La Conquête de Plassans

Fiction & Literature, Classics, Romance
Cover of the book La Conquête de Plassans by Émile Zola, Consumer Oriented Ebooks Publisher
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Author: Émile Zola ISBN: 1230000734851
Publisher: Consumer Oriented Ebooks Publisher Publication: October 22, 2015
Imprint: Language: French
Author: Émile Zola
ISBN: 1230000734851
Publisher: Consumer Oriented Ebooks Publisher
Publication: October 22, 2015
Imprint:
Language: French

Désirée battit des mains. C'était une enfant de quatorze ans, forte
pour son âge, et qui avait un rire de petite fille de cinq ans.

--Maman, maman! cria-t-elle, vois ma poupée!

Elle avait pris à sa mère un chiffon, dont elle travaillait depuis un
quart d'heure à faire une poupée, en le roulant et en l'étranglant
par un bout, à l'aide d'un brin de fil. Marthe leva les yeux du bas
qu'elle raccommodait avec des délicatesses de broderie. Elle sourit à
Désirée.

--C'est un poupon, ça! dit-elle. Tiens, fais une poupée. Tu sais, il
faut qu'elle ait une jupe, comme une dame.

Elle lui donna une rognure d'indienne qu'elle trouva dans sa table à
ouvrage; puis, elle se remit à son bas, soigneusement. Elles étaient
toutes deux assises, à un bout de l'étroite terrasse, la fille sur
un tabouret, aux pieds de la mère. Le soleil couchant, un soleil de
septembre, chaud encore, les baignait d'une lumière tranquille; tandis
que, devant elles, le jardin, déjà dans une ombre grise, s'endormait.
Pas un bruit, au dehors, ne montait de ce coin désert de la ville.

Cependant, elles travaillèrent dix grandes minutes en silence. Désirée
se donnait une peine infinie pour faire une jupe à sa poupée. Par
moments, Marthe levait la tête, regardait l'enfant avec une tendresse
un peu triste. Comme elle la voyait très-embarrassée:

--Attends, reprit-elle; je vais lui mettre les bras, moi.

Elle prenait la poupée, lorsque deux grands garçons de dix-sept et
dix-huit ans descendirent le perron. Ils vinrent embrasser Marthe.

--Ne nous gronde pas, maman, dit gaiement Octave. C'est moi qui
ai mené Serge à la musique.... Il y avait un monde, sur le cours
Sauvaire!

--Je vous ai crus retenus au collège, murmura la mère; sans cela,
j'aurais été bien inquiète.

Mais Désirée, sans plus songer à la poupée, s'était jetée au cou de
Serge, en lui criant:

--J'ai un oiseau qui s'est envolé, le bleu, celui dont tu m'avais fait
cadeau.

Elle avait une grosse envie de pleurer. Sa mère, qui croyait ce
chagrin oublié, eut beau lui montrer la poupée. Elle tenait le bras de
son frère, elle répétait, en l'entraînant vers le jardin:

--Viens voir.

Serge, avec sa douceur complaisante, la suivit, cherchant à la
consoler. Elle le conduisit à une petite serre, devant laquelle
se trouvait une cage posée sur un pied. Là, elle lui expliqua que
l'oiseau s'était sauvé au moment où elle avait ouvert la porte pour
l'empêcher de se battre avec un autre.

--Pardi! ce n'est pas étonnant, cria Octave, qui s'était assis sur la
rampe de la terrasse: elle est toujours à les toucher, elle regarde
comment ils sont faits et ce qu'ils ont dans le gosier pour chanter.
L'autre jour, elle les a promenés toute une après-midi dans ses
poches, afin qu'ils aient bien chaud.

--Octave!... dit Marthe d'un ton de reproche; ne la tourmente pas, la
pauvre enfant.

Désirée n'avait pas entendu. Elle racontait à Serge, avec de longs
détails, de quelle façon l'oiseau s'était envolé.

