’elle a dû être la violence de mon mal. Je suis fier de ma souffrance, je comprends que je n’ai pas été infâme, que mes désespoirs n’étaient que les révoltes de mon cœur, indigné du monde où je l’avais égaré. Je suis maladroit devant la honte, je ne sais point accepter les amours vulgaires ; je n’ai pas la tranquille indifférence nécessaire pour vivre dans ce coin de Paris où la belle jeunesse se vautre en pleine boue. Il m’aurait fallu les purs sommets, la campagne large. Si j’avais rencontré une vierge, je me serais agenouillé pour me donner entier ; j’aurais été pur comme elle, et, sans lutte, sans effort, nous nous serions unis, nous aurions contenté nos tendresses. La vie à ses fatalités. Un soir, j’ai trouvé Laurence, la gorge découverte. J’ai eu l’imprudente confiance de vivre auprès de cette femme, et voilà que je l’ai aimée, aimée comme une vierge, avec tout mon cœur, toute ma pureté. Elle m’a rendu mes affections en souffrances et en désespoirs ; elle a eu la lâcheté de se laisser aimer, sans jamais aimer elle-même. Je me suis déchiré, devant cette âme morte, à vouloir me faire entendre. J’ai pleuré comme un enfant qui veut embrasser sa mère, se haussant sur ses petits pieds, ne pouvant atteindre le visage de celle qui est toute son espérance.

Je me disais ces choses dans cette nuit suprême, et je me disais encore qu’un jour je parlerais et que je ferais voir la vérité à mes frères, les cœurs de vingt ans. Je trouvais une grande leçon dans ma jeunesse perdue, dans mes amours brisées. Mon être entier répétait : Que n’es-tu resté là-bas, en Provence, dans les herbes hautes, sous les larges soleils ? Tu aurais grandi en honneur, en force. Et, lorsque tu es venu ici chercher la vie et la gloire, que ne t’es-tu gardé contre la boue de la ville ? Ne savais-tu pas que l’homme n’a pas deux jeunesses, ni deux amours ? Il te fallait vivre jeune, dans le travail, et aimer, dans la virginité.

Ceux qui acceptent sans larmes la vie que j’ai menée pendant un an, n’ont pas de cœur ; ceux qui pleurent comme j’ai pleuré, sortent de cette vie le corps brisé et l’âme mourante. Il faut donc tuer les Laurences, comme disait Jacques, puisqu’elles nous tuent notre chair et nos amours. Je ne suis qu’un enfant qui a souffert, je ne veux point prêcher ici. Mais je montre ma poitrine vide, mon être endolori et sanglant, je désire que mes plaies fassent frémir les garçons de mon âge et les arrêtent au seuil du gouffre. À ceux qui sont affolés de lumière et de pureté, je dirai : Prenez garde, vous entrez dans la nuit, dans la souillure. À ceux dont le cœur dort et qui ont l’indifférence du mal, je dirai : Puisque vous ne pouvez aimer, tâchez au moins de rester dignes et honnêtes.

La nuit était claire, je voyais jusqu’à Dieu. Marie, raide maintenant, dormait avec pesanteur ; le drap avait de longs plis secs et durs. Je songeais au néant, je pensais que nous aurions grand besoin d’une croyance, nous qui vivons dans l’espérance de demain et qui ne savons ce que sera demain. Si j’avais eu, au ciel ou ailleurs, un Dieu ami dont j’aie senti la main protectrice, je ne me serais peut-être pas laissé aller au vertige d’une passion mauvaise. J’aurais toujours eu des consolations, au milieu de mes larmes ; j’aurais usé mon trop d’amour dans la prière, au lieu de ne pouvoir le donner et de le sentir m’étouffer. Je m’étais abandonné, parce que je ne croyais qu’en moi et que j’avais perdu toute ma force. Je ne regrette pas d’obéir à ma raison, de vivre libre, n’ayant que le respect du vrai et du juste. Seulement, lorsque la fièvre me prend, lorsque je frissonne de faiblesse, j’ai peur, je deviens enfant ; je voudrais être sous le coup d’une fatalité divine, m’effacer, laisser Dieu agir en moi et pour moi.

