La Croix de Berny

Fiction & Literature, Classics, Historical
Cover of the book La Croix de Berny by Théophile Gautier, Delphine de Girardin, Jules Sandeau, Joseph Méry, Théophile Gautier
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Author: Théophile Gautier, Delphine de Girardin, Jules Sandeau, Joseph Méry ISBN: 1230001693737
Publisher: Théophile Gautier Publication: May 26, 2017
Imprint: Language: French
Author: Théophile Gautier, Delphine de Girardin, Jules Sandeau, Joseph Méry
ISBN: 1230001693737
Publisher: Théophile Gautier
Publication: May 26, 2017
Imprint:
Language: French

EXTRAIT:

I

 

À MADAME

MADAME LA VICOMTESSE DE BRAIMES

HÔTEL DE LA PRÉFECTURE,

À GRENOBLE (ISÈRE).

 

Paris, 16 mai 18…

Vous êtes une grande prophétesse, ma chère Valentine ; tout ce que vous avez prédit est arrivé : grâce à mon caractère incorrigible, me voici déjà dans la position la plus insupportablement fausse qu’un esprit raisonnable et un cœur romanesque aient jamais pu combiner. J’ai toujours été sincère avec vous, d’abord par nature et puis aussi par instinct ; il est si difficile de vous tromper, et je vous ai vue tant de fois ramener d’un seul regard dans le droit chemin de la franchise des confidences effarouchées qu’un peu de honte et d’orgueil commençaient à faire dévier. Je vous dirai donc toutes mes misères ; vos conseils peuvent encore me sauver. Vous comprendrez peut-être que je ne suis pas trop ridicule d’être si malheureuse d’un événement que tout le monde regarde comme un bonheur. Entraînée par ma faiblesse, ou plutôt par ma raison fatale, je me suis engagée… Oh ! mon Dieu ! c’est donc vrai que je suis engagée… à épouser le prince de Monbert. Si vous connaissiez ce jeune homme, vous ririez de ma tristesse et des airs désolés que je prends pour vous annoncer cette nouvelle. M. de Monbert est, de tous les jeunes gens de Paris, le plus spirituel, le plus aimable ; il est noble, dévoué, généreux ; il est charmant, et je l’aime ; lui seul me plaît ; je m’ennuie à mourir tous les jours où je ne le vois pas. Quand il est là, tout m’amuse ; je passe des heures entières à l’écouter ; je n’ai foi qu’en ses jugements ; je reconnais avec orgueil sa supériorité incontestable, je l’honore, je l’admire, et… je le répète, je l’aime… et cependant la promesse que j’ai faite de lui donner ma vie m’épouvante, et depuis un mois je n’ai qu’une pensée, c’est de retarder ce mariage que j’ai souhaité, c’est de fuir cet homme que j’ai choisi !… Et je m’inquiète… j’interroge mon cœur, mes souvenirs, mes rêves, je me demande la cause de cette inconcevable contradiction… je ne trouve, pour expliquer tant de craintes, que des niaiseries de pensionnaire, des enfantillages de poëte, dont une imagination allemande ne voudrait même pas, et que vous ne me pardonnerez que par pitié ; car vous m’aimez et vous me plaindrez de souffrir, bien que mes souffrances soient une folie.

Le croirez-vous, ma chère Valentine, je suis aujourd’hui plus à plaindre que je ne l’ai jamais été dans mes jours de misère et d’abandon. Moi, qui ai bravé avec tant de courage ce qu’on appelle les coups de l’adversité, je me sens faible et tremblante sous le poids d’une fortune trop belle. Cette destinée heureuse, dont je suis responsable, m’alarme bien plus aujourd’hui que ne m’alarmait il y a un an le sort malheureux qu’il me fallait subir malgré moi. 

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EXTRAIT:

I

 

À MADAME

MADAME LA VICOMTESSE DE BRAIMES

HÔTEL DE LA PRÉFECTURE,

À GRENOBLE (ISÈRE).

 

Paris, 16 mai 18…

Vous êtes une grande prophétesse, ma chère Valentine ; tout ce que vous avez prédit est arrivé : grâce à mon caractère incorrigible, me voici déjà dans la position la plus insupportablement fausse qu’un esprit raisonnable et un cœur romanesque aient jamais pu combiner. J’ai toujours été sincère avec vous, d’abord par nature et puis aussi par instinct ; il est si difficile de vous tromper, et je vous ai vue tant de fois ramener d’un seul regard dans le droit chemin de la franchise des confidences effarouchées qu’un peu de honte et d’orgueil commençaient à faire dévier. Je vous dirai donc toutes mes misères ; vos conseils peuvent encore me sauver. Vous comprendrez peut-être que je ne suis pas trop ridicule d’être si malheureuse d’un événement que tout le monde regarde comme un bonheur. Entraînée par ma faiblesse, ou plutôt par ma raison fatale, je me suis engagée… Oh ! mon Dieu ! c’est donc vrai que je suis engagée… à épouser le prince de Monbert. Si vous connaissiez ce jeune homme, vous ririez de ma tristesse et des airs désolés que je prends pour vous annoncer cette nouvelle. M. de Monbert est, de tous les jeunes gens de Paris, le plus spirituel, le plus aimable ; il est noble, dévoué, généreux ; il est charmant, et je l’aime ; lui seul me plaît ; je m’ennuie à mourir tous les jours où je ne le vois pas. Quand il est là, tout m’amuse ; je passe des heures entières à l’écouter ; je n’ai foi qu’en ses jugements ; je reconnais avec orgueil sa supériorité incontestable, je l’honore, je l’admire, et… je le répète, je l’aime… et cependant la promesse que j’ai faite de lui donner ma vie m’épouvante, et depuis un mois je n’ai qu’une pensée, c’est de retarder ce mariage que j’ai souhaité, c’est de fuir cet homme que j’ai choisi !… Et je m’inquiète… j’interroge mon cœur, mes souvenirs, mes rêves, je me demande la cause de cette inconcevable contradiction… je ne trouve, pour expliquer tant de craintes, que des niaiseries de pensionnaire, des enfantillages de poëte, dont une imagination allemande ne voudrait même pas, et que vous ne me pardonnerez que par pitié ; car vous m’aimez et vous me plaindrez de souffrir, bien que mes souffrances soient une folie.

Le croirez-vous, ma chère Valentine, je suis aujourd’hui plus à plaindre que je ne l’ai jamais été dans mes jours de misère et d’abandon. Moi, qui ai bravé avec tant de courage ce qu’on appelle les coups de l’adversité, je me sens faible et tremblante sous le poids d’une fortune trop belle. Cette destinée heureuse, dont je suis responsable, m’alarme bien plus aujourd’hui que ne m’alarmait il y a un an le sort malheureux qu’il me fallait subir malgré moi. 

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