--Vois-tu, il a glissé comme ça, il est allé se poser à côté, sur le
grand poirier de monsieur Rastoil. De là, il a sauté sur le prunier,
au fond. Puis il a repassé sur ma tête, et il est entré dans les
grands arbres de la sous-préfecture, où je ne l'ai plus vu, non, plus
du tout.

Des larmes parurent au bord de ses yeux.

--Il reviendra peut-être, hasarda Serge.

--Tu crois?... J'ai envie de mettre les autres dans une boîte et de
laisser la cage ouverte toute la nuit.

Octave ne put s'empêcher de rire; mais Marthe rappela Désirée.

--Viens donc voir, viens donc voir!

Et elle lui présenta la poupée. La poupée était superbe; elle avait
une jupe roide, une tête formée d'un tampon d'étoffe, des bras faits
d'une lisière cousue aux épaules. Le visage de Désirée s'éclaira
d'une joie subite. Elle se rassit sur le tabouret, ne pensant plus
à l'oiseau, baisant la poupée, la berçant dans sa main, avec une
puérilité de gamine.

Serge était venu s'accouder près de son frère. Marthe avait repris son
bas.

--Alors, demanda-t-elle, la musique a joué?

--Elle joue tous les jeudis, répondit Octave. Tu as tort, maman, de ne
pas venir. Toute la ville est là, les demoiselles Rastoil, madame de
Condamin, monsieur Paloque, la femme et la fille du maire... Pourquoi
ne viens-tu pas? Marthe ne leva pas les yeux; elle murmura, en
achevant une reprise:

--Vous savez bien, mes enfants, que je n'aime pas sortir. Je suis si
tranquille, ici. Puis, il faut que quelqu'un reste avec Désirée.

Octave ouvrait les lèvres, mais il regarda sa soeur et se tut. Il
demeura là, sifflant doucement, levant les yeux sur les arbres de la
préfecture, pleins du tapage des pierrots qui se couchaient, examinant
les poiriers de M. Rastoil, derrière lesquels descendait le soleil.
Serge avait sorti de sa poche un livre qu'il lisait attentivement.
Il y eut un silence recueilli, chaud d'une tendresse muette, dans la
bonne lumière jaune qui pâlissait peu à peu sur la terrasse. Marthe,
couvant du regard ses trois enfants, au milieu de cette paix du soir,
tirait de grandes aiguillées régulières.

--Tout le monde est donc en retard aujourd'hui? reprit-elle au bout
d'un instant. Il est près de dix heures, et votre père ne rentre
pas.... Je crois qu'il est allé du côté des Tulettes.

--Ah bien! dit Octave, ce n'est pas étonnant, alors.... Les paysans
des Tulettes ne le lâchent plus, quand ils le tiennent.... Est-ce pour
un achat de vin?

--Je l'ignore, répondit Marthe; vous savez qu'il n'aime pas à parler
de ses affaires.

Un silence se fit de nouveau. Dans la salle à manger, dont la fenêtre
était grande ouverte sur la terrasse, la vieille Rose, depuis un
moment, mettait le couvert, avec des bruits irrités de vaisselle et
d'argenterie. Elle paraissait de fort méchante humeur, bousculant
les meubles, grommelant des paroles entrecoupées. Puis elle alla se
planter à la porte de la rue, allongeant le cou, regardant au loin la
place de la Sous-Préfecture. Après quelques minutes d'attente, elle
vint sur le perron, criant:

 --Alors, monsieur Mouret ne rentrera pas dîner?

--Si, Rose, attendez, répondit Marthe paisiblement.

--C'est que tout brûle. Il n'y a pas de bon sens. Quand monsieur fait
de ces tours-là, il devrait bien prévenir.... Moi, ça m'est égal, après
tout. Le dîner ne sera pas mangeable.

--Tu crois, Rose? dit derrière elle une voix tranquille. Nous le
mangerons tout de même, ton dîner.

C'était Mouret qui rentrait. Rosé se tourna, regarda son maître en
face, comme sur le point d'éclater; mais, devant le calme absolu de
ce visage où perçait une pointe de goguenarderie bourgeoise, elle
ne trouva pas une parole, elle s'en alla. Mouret descendit sur la
terrasse, où il piétina, sans s'asseoir. Il se contenta de donner,
du bout des doigts, une petite tape sur la joue de Désirée, qui lui
sourit. Marthe avait levé les yeux; puis, après avoir regardé son
mari, elle s'était mise à ranger son ouvrage dans sa table.