Et je songeais à Marie, me demandant où était son être à cette heure. Dans la grande nature, sans doute. Je faisais ce rêve que chaque âme va au grand tout, que l’humanité morte n’est qu’un souffle immense, un seul esprit. Sur la terre, nous sommes séparés, nous nous ignorons, nous pleurons de ne pouvoir nous réunir ; au-delà de la vie, il y a pénétration complète, mariage de tous avec tous, amour unique et universel. Je regardais le ciel. Il me semblait voir, dans l’étendue calme et reposée, l’âme du monde, l’être éternel fait de tous les êtres. Alors, j’ai goûté une grande douceur ; je venais de dépasser la guérison, j’en étais au pardon et à la foi. Frères, ma jeunesse me souriait encore. J’ai songé qu’un jour nous nous trouverons unis tous quatre, Marie et Jacques, Laurence et moi ; nous nous comprendrons, nous nous pardonnerons ; nous nous aimerons sans avoir à entendre les sanglots de nos corps, et aurons une suprême paix à échanger ces tendresses que nous ne pouvions nous donner, lorsque nous vivions dans des chairs différentes.

La pensée qu’il y a malentendu sur la terre, et que tout s’explique ailleurs, m’a consolé. Je me suis dit que j’attendrais la mort pour aimer. Je me tenais debout, auprès de la fenêtre, en face du ciel, en face du cadavre de Marie, et, peu à peu, une fraîcheur douce, une espérance sans bornes me venaient de cette jeune fille morte et de ces espaces rêveurs.

Les bougies s’achevaient. La chambre avait un silence de plus en plus lourd, et les ombres grandissaient. Pâquerette dormait. Jacques n’avait pas bougé.

Il s’est levé brusquement, il a regardé autour de lui avec peur. Je l’ai vu se pencher sur le cadavre pour le baiser au front. La chair froide lui a donné un frisson. Alors il m’a aperçu. Il est venu à moi, hésitant, puis m’a tendu la main.

Je regardais cet homme que je ne pouvais comprendre, qui me paraissait aussi obscur que Laurence. J’ignorais s’il m’avait menti ou s’il avait voulu me sauver. Cet homme était venu me briser le cœur. Mais j’avais espéré, j’avais pardonné. J’ai pris sa main et la lui ai serrée.

Alors il s’en est allé, me remerciant du regard.

Le matin, je me suis trouvé au bord du lit de Marie, à genoux, pleurant encore, mais des larmes douces, attendries. Je pleurais sur cette pauvre fille que la mort avait emportée au printemps, ignorante des baisers d’amour.

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Oui, Jacques ne s’était pas trompé. J’ai été malade. J’ai eu la fièvre, le délire. Je sens aujourd’hui, à la fatigue de mon cœur, qu’elle a dû être la violence de mon mal. Je suis fier de ma souffrance, je comprends que je n’ai pas été infâme, que mes désespoirs n’étaient que les révoltes de mon cœur, indigné du monde où je l’avais égaré. Je suis maladroit devant la honte, je ne sais point accepter les amours vulgaires ; je n’ai pas la tranquille indifférence nécessaire pour vivre dans ce coin de Paris où la belle jeunesse se vautre en pleine boue. Il m’aurait fallu les purs sommets, la campagne large. Si j’avais rencontré une vierge, je me serais agenouillé pour me donner entier ; j’aurais été pur comme elle, et, sans lutte, sans effort, nous nous serions unis, nous aurions contenté nos tendresses. La vie à ses fatalités. Un soir, j’ai trouvé Laurence, la gorge découverte. J’ai eu l’imprudente confiance de vivre auprès de cette femme, et voilà que je l’ai aimée, aimée comme une vierge, avec tout mon cœur, toute ma pureté. Elle m’a rendu mes affections en souffrances et en désespoirs ; elle a eu la lâcheté de se laisser aimer, sans jamais aimer elle-même. Je me suis déchiré, devant cette âme morte, à vouloir me faire entendre. J’ai pleuré comme un enfant qui veut embrasser sa mère, se haussant sur ses petits pieds, ne pouvant atteindre le visage de celle qui est toute son espérance.

Je me disais ces choses dans cette nuit suprême, et je me disais encore qu’un jour je parlerais et que je ferais voir la vérité à mes frères, les cœurs de vingt ans. Je trouvais une grande leçon dans ma jeunesse perdue, dans mes amours brisées. Mon être entier répétait : Que n’es-tu resté là-bas, en Provence, dans les herbes hautes, sous les larges soleils ? Tu aurais grandi en honneur, en force. Et, lorsque tu es venu ici chercher la vie et la gloire, que ne t’es-tu gardé contre la boue de la ville ? Ne savais-tu pas que l’homme n’a pas deux jeunesses, ni deux amours ? Il te fallait vivre jeune, dans le travail, et aimer, dans la virginité.

