Author: | Aimard Gustave | ISBN: | 1230001621297 |
Publisher: | YADE | Publication: | April 3, 2017 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Aimard Gustave |
ISBN: | 1230001621297 |
Publisher: | YADE |
Publication: | April 3, 2017 |
Imprint: | |
Language: | French |
LE FUGITIF
Les immenses forêts vierges qui couvraient le sol de l’Amérique septentrionale tendent de plus en plus à disparaître sous les coups pressés des haches des squatters et des pionniers américains dont l’insatiable activité recule de plus en plus vers l’ouest les bornes des déserts.
Des villes florissantes, des champs bien labourés et soigneusement ensemencés, occupent maintenant les régions où, il y a dix ans à peine, s’élevaient des forêts impénétrables dont les ramures séculaires ne laissaient que faiblement pénétrer les rayons du soleil, et dont les profondeurs inexplorées abritaient des animaux de toutes sortes, et servaient de retraites à des hordes d’Indiens nomades, dont les mœurs belliqueuses faisaient souvent retentir le cri de guerre sous ces dômes majestueux de verdure.
Maintenant les forêts sont tombées, leurs sombres habitants, repoussés peu à peu par la civilisation qui les poursuit sans relâche, ont fui pas à pas devant elle, ils ont été chercher au loin d’autres retraites plus sûres, en emportant avec eux les os de leurs pères, afin qu’ils ne fussent pas déterrés et profanés par le fer impitoyable de la charrue des blancs, qui trace son long et productif sillon sur leurs anciens territoires de chasse.
Ce déboisement continuel, ce défrichement incessant du continent américain est-il un mal ? Non, certes ; au contraire, le progrès qui marche à pas de géant et tend avant un siècle à transformer le sol du Nouveau-Monde a toutes nos sympathies ; cependant nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver un sentiment de douloureuse commisération pour cette race infortunée rejetée brutalement hors la loi, traquée sans pitié de tous les côtés, qui diminue chaque jour et est fatalement condamnée à disparaître bientôt de cette terre dont il y a quatre siècles au plus elle couvrait en masses innombrables l’immense territoire.
Peut-être, si le peuple choisi par Dieu pour opérer les changements que nous signalons avait compris sa mission, d’une œuvre de sang et de carnage aurait-il fait une œuvre de paix et de paternité, et s’armant des divins préceptes de l’Évangile, au lieu de saisir les rifles, les torches et les sabres, serait-il arrivé dans un temps donné à opérer une fusion des deux races, blanche et rouge, et à obtenir un résultat plus profitable au progrès, à la civilisation, et surtout à cette grande fraternité des peuples qu’il n’est permis à personne de mépriser, et dont ceux qui en oublient les préceptes divins et sacrés auront un jour à rendre un compte terrible.
On ne se fait pas impunément le meurtrier de toute une race, on ne se baigne pas sciemment dans le sang innocent, sans qu’enfin ce sang ne crie vengeance, et que le jour de la justice ne luise et ne vienne brusquement jeter son épée dans la balance entre les vainqueurs et les vaincus.
À l’époque où commence notre histoire, c’est-à-dire vers la fin de 1812, l’émigration n’avait pas pris encore cet immense accroissement qu’elle devait acquérir bientôt, elle ne faisait pour ainsi dire que commencer et les vastes forêts qui s’étendaient et couvraient un immense espace, entre les frontières des États Unis et du Mexique, n’étaient parcourues que par les pas furtifs des trafiquants et des coureurs des bois, ou par les mocksens silencieux des Peaux-Rouges.
C’est au milieu de l’une des immenses forêts dont nous venons de parler que commence notre récit, le 27 octobre 1812, vers trois heures de l’après-midi.
La chaleur avait été étouffante sous le couvert ; mais en ce moment les rayons de plus en plus obliques du soleil allongeaient les grandes ombres des arbres et la brise du soir qui venait de se lever rafraîchissait l’atmosphère et emportait au loin les nuées de moustiques qui pendant toute la matinée avaient bourdonné en tournoyant au-dessus des marécages des clairières.
C’était sur les bords d’un affluent perdu de l’Arkansas ; les arbres des deux rives inclinés doucement formaient un dôme épais de verdure au-dessus de ses eaux à peine ridées par le souffle inconstant de la brise : çà et là des flamants roses, des hérons blancs campés sur leurs longues pattes péchaient leur dîner avec cette insouciante mansuétude qui caractérise en général la race des grands échassiers ; mais soudain, ils s’arrêtèrent, tendirent le cou en avant, comme pour écouter quelque bruit insolite, et, se mettant subitement à courir pour prendre le vent, ils s’envolèrent avec des cris de frayeur.