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Désirée battit des mains. C'était une enfant de quatorze ans, forte
pour son âge, et qui avait un rire de petite fille de cinq ans.

--Maman, maman! cria-t-elle, vois ma poupée!

Elle avait pris à sa mère un chiffon, dont elle travaillait depuis un
quart d'heure à faire une poupée, en le roulant et en l'étranglant
par un bout, à l'aide d'un brin de fil. Marthe leva les yeux du bas
qu'elle raccommodait avec des délicatesses de broderie. Elle sourit à
Désirée.

--C'est un poupon, ça! dit-elle. Tiens, fais une poupée. Tu sais, il
faut qu'elle ait une jupe, comme une dame.

Elle lui donna une rognure d'indienne qu'elle trouva dans sa table à
ouvrage; puis, elle se remit à son bas, soigneusement. Elles étaient
toutes deux assises, à un bout de l'étroite terrasse, la fille sur
un tabouret, aux pieds de la mère. Le soleil couchant, un soleil de
septembre, chaud encore, les baignait d'une lumière tranquille; tandis
que, devant elles, le jardin, déjà dans une ombre grise, s'endormait.
Pas un bruit, au dehors, ne montait de ce coin désert de la ville.

Cependant, elles travaillèrent dix grandes minutes en silence. Désirée
se donnait une peine infinie pour faire une jupe à sa poupée. Par
moments, Marthe levait la tête, regardait l'enfant avec une tendresse
un peu triste. Comme elle la voyait très-embarrassée:

--Attends, reprit-elle; je vais lui mettre les bras, moi.

Elle prenait la poupée, lorsque deux grands garçons de dix-sept et
dix-huit ans descendirent le perron. Ils vinrent embrasser Marthe.

--Ne nous gronde pas, maman, dit gaiement Octave. C'est moi qui
ai mené Serge à la musique.... Il y avait un monde, sur le cours
Sauvaire!

--Je vous ai crus retenus au collège, murmura la mère; sans cela,
j'aurais été bien inquiète.

Mais Désirée, sans plus songer à la poupée, s'était jetée au cou de
Serge, en lui criant:

--J'ai un oiseau qui s'est envolé, le bleu, celui dont tu m'avais fait
cadeau.

Elle avait une grosse envie de pleurer. Sa mère, qui croyait ce
chagrin oublié, eut beau lui montrer la poupée. Elle tenait le bras de
son frère, elle répétait, en l'entraînant vers le jardin:

--Viens voir.

Serge, avec sa douceur complaisante, la suivit, cherchant à la
consoler. Elle le conduisit à une petite serre, devant laquelle
se trouvait une cage posée sur un pied. Là, elle lui expliqua que
l'oiseau s'était sauvé au moment où elle avait ouvert la porte pour
l'empêcher de se battre avec un autre.

--Pardi! ce n'est pas étonnant, cria Octave, qui s'était assis sur la
rampe de la terrasse: elle est toujours à les toucher, elle regarde
comment ils sont faits et ce qu'ils ont dans le gosier pour chanter.
L'autre jour, elle les a promenés toute une après-midi dans ses
poches, afin qu'ils aient bien chaud.

--Octave!... dit Marthe d'un ton de reproche; ne la tourmente pas, la
pauvre enfant.

Désirée n'avait pas entendu. Elle racontait à Serge, avec de longs
détails, de quelle façon l'oiseau s'était envolé.

--Vois-tu, il a glissé comme ça, il est allé se poser à côté, sur le
grand poirier de monsieur Rastoil. De là, il a sauté sur le prunier,
au fond. Puis il a repassé sur ma tête, et il est entré dans les
grands arbres de la sous-préfecture, où je ne l'ai plus vu, non, plus
du tout.

Des larmes parurent au bord de ses yeux.

