Author: | Edmond About | ISBN: | 1230002999692 |
Publisher: | Paris, Michael Lévy frères, 1861 | Publication: | December 20, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Edmond About |
ISBN: | 1230002999692 |
Publisher: | Paris, Michael Lévy frères, 1861 |
Publication: | December 20, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Vous avez suivi notre pauvre Valentin depuis ses débuts jusqu’à sa mort, et je ne crois pas qu’il ait eu un ami plus dévoué que vous, si ce n’est moi....
Lorsqu’il nous arriva de Quevilly, fort ignorant de la vie et bon jeune homme dans toute la sincérité du mot, vous l’avez dissuadé, comme moi, de gaspiller son encre dans les journaux de tapage. Il nous échappa cependant, l’espace de deux ou trois mois ; mais il revint bientôt, désabusé et vieilli. Il a brûlé de ses propres mains les premières lettres qu’il avait publiées : c’est pourquoi vous ne les trouvez pas ici....
Un peu plus tard, quand un homme de bien et un publiciste éminent fonda l’Opinion nationale, Valentin fut assez heureux pour suivre la fortune de M. Guéroult et travailler sous sa direction. Durant une année, il publia, en style courant, et sous une forme un peu trop légère, des idées qui ne manquaient ni de hardiesse ni de maturité. Il donnait son avis sur la question du moment et ne craignait pas, à l’occasion, d’attacher le grelot. C’est ainsi qu’il eut le bonheur de provoquer l’arrêté ministériel qui arrachait à la destruction les tableaux du Louvre.
Si vous trouvez le temps de relire les vingt-quatre lettres que je publie aujourd’hui sous le patronage de votre amitié, vous reconnaîtrez que, pour un simple conscrit, notre ami avait fait une campagne assez honorable. Il avait pris parti pour Raphaël et Rubens contre M. Villot, pour la méthode Chevé contre la routine musicale, pour l’enseignement professionnel contre la routine universitaire, pour le libre échange contre la prohibition, pour les malheureux Parisiens contre le préfet de la Seine, pour le Trésor contre l’entreprise des Monnaies, pour les Italiens contre leurs maîtres, pour les médecins contre les homœopathes et pour la liberté de la presse contre vous savez qui.
Un penchant irrésistible, surtout dans les derniers mois de sa vie, l’entraînait vers les questions politiques. Mais il lui fut toujours difficile, pour ne pas dire impossible, de dire ouvertement ce qu’il pensait. Lorsqu’on écrit dans un journal et qu’on peut d’un seul mot ruiner une grande entreprise, on a les mains liées par l’intérêt d’autrui.
Valentin s’exprimait assez librement sur la politique étrangère. Il ne craignait point de publier ses sympathies pour les nations opprimées en Italie, en Hongrie et dans votre glorieuse et infortunée Pologne. Il a pu prédire aux Italiens une destinée qui s’accomplit aujourd’hui, et dessiner sur le papier la carte de l’Europe telle que nous la verrons dans trois ou quatre ans. Mais lorsqu’il touchait au gouvernement chatouilleux de la France, il avait beau prendre des gants de la peau la plus douce, il manquait rarement de se faire donner sur les doigts.
Cependant il n’était pas un révolutionnaire de la dangereuse espèce. Il pensait, je l’avoue, que la République est un bien joli gouvernement ; mais il croyait aussi qu’on doit prendre le temps comme il vient et tirer le meilleur parti possible du gouvernement que l’on a.
L’empereur Napoléon III ne lui ayant jamais fait ni bien ni mal, il le jugeait sans passion et ne voyait en lui ni un tyran ni un dieu. Une étude approfondie de l’histoire contemporaine l’avait conduit à supposer que la politique impériale, si ferme et si inflexible en apparence, pourrait bien être un roseau peint en fer. Il s’imaginait, bien à tort sans aucun doute, qu’il suffisait d’un choc, d’un souffle, d’un rien, pour faire pencher vers la révolution ou vers la réaction les maîtres d’un grand empire. Et le pauvre garçon écrivait naïvement ses petites lettres comme si elles avaient dû aller à Quevilly en passant par les Tuileries, Compiègne ou Saint-Cloud.
Quelquefois, pour faire excuser une vérité un peu hardie, il lançait deux ou trois mots polis à l’adresse des hommes qui nous gouvernent. Mais quel n’était pas son désappointement lorsqu’en lisant le journal il ne trouvait plus que les petits mots gracieux et nulle trace de cette vérité hardie qui devait passer sous le pavillon de la politesse ! Souvent aussi on lui rendait des articles tout entiers, que la direction prudentissime n’osait insérer dans le journal.
Ces contrariétés ne l’ont pas conduit au tombeau, car nous sommes loin de 1830, et l’on ne meurt plus pour si peu. Mais vous savez comme moi que notre ami s’est éteint assez tristement, peu satisfait de la vie et surtout de la politique, mécontent des idées et des personnages qui prévalaient alors et persuadé que les hommes ne sauraient être sains et bien portants dans un édifice sans toiture.
