Histoire de ma fuite des prisons de Venise

Fiction & Literature, Action Suspense, Literary
Cover of the book Histoire de ma fuite des prisons de Venise by GIACOMO CASANOVA, GILBERT TEROL
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Author: GIACOMO CASANOVA ISBN: 1230000210875
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 19, 2014
Imprint: Language: French
Author: GIACOMO CASANOVA
ISBN: 1230000210875
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 19, 2014
Imprint:
Language: French

Avant-propos.

J. J. Rouſſeau, fameux relaps, écrivain très-éloquent, philoſophe viſionnaire, jouant la miſanthropie et ambitionnant la perſécution, écrivit un avant-propos à ſa nouvelle Héloïse, qui eſt unique : il inſulte le lecteur et ne l’indiſpose pas. Un petit avant-propos étant de ſaiſon dans tout ouvrage, j’en écris un auſſi ; mais c’eſt pour vous procurer ma connoiſſance, mon cher lecteur, et pour me concilier votre amitié : vous verrez, j’eſpère, que je ne prétens rien ni par mon ſtyle, ni par des nouvelles, et ſurprenantes découvertes en morale, comme l’auteur que je viens de nommer, qui n’écrivoit pas comme on parle, et qui au lieu de décider en conſéquence d’un ſyſtême, il prononçoit des aphorismes réſultans d’un enchaînement caſuel de ſes chaudes circonlocutions, et non pas de la froide raiſon : ſes axiomes ſont des paradoxes faits pour faire éternuer l’eſprit : paſſés à la coupelle de l’entendement, ils ſe diſperſent en fumée. Je vous préviens que dans cette hiſtoire vous ne trouverez rien de nouveau que l’hiſtoire, car pour ce qui regarde la morale, Socrate, Horace, Seneque, Boèce et pluſieurs autres ont tout dit : tout ce que nous pouvons faire encore ne conſiſte qu’en portraits ; et il n’eſt pas néceſſaire de poſſéder un grand génie pour en faire même de fort jolis.

Vous devez me vouloir du bien, mon cher lecteur, car ſans nul autre intérêt que celui de vous amuſer, et ſûr de vous plaire je vous préſente une confeſſion. Si un écrit de cette eſpèce n’eſt pas ce qu’on appelle une véritable confeſſion il faut le jetter par la fenêtre, car un auteur qui ſe loue n’eſt pas digne d’être lu : je ſens dans moi-même le repentir, et l’humiliation ; et c’eſt tout ce qu’il faut pour que ma confeſſion ſoit parfaite ; mais ne vous attendez pas à me trouver mépriſable : une confeſſion ſincère ne peut rendre mépriſable que celui qui l’eſt effectivement, et celui qui l’eſt eſt bien fou s’il la fait au public, dont tout homme ſage doit aſpirer à l’estime. Je ſuis donc certain que vous ne me mépriſerez pas. Je n’ai jamais commis des fautes que trompé par mon cœur, ou tyranniſé par une force abuſive d’eſprit, que l’âge ſeul a pu dompter ; et c’eſt aſſez pour me faire rougir : les ſentiments d’honneur, que me communiquèrent ceux qui m’ont appris à vivre, furent toujours mes idôles, quoique non pas toujours à l’abri de la calomnie. Je n’ai point de plus grand mérite.

Trente-deux ans après l’évenement je me détermine à écrire l’hiſtoire d’un fait qui me ſurprit à l’âge de trente nel mezzo del cammin di noſtra vita. La raiſon qui m’oblige à l’écrire eſt celle de me ſoulager de la peine de la réciter toutes les fois que des perſonnes dignes de reſpect, ou de mon amitié exigent, ou me prient que je leur faſſe ce plaiſir. Il m’eſt arrivé cent fois de me trouver après le récit de cette hiſtoire quelqu’altération dans la ſanté, cauſée ou par le fort ſouvenir de la triſte aventure, ou par la fatigue ſoutenue par mes organes en devoir d’en détailler les circonſtances : j’ai cent fois décidé de l’écrire, mais pluſieurs raiſons ne me l’ont jamais permis : elles ſont toutes diſparues aujourd’hui à l’aſpect de celle qui me met la plume à la main.