Ceux qui acceptent sans larmes la vie que j’ai menée pendant un an, n’ont pas de cœur ; ceux qui pleurent comme j’ai pleuré, sortent de cette vie le corps brisé et l’âme mourante. Il faut donc tuer les Laurences, comme disait Jacques, puisqu’elles nous tuent notre chair et nos amours. Je ne suis qu’un enfant qui a souffert, je ne veux point prêcher ici. Mais je montre ma poitrine vide, mon être endolori et sanglant, je désire que mes plaies fassent frémir les garçons de mon âge et les arrêtent au seuil du gouffre. À ceux qui sont affolés de lumière et de pureté, je dirai : Prenez garde, vous entrez dans la nuit, dans la souillure. À ceux dont le cœur dort et qui ont l’indifférence du mal, je dirai : Puisque vous ne pouvez aimer, tâchez au moins de rester dignes et honnêtes.

La nuit était claire, je voyais jusqu’à Dieu. Marie, raide maintenant, dormait avec pesanteur ; le drap avait de longs plis secs et durs. Je songeais au néant, je pensais que nous aurions grand besoin d’une croyance, nous qui vivons dans l’espérance de demain et qui ne savons ce que sera demain. Si j’avais eu, au ciel ou ailleurs, un Dieu ami dont j’aie senti la main protectrice, je ne me serais peut-être pas laissé aller au vertige d’une passion mauvaise. J’aurais toujours eu des consolations, au milieu de mes larmes ; j’aurais usé mon trop d’amour dans la prière, au lieu de ne pouvoir le donner et de le sentir m’étouffer. Je m’étais abandonné, parce que je ne croyais qu’en moi et que j’avais perdu toute ma force. Je ne regrette pas d’obéir à ma raison, de vivre libre, n’ayant que le respect du vrai et du juste. Seulement, lorsque la fièvre me prend, lorsque je frissonne de faiblesse, j’ai peur, je deviens enfant ; je voudrais être sous le coup d’une fatalité divine, m’effacer, laisser Dieu agir en moi et pour moi.

Et je songeais à Marie, me demandant où était son être à cette heure. Dans la grande nature, sans doute. Je faisais ce rêve que chaque âme va au grand tout, que l’humanité morte n’est qu’un souffle immense, un seul esprit. Sur la terre, nous sommes séparés, nous nous ignorons, nous pleurons de ne pouvoir nous réunir ; au-delà de la vie, il y a pénétration complète, mariage de tous avec tous, amour unique et universel. Je regardais le ciel. Il me semblait voir, dans l’étendue calme et reposée, l’âme du monde, l’être éternel fait de tous les êtres. Alors, j’ai goûté une grande douceur ; je venais de dépasser la guérison, j’en étais au pardon et à la foi. Frères, ma jeunesse me souriait encore. J’ai songé qu’un jour nous nous trouverons unis tous quatre, Marie et Jacques, Laurence et moi ; nous nous comprendrons, nous nous pardonnerons ; nous nous aimerons sans avoir à entendre les sanglots de nos corps, et aurons une suprême paix à échanger ces tendresses que nous ne pouvions nous donner, lorsque nous vivions dans des chairs différentes.

La pensée qu’il y a malentendu sur la terre, et que tout s’explique ailleurs, m’a consolé. Je me suis dit que j’attendrais la mort pour aimer. Je me tenais debout, auprès de la fenêtre, en face du ciel, en face du cadavre de Marie, et, peu à peu, une fraîcheur douce, une espérance sans bornes me venaient de cette jeune fille morte et de ces espaces rêveurs.

Les bougies s’achevaient. La chambre avait un silence de plus en plus lourd, et les ombres grandissaient. Pâquerette dormait. Jacques n’avait pas bougé.

Il s’est levé brusquement, il a regardé autour de lui avec peur. Je l’ai vu se pencher sur le cadavre pour le baiser au front. La chair froide lui a donné un frisson. Alors il m’a aperçu. Il est venu à moi, hésitant, puis m’a tendu la main.

Je regardais cet homme que je ne pouvais comprendre, qui me paraissait aussi obscur que Laurence. J’ignorais s’il m’avait menti ou s’il avait voulu me sauver. Cet homme était venu me briser le cœur. Mais j’avais espéré, j’avais pardonné. J’ai pris sa main et la lui ai serrée.

Alors il s’en est allé, me remerciant du regard.

Le matin, je me suis trouvé au bord du lit de Marie, à genoux, pleurant encore, mais des larmes douces, attendries. Je pleurais sur cette pauvre fille que la mort avait emportée au printemps, ignorante des baisers d’amour.

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