Pauvre Valentin ! c’est le 23 novembre qu’il est mort, à la veille de ces glorieux décrets qui lui auraient rendu le courage et la vie. J’achèverai sa tâche, si je le peux, maintenant qu’il est permis d’écrire.
Vous avez suivi notre pauvre Valentin depuis ses débuts jusqu’à sa mort, et je ne crois pas qu’il ait eu un ami plus dévoué que vous, si ce n’est moi....
Lorsqu’il nous arriva de Quevilly, fort ignorant de la vie et bon jeune homme dans toute la sincérité du mot, vous l’avez dissuadé, comme moi, de gaspiller son encre dans les journaux de tapage. Il nous échappa cependant, l’espace de deux ou trois mois ; mais il revint bientôt, désabusé et vieilli. Il a brûlé de ses propres mains les premières lettres qu’il avait publiées : c’est pourquoi vous ne les trouvez pas ici....
Un peu plus tard, quand un homme de bien et un publiciste éminent fonda l’Opinion nationale, Valentin fut assez heureux pour suivre la fortune de M. Guéroult et travailler sous sa direction. Durant une année, il publia, en style courant, et sous une forme un peu trop légère, des idées qui ne manquaient ni de hardiesse ni de maturité. Il donnait son avis sur la question du moment et ne craignait pas, à l’occasion, d’attacher le grelot. C’est ainsi qu’il eut le bonheur de provoquer l’arrêté ministériel qui arrachait à la destruction les tableaux du Louvre.
Si vous trouvez le temps de relire les vingt-quatre lettres que je publie aujourd’hui sous le patronage de votre amitié, vous reconnaîtrez que, pour un simple conscrit, notre ami avait fait une campagne assez honorable. Il avait pris parti pour Raphaël et Rubens contre M. Villot, pour la méthode Chevé contre la routine musicale, pour l’enseignement professionnel contre la routine universitaire, pour le libre échange contre la prohibition, pour les malheureux Parisiens contre le préfet de la Seine, pour le Trésor contre l’entreprise des Monnaies, pour les Italiens contre leurs maîtres, pour les médecins contre les homœopathes et pour la liberté de la presse contre vous savez qui.
Un penchant irrésistible, surtout dans les derniers mois de sa vie, l’entraînait vers les questions politiques. Mais il lui fut toujours difficile, pour ne pas dire impossible, de dire ouvertement ce qu’il pensait. Lorsqu’on écrit dans un journal et qu’on peut d’un seul mot ruiner une grande entreprise, on a les mains liées par l’intérêt d’autrui.
Valentin s’exprimait assez librement sur la politique étrangère. Il ne craignait point de publier ses sympathies pour les nations opprimées en Italie, en Hongrie et dans votre glorieuse et infortunée Pologne. Il a pu prédire aux Italiens une destinée qui s’accomplit aujourd’hui, et dessiner sur le papier la carte de l’Europe telle que nous la verrons dans trois ou quatre ans. Mais lorsqu’il touchait au gouvernement chatouilleux de la France, il avait beau prendre des gants de la peau la plus douce, il manquait rarement de se faire donner sur les doigts.
Cependant il n’était pas un révolutionnaire de la dangereuse espèce. Il pensait, je l’avoue, que la République est un bien joli gouvernement ; mais il croyait aussi qu’on doit prendre le temps comme il vient et tirer le meilleur parti possible du gouvernement que l’on a.
L’empereur Napoléon III ne lui ayant jamais fait ni bien ni mal, il le jugeait sans passion et ne voyait en lui ni un tyran ni un dieu. Une étude approfondie de l’histoire contemporaine l’avait conduit à supposer que la politique impériale, si ferme et si inflexible en apparence, pourrait bien être un roseau peint en fer. Il s’imaginait, bien à tort sans aucun doute, qu’il suffisait d’un choc, d’un souffle, d’un rien, pour faire pencher vers la révolution ou vers la réaction les maîtres d’un grand empire. Et le pauvre garçon écrivait naïvement ses petites lettres comme si elles avaient dû aller à Quevilly en passant par les Tuileries, Compiègne ou Saint-Cloud.
Quelquefois, pour faire excuser une vérité un peu hardie, il lançait deux ou trois mots polis à l’adresse des hommes qui nous gouvernent. Mais quel n’était pas son désappointement lorsqu’en lisant le journal il ne trouvait plus que les petits mots gracieux et nulle trace de cette vérité hardie qui devait passer sous le pavillon de la politesse ! Souvent aussi on lui rendait des articles tout entiers, que la direction prudentissime n’osait insérer dans le journal.
Ces contrariétés ne l’ont pas conduit au tombeau, car nous sommes loin de 1830, et l’on ne meurt plus pour si peu. Mais vous savez comme moi que notre ami s’est éteint assez tristement, peu satisfait de la vie et surtout de la politique, mécontent des idées et des personnages qui prévalaient alors et persuadé que les hommes ne sauraient être sains et bien portants dans un édifice sans toiture.
Pauvre Valentin ! c’est le 23 novembre qu’il est mort, à la veille de ces glorieux décrets qui lui auraient rendu le courage et la vie. J’achèverai sa tâche, si je le peux, maintenant qu’il est permis d’écrire.