Author: | Émile Faguet | ISBN: | 1230001168891 |
Publisher: | Émile Faguet | Publication: | June 7, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Émile Faguet |
ISBN: | 1230001168891 |
Publisher: | Émile Faguet |
Publication: | June 7, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
EXTRAIT:
I NIETZSCHE SE CHERCHE
Il arrive souvent, peut-être toujours, qu’en exposant ses idées un philosophe ne fait qu’analyser son caractère. Il arrive souvent, peut-être toujours, qu’un philosophe a pour point de départ ses sentiments ; puis, qu’étant doué, parce qu’il est philosophe, de la faculté de penser ses sentiments, il fait de ses sentiments des idées ; puis, qu’étant doué de la faculté de synthèse, il ramasse toutes ses idées, qui ne sont que des sentiments transformés, en une idée générale. — Puis, peut-être, il regarde autour de lui, il avise tout ce qui dans le monde des idées contrarie et gêne son idée générale et il en fait la critique, minutieuse, car il est dialecticien ; âpre et vigoureuse, parce que son idée générale n’est au fond qu’un sentiment auquel il tient et même une passion qui le domine ; puis il trouve, au cours de cette opération critique, des idées confirmatrices de sa pensée générale et il les accueille, et sa pensée générale devient système ; — et aussi, car il est loyal, des idées lui viennent qui sont en contradiction avec son système, et il ne les repousse point, car il aime les idées pour elles mêmes, mais il les jette comme en marge de son esprit, et du reste il cherche à les faire rentrer plus ou moins dans son système même ; — et enfin il a la conception que, le plus souvent, il ne peut réaliser ni même embrasser, d’un système qui dépasserait son système et pourrait accueillir dans son sein plus vaste toutes les idées, aussi bien celles qui lui furent hostiles que celles qui lui furent chères, qu’il a eues ; d’un système au delà de son système, d’une idée générale au delà de son idée générale ; et ce système il l’esquisse et cette idée il l’entrevoit et le plus souvent, surtout s’il meurt jeune, il reste au seuil de cette Terre promise, qu’il laisse à d’autres.
Et telle me semble bien avoir été la marche de Frédéric Nietzsche ; et en tout cas, telle sera la mienne en cheminant sur ses traces et en cherchant à les reconnaître ; tel sera le plan que je suivrai pour lire Nietzsche avec une certaine méthode. Mauvaise ou bonne ; mais il m’en faut une pour le lire d’une façon suivie, après l’avoir si souvent lu comme il écrivait, au hasard du jour et de l’heure.
Autant qu’on peut en conjecturer par ce qu’on sait de lui et par ce qu’il en a dit, Nietzsche était loyal, orgueilleux et agressif. — Il a bien d’autres traits de caractère, mais il faut se borner à l’essentiel pour voir clair et pour ne pas risquer de ne plus rien démêler à force de vouloir tout voir.
EXTRAIT:
I NIETZSCHE SE CHERCHE
Il arrive souvent, peut-être toujours, qu’en exposant ses idées un philosophe ne fait qu’analyser son caractère. Il arrive souvent, peut-être toujours, qu’un philosophe a pour point de départ ses sentiments ; puis, qu’étant doué, parce qu’il est philosophe, de la faculté de penser ses sentiments, il fait de ses sentiments des idées ; puis, qu’étant doué de la faculté de synthèse, il ramasse toutes ses idées, qui ne sont que des sentiments transformés, en une idée générale. — Puis, peut-être, il regarde autour de lui, il avise tout ce qui dans le monde des idées contrarie et gêne son idée générale et il en fait la critique, minutieuse, car il est dialecticien ; âpre et vigoureuse, parce que son idée générale n’est au fond qu’un sentiment auquel il tient et même une passion qui le domine ; puis il trouve, au cours de cette opération critique, des idées confirmatrices de sa pensée générale et il les accueille, et sa pensée générale devient système ; — et aussi, car il est loyal, des idées lui viennent qui sont en contradiction avec son système, et il ne les repousse point, car il aime les idées pour elles mêmes, mais il les jette comme en marge de son esprit, et du reste il cherche à les faire rentrer plus ou moins dans son système même ; — et enfin il a la conception que, le plus souvent, il ne peut réaliser ni même embrasser, d’un système qui dépasserait son système et pourrait accueillir dans son sein plus vaste toutes les idées, aussi bien celles qui lui furent hostiles que celles qui lui furent chères, qu’il a eues ; d’un système au delà de son système, d’une idée générale au delà de son idée générale ; et ce système il l’esquisse et cette idée il l’entrevoit et le plus souvent, surtout s’il meurt jeune, il reste au seuil de cette Terre promise, qu’il laisse à d’autres.
Et telle me semble bien avoir été la marche de Frédéric Nietzsche ; et en tout cas, telle sera la mienne en cheminant sur ses traces et en cherchant à les reconnaître ; tel sera le plan que je suivrai pour lire Nietzsche avec une certaine méthode. Mauvaise ou bonne ; mais il m’en faut une pour le lire d’une façon suivie, après l’avoir si souvent lu comme il écrivait, au hasard du jour et de l’heure.
Autant qu’on peut en conjecturer par ce qu’on sait de lui et par ce qu’il en a dit, Nietzsche était loyal, orgueilleux et agressif. — Il a bien d’autres traits de caractère, mais il faut se borner à l’essentiel pour voir clair et pour ne pas risquer de ne plus rien démêler à force de vouloir tout voir.