Les Mémoires de mon ami

Fiction & Literature, Historical
Cover of the book Les Mémoires de mon ami by Octave Mirbeau, E H
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Author: Octave Mirbeau ISBN: 1230001302769
Publisher: E H Publication: March 12, 2016
Imprint: Language: French
Author: Octave Mirbeau
ISBN: 1230001302769
Publisher: E H
Publication: March 12, 2016
Imprint:
Language: French

Mon ami Charles L… est mort, la semaine dernière. Quand je dis que Charles L… fut mon ami, c’est beaucoup dire. Notre amitié consistait surtout à nous voir si rarement ! Tous les cinq ou six ans, nous nous rencontrions, par hasard, toujours courant, nous causions cinq minutes, à peine.

— Quel bon vent ?

— On ne se voit jamais !

— Que veux-tu ? C’est la vie !

— Il faudrait pourtant se voir un peu !

— Certainement !

— De vieux amis comme nous, c’est dégoûtant !

— Alors, à bientôt, n’est-ce pas ?

— À bientôt !

Et nous en avions pour cinq autres années à attendre le nouveau hasard d’une nouvelle rencontre !

— Quel plaisir de se revoir, hein ?

— Ne m’en parle pas ! Et qu’est-ce que tu fais ?

— Toujours la même chose ! Et toi ?

— Moi aussi ! Il faudrait pourtant se voir un peu !

— Ça oui, par exemple !

— Un de ces jours, hein ?

— C’est ça ! Un de ces jours, mon vieux ! Ah ! nous en avons des choses à nous dire ! Crois-tu ?

— Depuis le temps ! À un de ces jours !

Et nous étions aussi ignorants, aussi ignorés l’un de l’autre que si nous vivions, lui au fond de l’Australie, moi dans les glaces de la Laponie.

Tout ce que je soupçonnais de lui, c’est qu’il était un de ces braves gens dont il n’y a pas grand’chose à dire, sinon que ce sont des braves gens ! Et je n’en dirais rien, si sa veuve n’était venue me voir. Je ne la connaissais pas. C’était une petite bonne femme, sèche et pointue, avec des bandeaux gris, et une bouche si mince que, lorsqu’elle la fermait, on ne pouvait distinguer à première vue le trait des lèvres.

— Ah ! monsieur, me dit-elle, c’est un grand malheur pour moi, je vous assure !

Sa voix sans timbre m’étonna.

— Quand on a vécu si longtemps ensemble, continua-t-elle… une séparation si brusque… on a de la peine à s’y faire !

— Je vous crois, madame, et je vous plains infiniment.

Je la priai de s’asseoir. Elle ouvrit son châle, et j’aperçus un gros paquet, entouré de papier prune, qu’elle portait sous son bras.

— C’est un manuscrit fit-elle en le posant sur ses genoux.

Elle ne vit pas, sans doute, l’expression de terreur qui se peignit sur mon visage, à ce seul nom de manuscrit, car elle poursuivit :

— Je l’ai trouvé dans un tiroir, ce matin. Lui aussi, monsieur, il écrivait ! Il écrivait ses mémoires ! J’aurais pensé à tout de sa part, excepté à cela. Il n’avait pas l’air de quelqu’un qui écrit des livres, bien sûr ! Car, enfin, vous qui le connaissiez beaucoup, qui étiez son meilleur ami, vous devez savoir qu’il n’était pas fort, le pauvre homme !

Je m’inclinai avec un geste vague.

— Ah ! ce qu’il en a commis des bêtises, dans sa vie, non par méchanceté — il n’était pas méchant pour deux sous, — mais parce qu’il n’avait pas de jugement, pas d’intelligence ! C’était… enfin… quoi, c’était rien du tout !

Et elle soupira :

— Ah ! je n’ai pas toujours été heureuse avec lui.

Je craignis des confidences que je n’étais pas en humeur d’écouter. Et je ramenai à son point de départ la conversation qui menaçait de s’égarer dans les maquis du sentiment.

— Enfin, demandai-je, que voulez-vous de moi ? Et pourquoi m’apporter ce manuscrit ?