--Il reviendra peut-être, hasarda Serge.

--Tu crois?... J'ai envie de mettre les autres dans une boîte et de
laisser la cage ouverte toute la nuit.

Octave ne put s'empêcher de rire; mais Marthe rappela Désirée.

--Viens donc voir, viens donc voir!

Et elle lui présenta la poupée. La poupée était superbe; elle avait
une jupe roide, une tête formée d'un tampon d'étoffe, des bras faits
d'une lisière cousue aux épaules. Le visage de Désirée s'éclaira
d'une joie subite. Elle se rassit sur le tabouret, ne pensant plus
à l'oiseau, baisant la poupée, la berçant dans sa main, avec une
puérilité de gamine.

Serge était venu s'accouder près de son frère. Marthe avait repris son
bas.

--Alors, demanda-t-elle, la musique a joué?

--Elle joue tous les jeudis, répondit Octave. Tu as tort, maman, de ne
pas venir. Toute la ville est là, les demoiselles Rastoil, madame de
Condamin, monsieur Paloque, la femme et la fille du maire... Pourquoi
ne viens-tu pas? Marthe ne leva pas les yeux; elle murmura, en
achevant une reprise:

--Vous savez bien, mes enfants, que je n'aime pas sortir. Je suis si
tranquille, ici. Puis, il faut que quelqu'un reste avec Désirée.

Octave ouvrait les lèvres, mais il regarda sa soeur et se tut. Il
demeura là, sifflant doucement, levant les yeux sur les arbres de la
préfecture, pleins du tapage des pierrots qui se couchaient, examinant
les poiriers de M. Rastoil, derrière lesquels descendait le soleil.
Serge avait sorti de sa poche un livre qu'il lisait attentivement.
Il y eut un silence recueilli, chaud d'une tendresse muette, dans la
bonne lumière jaune qui pâlissait peu à peu sur la terrasse. Marthe,
couvant du regard ses trois enfants, au milieu de cette paix du soir,
tirait de grandes aiguillées régulières.

--Tout le monde est donc en retard aujourd'hui? reprit-elle au bout
d'un instant. Il est près de dix heures, et votre père ne rentre
pas.... Je crois qu'il est allé du côté des Tulettes.

--Ah bien! dit Octave, ce n'est pas étonnant, alors.... Les paysans
des Tulettes ne le lâchent plus, quand ils le tiennent.... Est-ce pour
un achat de vin?

--Je l'ignore, répondit Marthe; vous savez qu'il n'aime pas à parler
de ses affaires.

Un silence se fit de nouveau. Dans la salle à manger, dont la fenêtre
était grande ouverte sur la terrasse, la vieille Rose, depuis un
moment, mettait le couvert, avec des bruits irrités de vaisselle et
d'argenterie. Elle paraissait de fort méchante humeur, bousculant
les meubles, grommelant des paroles entrecoupées. Puis elle alla se
planter à la porte de la rue, allongeant le cou, regardant au loin la
place de la Sous-Préfecture. Après quelques minutes d'attente, elle
vint sur le perron, criant:

 --Alors, monsieur Mouret ne rentrera pas dîner?

--Si, Rose, attendez, répondit Marthe paisiblement.

--C'est que tout brûle. Il n'y a pas de bon sens. Quand monsieur fait
de ces tours-là, il devrait bien prévenir.... Moi, ça m'est égal, après
tout. Le dîner ne sera pas mangeable.

--Tu crois, Rose? dit derrière elle une voix tranquille. Nous le
mangerons tout de même, ton dîner.

C'était Mouret qui rentrait. Rosé se tourna, regarda son maître en
face, comme sur le point d'éclater; mais, devant le calme absolu de
ce visage où perçait une pointe de goguenarderie bourgeoise, elle
ne trouva pas une parole, elle s'en alla. Mouret descendit sur la
terrasse, où il piétina, sans s'asseoir. Il se contenta de donner,
du bout des doigts, une petite tape sur la joue de Désirée, qui lui
sourit. Marthe avait levé les yeux; puis, après avoir regardé son
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