J'ai toujours beaucoup aimé les histoires fantastiques. L'incroyable est une des formes de la poésie. Le réel, lorsqu'il se déforme par l'hallucination ou le rêve, devient tout aussitôt énorme et plus attirant peut-être que la vérité même. Tels ces visages que certains miroirs concaves ou convexes allongent ou dépriment de façons bizarres. Ils nous fascinent. On les regarde avec une fixité un peu hagarde, tandis qu'on laisserait peut-être passer une jolie femme sans l'admirer. Le fantastique hypnotise. Quand j'étais enfant, j'ai souvent entendu raconter l'histoire de mon grand-oncle Gillet, mort grenadier de la garde. À Nantes, quand il rentrait chez sa mère, il avait l'habitude de prendre chaque soir un peu de sable et de le jeter, du dehors, contre la vitre pour avertir qu'il arrivait. On courait à la porte du jardin et on ouvrait. Cadet (c'était le cadet de la famille) entrait, joyeux. Un soir, on entend le bruit du gravier contre la vitre. Mon arrière-grand'mère se lève joyeuse et dit: —C'est Cadet! Cadet était pourtant soldat à l'armée et loin de France. Bah! c'est qu'il revenait! Et la mère court ouvrir la porte. Personne! —Mon Dieu! dit l'aïeule, il est arrivé malheur à Cadet. Et elle regarda sa montre. En effet, à cette heure même, à l'heure crépusculaire, entre chien et loup, le pauvre garçon recevait d'un chasseur tyrolien, caché derrière une botte de foin, une balle qui le tuait net. C'était le soir de Wagram. Il n'y avait pas deux heures que Napoléon l'avait, de sa main, décoré sur le champ de bataille d'une petite croix détachée de sa poitrine. Je l'ai là, cette petite croix. Je la regarde tandis que j'écris. Elle me rappelle cette inoubliable histoire qui a fait tant d'impression sur mon enfance.
J'ai toujours beaucoup aimé les histoires fantastiques. L'incroyable est une des formes de la poésie. Le réel, lorsqu'il se déforme par l'hallucination ou le rêve, devient tout aussitôt énorme et plus attirant peut-être que la vérité même. Tels ces visages que certains miroirs concaves ou convexes allongent ou dépriment de façons bizarres. Ils nous fascinent. On les regarde avec une fixité un peu hagarde, tandis qu'on laisserait peut-être passer une jolie femme sans l'admirer. Le fantastique hypnotise. Quand j'étais enfant, j'ai souvent entendu raconter l'histoire de mon grand-oncle Gillet, mort grenadier de la garde. À Nantes, quand il rentrait chez sa mère, il avait l'habitude de prendre chaque soir un peu de sable et de le jeter, du dehors, contre la vitre pour avertir qu'il arrivait. On courait à la porte du jardin et on ouvrait. Cadet (c'était le cadet de la famille) entrait, joyeux. Un soir, on entend le bruit du gravier contre la vitre. Mon arrière-grand'mère se lève joyeuse et dit: —C'est Cadet! Cadet était pourtant soldat à l'armée et loin de France. Bah! c'est qu'il revenait! Et la mère court ouvrir la porte. Personne! —Mon Dieu! dit l'aïeule, il est arrivé malheur à Cadet. Et elle regarda sa montre. En effet, à cette heure même, à l'heure crépusculaire, entre chien et loup, le pauvre garçon recevait d'un chasseur tyrolien, caché derrière une botte de foin, une balle qui le tuait net. C'était le soir de Wagram. Il n'y avait pas deux heures que Napoléon l'avait, de sa main, décoré sur le champ de bataille d'une petite croix détachée de sa poitrine. Je l'ai là, cette petite croix. Je la regarde tandis que j'écris. Elle me rappelle cette inoubliable histoire qui a fait tant d'impression sur mon enfance.