— Je voudrais, répondit-elle, que vous le lisiez. Mon Dieu ! je me doute bien que ce n’est guère intéressant. Si c’est sa vie qu’il raconte, là-dedans, ça ne doit pas être drôle ! Pourtant, on ne sait jamais ! Et puis, il m’a dit bien des fois que vous étiez son meilleur ami. Il avait pour vous une admiration sans bornes !...

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Mon ami Charles L… est mort, la semaine dernière. Quand je dis que Charles L… fut mon ami, c’est beaucoup dire. Notre amitié consistait surtout à nous voir si rarement ! Tous les cinq ou six ans, nous nous rencontrions, par hasard, toujours courant, nous causions cinq minutes, à peine.

— Quel bon vent ?

— On ne se voit jamais !

— Que veux-tu ? C’est la vie !

— Il faudrait pourtant se voir un peu !

— Certainement !

— De vieux amis comme nous, c’est dégoûtant !

— Alors, à bientôt, n’est-ce pas ?

— À bientôt !

Et nous en avions pour cinq autres années à attendre le nouveau hasard d’une nouvelle rencontre !

— Quel plaisir de se revoir, hein ?

— Ne m’en parle pas ! Et qu’est-ce que tu fais ?

— Toujours la même chose ! Et toi ?

— Moi aussi ! Il faudrait pourtant se voir un peu !

— Ça oui, par exemple !

— Un de ces jours, hein ?

— C’est ça ! Un de ces jours, mon vieux ! Ah ! nous en avons des choses à nous dire ! Crois-tu ?

— Depuis le temps ! À un de ces jours !

Et nous étions aussi ignorants, aussi ignorés l’un de l’autre que si nous vivions, lui au fond de l’Australie, moi dans les glaces de la Laponie.

Tout ce que je soupçonnais de lui, c’est qu’il était un de ces braves gens dont il n’y a pas grand’chose à dire, sinon que ce sont des braves gens ! Et je n’en dirais rien, si sa veuve n’était venue me voir. Je ne la connaissais pas. C’était une petite bonne femme, sèche et pointue, avec des bandeaux gris, et une bouche si mince que, lorsqu’elle la fermait, on ne pouvait distinguer à première vue le trait des lèvres.

— Ah ! monsieur, me dit-elle, c’est un grand malheur pour moi, je vous assure !

Sa voix sans timbre m’étonna.

— Quand on a vécu si longtemps ensemble, continua-t-elle… une séparation si brusque… on a de la peine à s’y faire !

— Je vous crois, madame, et je vous plains infiniment.

Je la priai de s’asseoir. Elle ouvrit son châle, et j’aperçus un gros paquet, entouré de papier prune, qu’elle portait sous son bras.

— C’est un manuscrit fit-elle en le posant sur ses genoux.

Elle ne vit pas, sans doute, l’expression de terreur qui se peignit sur mon visage, à ce seul nom de manuscrit, car elle poursuivit :

— Je l’ai trouvé dans un tiroir, ce matin. Lui aussi, monsieur, il écrivait ! Il écrivait ses mémoires ! J’aurais pensé à tout de sa part, excepté à cela. Il n’avait pas l’air de quelqu’un qui écrit des livres, bien sûr ! Car, enfin, vous qui le connaissiez beaucoup, qui étiez son meilleur ami, vous devez savoir qu’il n’était pas fort, le pauvre homme !

Je m’inclinai avec un geste vague.

— Ah ! ce qu’il en a commis des bêtises, dans sa vie, non par méchanceté — il n’était pas méchant pour deux sous, — mais parce qu’il n’avait pas de jugement, pas d’intelligence ! C’était… enfin… quoi, c’était rien du tout !

Et elle soupira :

— Ah ! je n’ai pas toujours été heureuse avec lui.

Je craignis des confidences que je n’étais pas en humeur d’écouter. Et je ramenai à son point de départ la conversation qui menaçait de s’égarer dans les maquis du sentiment.

— Enfin, demandai-je, que voulez-vous de moi ? Et pourquoi m’apporter ce manuscrit ?

— Je voudrais, répondit-elle, que vous le lisiez. Mon Dieu ! je me doute bien que ce n’est guère intéressant. Si c’est sa vie qu’il raconte, là-dedans, ça ne doit pas être drôle ! Pourtant, on ne sait jamais ! Et puis, il m’a dit bien des fois que vous étiez son meilleur ami. Il avait pour vous une admiration sans bornes !...

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