Je ne me ſens plus la force néceſſaire à narrer ce fait, et je n’ai pas non plus celle de dire aux curieux, qui me preſſent de le leur réciter, que je ne l’ai pas ; carj’aimerois mieux ſuccomber aux dangéreuſes conſéquences d’un effort qu’aller au-devant d’une odieuſe ſuſpicion de peu de complaiſance. Voilà donc cette hiſtoire qui jusqu’à ce jour ne fut par moi communiquée niſi amicis idque coactusparvenue à la poſſibilité de devenir publique. Soit. Je ſuis arrivé à un âge, où il faut que je faſſe à ma ſanté de bien plus grands ſacrifices. Pour narrer, il faut avoir la faculté de bien prononcer : la langue déliée ne ſuffit pas, il faut avoir des dents, car les conſonnes auxquelles elles ſont néceſſaires compoſent plus d’un tiers de l’alphabet, et j’ai eu le malheur de les perdre. L’homme peut ſ’en paſſer pour écrire, mais elles lui ſont indiſpenſables ſ’il veut parler, et perſuader.

Celui de ſurvivre au dépériſſement de nos membres, et à la perte de ce dont notre individu a beſoin pour ſon bien être eſt un grand malheur, car la misère ne peut dépendre que du manque du néceſſaire ; mais ſi ce malheur arrive quand on eſt vieux, il ne faut pas ſ’en plaindre, puisque ſi l’on a enlevé nos meubles, on nous a laiſſé du moins la maiſon. Ceux qui pour ſe délivrer de pareils maux ſe ſont tués ont mal raiſonné, puisqu’il eſt bien vrai qu’un homme qui ſe tue annéantit ſes maux, mais il n’eſt pas vrai qu’il s’en délivre, puisqu’en ſe tuant il ſe prive de la faculté de ſentir ce benefice. L’homme ne hait les maux que parcequ’ils ſont incommodes à la vie : dès qu’il ne la poſſède plus le ſuicide ne peut le délivrer de rien. Debilem facito manu — Debilem pede, coxa — Lubricos quate — dentes — Vita dum ſupereſt bene eſt.

Ceux qui ont dit que les chagrins ſont plus accablans que les plus grands maux qui affligent notre corps, ont mal dit ; puisque les maux de l’eſprit n’attaquent que l’eſprit, tandis que ceux du corps abattent l’un et déſolent l’autre. Le vrai sapiens, l’homme ſage eſt toujours, et partout plus heureux que tous les rois de la terre, niſi quum pituita moleſta eſt. Il n’eſt pas poſſible de vivre longtemps ſans que nos outils s’uſent : je crois même que s’ils ſe conſervaſſent exempts de détérioration, nous ſentirions le coup de la mort avec beaucoup plus de ſenſibilité : la matière ne peut reſiſter au temps ſans perdre ſa forme : ſingula de nobis anni prœdantur euntes. La vie eſt comme une coquine que nous aimons, à laquelle nous accordons à la fin toutes les conditions qu’elle nous impoſe, pourvu qu’elle ne nous quitte pas : ceux qui ont dit qu’il faut la mépriſer ont mal raiſonné ; c’eſt la mort qu’il faut mépriſer, et non pas la vie ; et ce n’eſt pas la même choſe : ce ſont deux idées entièrement diverſes : aimant la vie j’aime moi-même, et je hais la mort parce qu’elle en eſt le bourreau :

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Avant-propos.