Soudain un coup de feu éclata répété par les échos de la forêt : deux flamants tombèrent.
LE FUGITIF
Les immenses forêts vierges qui couvraient le sol de l’Amérique septentrionale tendent de plus en plus à disparaître sous les coups pressés des haches des squatters et des pionniers américains dont l’insatiable activité recule de plus en plus vers l’ouest les bornes des déserts.
Des villes florissantes, des champs bien labourés et soigneusement ensemencés, occupent maintenant les régions où, il y a dix ans à peine, s’élevaient des forêts impénétrables dont les ramures séculaires ne laissaient que faiblement pénétrer les rayons du soleil, et dont les profondeurs inexplorées abritaient des animaux de toutes sortes, et servaient de retraites à des hordes d’Indiens nomades, dont les mœurs belliqueuses faisaient souvent retentir le cri de guerre sous ces dômes majestueux de verdure.
Maintenant les forêts sont tombées, leurs sombres habitants, repoussés peu à peu par la civilisation qui les poursuit sans relâche, ont fui pas à pas devant elle, ils ont été chercher au loin d’autres retraites plus sûres, en emportant avec eux les os de leurs pères, afin qu’ils ne fussent pas déterrés et profanés par le fer impitoyable de la charrue des blancs, qui trace son long et productif sillon sur leurs anciens territoires de chasse.
Ce déboisement continuel, ce défrichement incessant du continent américain est-il un mal ? Non, certes ; au contraire, le progrès qui marche à pas de géant et tend avant un siècle à transformer le sol du Nouveau-Monde a toutes nos sympathies ; cependant nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver un sentiment de douloureuse commisération pour cette race infortunée rejetée brutalement hors la loi, traquée sans pitié de tous les côtés, qui diminue chaque jour et est fatalement condamnée à disparaître bientôt de cette terre dont il y a quatre siècles au plus elle couvrait en masses innombrables l’immense territoire.
Peut-être, si le peuple choisi par Dieu pour opérer les changements que nous signalons avait compris sa mission, d’une œuvre de sang et de carnage aurait-il fait une œuvre de paix et de paternité, et s’armant des divins préceptes de l’Évangile, au lieu de saisir les rifles, les torches et les sabres, serait-il arrivé dans un temps donné à opérer une fusion des deux races, blanche et rouge, et à obtenir un résultat plus profitable au progrès, à la civilisation, et surtout à cette grande fraternité des peuples qu’il n’est permis à personne de mépriser, et dont ceux qui en oublient les préceptes divins et sacrés auront un jour à rendre un compte terrible.
On ne se fait pas impunément le meurtrier de toute une race, on ne se baigne pas sciemment dans le sang innocent, sans qu’enfin ce sang ne crie vengeance, et que le jour de la justice ne luise et ne vienne brusquement jeter son épée dans la balance entre les vainqueurs et les vaincus.
À l’époque où commence notre histoire, c’est-à-dire vers la fin de 1812, l’émigration n’avait pas pris encore cet immense accroissement qu’elle devait acquérir bientôt, elle ne faisait pour ainsi dire que commencer et les vastes forêts qui s’étendaient et couvraient un immense espace, entre les frontières des États Unis et du Mexique, n’étaient parcourues que par les pas furtifs des trafiquants et des coureurs des bois, ou par les mocksens silencieux des Peaux-Rouges.
C’est au milieu de l’une des immenses forêts dont nous venons de parler que commence notre récit, le 27 octobre 1812, vers trois heures de l’après-midi.
La chaleur avait été étouffante sous le couvert ; mais en ce moment les rayons de plus en plus obliques du soleil allongeaient les grandes ombres des arbres et la brise du soir qui venait de se lever rafraîchissait l’atmosphère et emportait au loin les nuées de moustiques qui pendant toute la matinée avaient bourdonné en tournoyant au-dessus des marécages des clairières.
C’était sur les bords d’un affluent perdu de l’Arkansas ; les arbres des deux rives inclinés doucement formaient un dôme épais de verdure au-dessus de ses eaux à peine ridées par le souffle inconstant de la brise : çà et là des flamants roses, des hérons blancs campés sur leurs longues pattes péchaient leur dîner avec cette insouciante mansuétude qui caractérise en général la race des grands échassiers ; mais soudain, ils s’arrêtèrent, tendirent le cou en avant, comme pour écouter quelque bruit insolite, et, se mettant subitement à courir pour prendre le vent, ils s’envolèrent avec des cris de frayeur.
Soudain un coup de feu éclata répété par les échos de la forêt : deux flamants tombèrent.