Author: | Alphonse Daudet | ISBN: | 1230000628914 |
Publisher: | pb | Publication: | August 25, 2015 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Alphonse Daudet |
ISBN: | 1230000628914 |
Publisher: | pb |
Publication: | August 25, 2015 |
Imprint: | |
Language: | French |
Ah ! sans grand-mère, alors, qu’est-ce qu’on serait devenu, sans
grand-mère et son vaillant petit crochet, qu’elle accélérait jour et nuit,
travaillant des nappes, des jetés de guipure à la main, très peu connus à
Paris en ce temps-là, et que la vieille Danoise allait offrir bravement dans
les magasins de petits ouvrages. Ainsi elle a pu faire marcher la maison,
donner une bonne nourrice à la petite Éline ; mais il en a fallu de ces ronds,
de ces fines dentelles à perdre les yeux. Chère, chère grand-mère… Et le
vocero se déroule, coupé de sanglots, de mots enfantins qui reviennent à
la bonne femme avec sa douleur d’orpheline et auxquels l’accent étranger,
son lourd français de Copenhague, que vingt ans de Paris n’ont pu
corriger, donne quelque chose d’ingénu, d’a?endrissant.
Le chagrin de sa fille est moins expansif. Très pâle, les dents serrées,
Éline s’active dans la maison, avec son air paisible, ses gestes sûrs un peu
lents, sa taille pleine et souple dans la triste robe noire qu’éclairent d’épais
cheveux blonds et la fleur de ses dix-neuf ans. Sans bruit, en ménagère
adroite, elle a ranimé le feu couvert qui mourait de leur longue absence,
tiré les rideaux, allumé la lampe, délivré le petit salon du froid et du noir
qu’elles ont trouvés là en rentrant ; puis, sans que la mère ait cessé de parler,
de sangloter, elle la débarrasse de son chapeau, de son châle, lui met
des pantoufles bien chaudes à la place de ses bo?ines toutes trempées et
lourdes de la terre des morts, et par la main, comme un enfant, l’emmène
et l’assied devant la table où fume la soupière à fleurs entre deux plats apportés
du restaurant. M?? Ebsen résiste. Manger, ah bien ! oui. Elle n’a pas
faim ; puis la vue de ce?e petite table, ce troisième couvert qui manque…
Ah ! sans grand-mère, alors, qu’est-ce qu’on serait devenu, sans
grand-mère et son vaillant petit crochet, qu’elle accélérait jour et nuit,
travaillant des nappes, des jetés de guipure à la main, très peu connus à
Paris en ce temps-là, et que la vieille Danoise allait offrir bravement dans
les magasins de petits ouvrages. Ainsi elle a pu faire marcher la maison,
donner une bonne nourrice à la petite Éline ; mais il en a fallu de ces ronds,
de ces fines dentelles à perdre les yeux. Chère, chère grand-mère… Et le
vocero se déroule, coupé de sanglots, de mots enfantins qui reviennent à
la bonne femme avec sa douleur d’orpheline et auxquels l’accent étranger,
son lourd français de Copenhague, que vingt ans de Paris n’ont pu
corriger, donne quelque chose d’ingénu, d’a?endrissant.
Le chagrin de sa fille est moins expansif. Très pâle, les dents serrées,
Éline s’active dans la maison, avec son air paisible, ses gestes sûrs un peu
lents, sa taille pleine et souple dans la triste robe noire qu’éclairent d’épais
cheveux blonds et la fleur de ses dix-neuf ans. Sans bruit, en ménagère
adroite, elle a ranimé le feu couvert qui mourait de leur longue absence,
tiré les rideaux, allumé la lampe, délivré le petit salon du froid et du noir
qu’elles ont trouvés là en rentrant ; puis, sans que la mère ait cessé de parler,
de sangloter, elle la débarrasse de son chapeau, de son châle, lui met
des pantoufles bien chaudes à la place de ses bo?ines toutes trempées et
lourdes de la terre des morts, et par la main, comme un enfant, l’emmène
et l’assied devant la table où fume la soupière à fleurs entre deux plats apportés
du restaurant. M?? Ebsen résiste. Manger, ah bien ! oui. Elle n’a pas
faim ; puis la vue de ce?e petite table, ce troisième couvert qui manque…