Author: | Théophile Gautier | ISBN: | 1230001737523 |
Publisher: | Théophile Gautier | Publication: | June 27, 2017 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Théophile Gautier |
ISBN: | 1230001737523 |
Publisher: | Théophile Gautier |
Publication: | June 27, 2017 |
Imprint: | |
Language: | French |
EXTRAIT:
EN AFRIQUE
I DE PARIS À MARSEILLE
Le mois de juin venait de finir, et l’été, sourd aux appels des pantalons de nankin et des paletots de coutil, ne se décidait pas à faire son entrée. Las de l’attendre, nous résolûmes d’aller au-devant de lui ; car nous commencions à ressentir les atteintes d’une maladie bizarre à laquelle nous sommes sujet, et que nous appellerons la maladie du bleu. Aucune nosographie n’en fait mention à notre connaissance. Elle se développe chez nous, après une saison pluvieuse, sous l’influence d’une atmosphère grise et attristée de brouillard ; nous tombons d’abord dans un dégoût de toutes choses, dans un marasme profond. Nos amis nous deviennent insupportables, les plus douces relations nous sont à charge, aucun livre ne nous amuse, nul spectacle ne nous distrait ; nous avons la nostalgie de l’azur : dans nos rêves, il nous semble être bercé par des vagues de saphir sous un ciel de turquoise. Nous sommes en proie à des hallucinations de cobalt, d’outremer et d’indigo ; et, comme dans la strophe de Byron, nous voyons s’élever, du bleu foncé de la mer vers le bleu foncé du ciel, des dentelures de villes éblouissantes de blancheur.
Tous ceux qui ont eu le bonheur, ou, si vous l’aimez mieux, le malheur d’aller en Espagne ou en Italie, à Cadix ou à Naples, nous comprendront sans peine ; on se sent exilé dans sa propre patrie ; et le seul remède au mal, c’est de partir du côté où vole l’hirondelle. Aussi, le 3 juillet, nous sentant mourir de mélancolie à l’aspect de ces nuages qu’aucun rayon de soleil ne vient jamais percer, nous grimpâmes dans la diligence de Châlon-sur-Saône en compagnie de notre excellent camarade Noël Parfait.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir découvert Châlon-sur-Saône, et la route par laquelle on y va n’a rien de fort curieux.
Qu’il vous suffise donc de savoir qu’au moment où la voiture nous déposa, le long du quai, près d’un pont orné de pyramides de pierre dont les pointes se découpaient sur la pâleur du matin comme les pieds d’une table renversée, la cheminée du bateau à vapeur qui devait nous conduire à Lyon crachait déjà des flots de fumée noire et blanche.
Il était cinq heures environ, et le jour venait de se lever, lorsque les palettes des roues commencèrent à battre les eaux de la Saône.
La Saône est une rivière endormie, d’une teinte jaunâtre, au cours huileux, qui ne semble pas pressée d’arriver ; — elle a raison, car ses rives sont charmantes. Ce sont d’abord des berges où descendent boire des troupeaux, où nagent dans l’herbe des vaches tachetées qui lèvent leur mufle au passage du bateau, et d’un air rêveur le regardent fuir. Puis les terrains se relèvent, les bords se coupent en escarpements plus abrupts ; de jolies collines, des coteaux modérés, pour employer le style de Sainte-Beuve, ondulent gracieusement à l’horizon.
EXTRAIT:
EN AFRIQUE
I DE PARIS À MARSEILLE
Le mois de juin venait de finir, et l’été, sourd aux appels des pantalons de nankin et des paletots de coutil, ne se décidait pas à faire son entrée. Las de l’attendre, nous résolûmes d’aller au-devant de lui ; car nous commencions à ressentir les atteintes d’une maladie bizarre à laquelle nous sommes sujet, et que nous appellerons la maladie du bleu. Aucune nosographie n’en fait mention à notre connaissance. Elle se développe chez nous, après une saison pluvieuse, sous l’influence d’une atmosphère grise et attristée de brouillard ; nous tombons d’abord dans un dégoût de toutes choses, dans un marasme profond. Nos amis nous deviennent insupportables, les plus douces relations nous sont à charge, aucun livre ne nous amuse, nul spectacle ne nous distrait ; nous avons la nostalgie de l’azur : dans nos rêves, il nous semble être bercé par des vagues de saphir sous un ciel de turquoise. Nous sommes en proie à des hallucinations de cobalt, d’outremer et d’indigo ; et, comme dans la strophe de Byron, nous voyons s’élever, du bleu foncé de la mer vers le bleu foncé du ciel, des dentelures de villes éblouissantes de blancheur.
Tous ceux qui ont eu le bonheur, ou, si vous l’aimez mieux, le malheur d’aller en Espagne ou en Italie, à Cadix ou à Naples, nous comprendront sans peine ; on se sent exilé dans sa propre patrie ; et le seul remède au mal, c’est de partir du côté où vole l’hirondelle. Aussi, le 3 juillet, nous sentant mourir de mélancolie à l’aspect de ces nuages qu’aucun rayon de soleil ne vient jamais percer, nous grimpâmes dans la diligence de Châlon-sur-Saône en compagnie de notre excellent camarade Noël Parfait.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir découvert Châlon-sur-Saône, et la route par laquelle on y va n’a rien de fort curieux.
Qu’il vous suffise donc de savoir qu’au moment où la voiture nous déposa, le long du quai, près d’un pont orné de pyramides de pierre dont les pointes se découpaient sur la pâleur du matin comme les pieds d’une table renversée, la cheminée du bateau à vapeur qui devait nous conduire à Lyon crachait déjà des flots de fumée noire et blanche.
Il était cinq heures environ, et le jour venait de se lever, lorsque les palettes des roues commencèrent à battre les eaux de la Saône.
La Saône est une rivière endormie, d’une teinte jaunâtre, au cours huileux, qui ne semble pas pressée d’arriver ; — elle a raison, car ses rives sont charmantes. Ce sont d’abord des berges où descendent boire des troupeaux, où nagent dans l’herbe des vaches tachetées qui lèvent leur mufle au passage du bateau, et d’un air rêveur le regardent fuir. Puis les terrains se relèvent, les bords se coupent en escarpements plus abrupts ; de jolies collines, des coteaux modérés, pour employer le style de Sainte-Beuve, ondulent gracieusement à l’horizon.