Éloge de l’âne

Fiction & Literature, Historical
Cover of the book Éloge de l’âne by JEAN-JOSEPH CAJOT, GILBERT TEROL
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Author: JEAN-JOSEPH CAJOT ISBN: 1230000213554
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 28, 2014
Imprint: Language: French
Author: JEAN-JOSEPH CAJOT
ISBN: 1230000213554
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 28, 2014
Imprint:
Language: French

Comme la plupart des disputes qui divisent les savants, ne viennent souvent que de ce que les mêmes mots ont différentes significations, je vais, pour éviter les schismes, commencer par expliquer ce que j’entends par un âne : cette méthode n’est peut-être pas admise dans l’Université de Babylone ; mais nos docteurs de Montmartre l’ont approuvée, je la respecterai toujours.

Les naturalistes distinguent deux sortes d’ânes : les sauvages et les privés. Il n’y a point de différence entre les sauvages : ils sont tous grands, beaux, faits au tour, et surtout fort légers. Il y en a beaucoup dans les déserts de la Lybie et de Numidie : ils sont gris et courent si vite qu’il n’y a que les chevaux barbent qui puissent les atteindre à la course ; lorsqu’ils voient un homme, ils jettent un cri, font une ruade, et ne fuient que lorsqu’on les approche. Ce sont les plus jolis ânes du monde ; ils sont sauvages, c’est leur seul défaut.

Les ânes privés se subdivisent en deux espèces : les ânes de Montmartre et les ânes de Babylone. Les premiers sont couverts de poil depuis la tête jusqu’aux pieds, portent les oreilles longues, marchent à quatre pattes, ont la physionomie un peu allongée, et la queue au bas du dos. Les autres ont les oreilles courtes, la tête ovale, le corps droit, ne marchent que sur deux pieds, et communément n’ont pas de queue.

On assure que cette dernière espèce se multiplie tous les jours. J’ai même entendu dire que depuis le commencement du dix-huitième siècle elle était augmentée des deux tiers. Les voyageurs rapportent qu’ils en ont vu qui avait de longs cheveux, une robe à grande manche et une petite pyramide sur la tête. D’autres ne marchent qu’à l’aide d’un bâton doré et recourbé par le bout. Il y en a qui ne parlent que de fièvres, de saignées, de purgations : ils donnent de grandes espérances aux vivants, et vivent aux dépens des morts. Ceux-ci ont une peau de bête sur le bras ; ceux-là un capuchon au milieu du dos… ; il en est de blonds, de bruns, de châtains, de tous âges, de toutes couleurs ; on en trouve à la cour, à la ville, dans les colléges, dans les assemblées. Ils foisonnent partout. J’en ai examiné un grand nombre, et j’ai remarqué qu’ils ressemblent assez à un certain animal qu’on appelle homme : je crois même que ce n’est qu’improprement qu’on les nomme des ânes : ce sont les plus sots animaux du monde.

Un excellent naturaliste a fait un très-beau traité sur cette espèce d’âne. Il soutient que ce sont des ânes dégénérés, abâtardis. Selon lui, l’être le plus parfait, la créature la plus accomplie est l’âne. Il prétend qu’au commencement du monde, tous les animaux ont été créés dans cet état de perfection ; mais s’étant écartés de la loi naturelle, pour suivre leurs caprices, ils ont insensiblement dégénéré et dégénèrent encore tous les jours de leur ancienne splendeur. En voulant corriger et rectifier la nature, soit dans le moral, soit dans le physique, ils sont devenus des monstres.

Quoiqu’il en soit de ce fameux systême, je déclare formellement que ce n’est point de cette race bâtarde dont j’entreprends l’éloge. C’est vous seuls, illustres baudets, premiers nés de la nature, que je veux célébrer. Tous les autres me sont indifférents. Puissent mes éloges les engager à vous imiter ! C’est tout ce que j’exige d’eux.

En vain cette race bâtarde s’arroge le droit de vous avilir, de vous mépriser : le parallèle que je vais faire de vos vertus et de ses défauts, va la confondre.

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Comme la plupart des disputes qui divisent les savants, ne viennent souvent que de ce que les mêmes mots ont différentes significations, je vais, pour éviter les schismes, commencer par expliquer ce que j’entends par un âne : cette méthode n’est peut-être pas admise dans l’Université de Babylone ; mais nos docteurs de Montmartre l’ont approuvée, je la respecterai toujours.

Les naturalistes distinguent deux sortes d’ânes : les sauvages et les privés. Il n’y a point de différence entre les sauvages : ils sont tous grands, beaux, faits au tour, et surtout fort légers. Il y en a beaucoup dans les déserts de la Lybie et de Numidie : ils sont gris et courent si vite qu’il n’y a que les chevaux barbent qui puissent les atteindre à la course ; lorsqu’ils voient un homme, ils jettent un cri, font une ruade, et ne fuient que lorsqu’on les approche. Ce sont les plus jolis ânes du monde ; ils sont sauvages, c’est leur seul défaut.

Les ânes privés se subdivisent en deux espèces : les ânes de Montmartre et les ânes de Babylone. Les premiers sont couverts de poil depuis la tête jusqu’aux pieds, portent les oreilles longues, marchent à quatre pattes, ont la physionomie un peu allongée, et la queue au bas du dos. Les autres ont les oreilles courtes, la tête ovale, le corps droit, ne marchent que sur deux pieds, et communément n’ont pas de queue.

On assure que cette dernière espèce se multiplie tous les jours. J’ai même entendu dire que depuis le commencement du dix-huitième siècle elle était augmentée des deux tiers. Les voyageurs rapportent qu’ils en ont vu qui avait de longs cheveux, une robe à grande manche et une petite pyramide sur la tête. D’autres ne marchent qu’à l’aide d’un bâton doré et recourbé par le bout. Il y en a qui ne parlent que de fièvres, de saignées, de purgations : ils donnent de grandes espérances aux vivants, et vivent aux dépens des morts. Ceux-ci ont une peau de bête sur le bras ; ceux-là un capuchon au milieu du dos… ; il en est de blonds, de bruns, de châtains, de tous âges, de toutes couleurs ; on en trouve à la cour, à la ville, dans les colléges, dans les assemblées. Ils foisonnent partout. J’en ai examiné un grand nombre, et j’ai remarqué qu’ils ressemblent assez à un certain animal qu’on appelle homme : je crois même que ce n’est qu’improprement qu’on les nomme des ânes : ce sont les plus sots animaux du monde.

Un excellent naturaliste a fait un très-beau traité sur cette espèce d’âne. Il soutient que ce sont des ânes dégénérés, abâtardis. Selon lui, l’être le plus parfait, la créature la plus accomplie est l’âne. Il prétend qu’au commencement du monde, tous les animaux ont été créés dans cet état de perfection ; mais s’étant écartés de la loi naturelle, pour suivre leurs caprices, ils ont insensiblement dégénéré et dégénèrent encore tous les jours de leur ancienne splendeur. En voulant corriger et rectifier la nature, soit dans le moral, soit dans le physique, ils sont devenus des monstres.

Quoiqu’il en soit de ce fameux systême, je déclare formellement que ce n’est point de cette race bâtarde dont j’entreprends l’éloge. C’est vous seuls, illustres baudets, premiers nés de la nature, que je veux célébrer. Tous les autres me sont indifférents. Puissent mes éloges les engager à vous imiter ! C’est tout ce que j’exige d’eux.

En vain cette race bâtarde s’arroge le droit de vous avilir, de vous mépriser : le parallèle que je vais faire de vos vertus et de ses défauts, va la confondre.

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