J. J. Rouſſeau, fameux relaps, écrivain très-éloquent, philoſophe viſionnaire, jouant la miſanthropie et ambitionnant la perſécution, écrivit un avant-propos à ſa nouvelle Héloïse, qui eſt unique : il inſulte le lecteur et ne l’indiſpose pas. Un petit avant-propos étant de ſaiſon dans tout ouvrage, j’en écris un auſſi ; mais c’eſt pour vous procurer ma connoiſſance, mon cher lecteur, et pour me concilier votre amitié : vous verrez, j’eſpère, que je ne prétens rien ni par mon ſtyle, ni par des nouvelles, et ſurprenantes découvertes en morale, comme l’auteur que je viens de nommer, qui n’écrivoit pas comme on parle, et qui au lieu de décider en conſéquence d’un ſyſtême, il prononçoit des aphorismes réſultans d’un enchaînement caſuel de ſes chaudes circonlocutions, et non pas de la froide raiſon : ſes axiomes ſont des paradoxes faits pour faire éternuer l’eſprit : paſſés à la coupelle de l’entendement, ils ſe diſperſent en fumée. Je vous préviens que dans cette hiſtoire vous ne trouverez rien de nouveau que l’hiſtoire, car pour ce qui regarde la morale, Socrate, Horace, Seneque, Boèce et pluſieurs autres ont tout dit : tout ce que nous pouvons faire encore ne conſiſte qu’en portraits ; et il n’eſt pas néceſſaire de poſſéder un grand génie pour en faire même de fort jolis.

Vous devez me vouloir du bien, mon cher lecteur, car ſans nul autre intérêt que celui de vous amuſer, et ſûr de vous plaire je vous préſente une confeſſion. Si un écrit de cette eſpèce n’eſt pas ce qu’on appelle une véritable confeſſion il faut le jetter par la fenêtre, car un auteur qui ſe loue n’eſt pas digne d’être lu : je ſens dans moi-même le repentir, et l’humiliation ; et c’eſt tout ce qu’il faut pour que ma confeſſion ſoit parfaite ; mais ne vous attendez pas à me trouver mépriſable : une confeſſion ſincère ne peut rendre mépriſable que celui qui l’eſt effectivement, et celui qui l’eſt eſt bien fou s’il la fait au public, dont tout homme ſage doit aſpirer à l’estime. Je ſuis donc certain que vous ne me mépriſerez pas. Je n’ai jamais commis des fautes que trompé par mon cœur, ou tyranniſé par une force abuſive d’eſprit, que l’âge ſeul a pu dompter ; et c’eſt aſſez pour me faire rougir : les ſentiments d’honneur, que me communiquèrent ceux qui m’ont appris à vivre, furent toujours mes idôles, quoique non pas toujours à l’abri de la calomnie. Je n’ai point de plus grand mérite.

Trente-deux ans après l’évenement je me détermine à écrire l’hiſtoire d’un fait qui me ſurprit à l’âge de trente nel mezzo del cammin di noſtra vita. La raiſon qui m’oblige à l’écrire eſt celle de me ſoulager de la peine de la réciter toutes les fois que des perſonnes dignes de reſpect, ou de mon amitié exigent, ou me prient que je leur faſſe ce plaiſir. Il m’eſt arrivé cent fois de me trouver après le récit de cette hiſtoire quelqu’altération dans la ſanté, cauſée ou par le fort ſouvenir de la triſte aventure, ou par la fatigue ſoutenue par mes organes en devoir d’en détailler les circonſtances : j’ai cent fois décidé de l’écrire, mais pluſieurs raiſons ne me l’ont jamais permis : elles ſont toutes diſparues aujourd’hui à l’aſpect de celle qui me met la plume à la main.

Je ne me ſens plus la force néceſſaire à narrer ce fait, et je n’ai pas non plus celle de dire aux curieux, qui me preſſent de le leur réciter, que je ne l’ai pas ; carj’aimerois mieux ſuccomber aux dangéreuſes conſéquences d’un effort qu’aller au-devant d’une odieuſe ſuſpicion de peu de complaiſance. Voilà donc cette hiſtoire qui jusqu’à ce jour ne fut par moi communiquée niſi amicis idque coactusparvenue à la poſſibilité de devenir publique. Soit. Je ſuis arrivé à un âge, où il faut que je faſſe à ma ſanté de bien plus grands ſacrifices. Pour narrer, il faut avoir la faculté de bien prononcer : la langue déliée ne ſuffit pas, il faut avoir des dents, car les conſonnes auxquelles elles ſont néceſſaires compoſent plus d’un tiers de l’alphabet, et j’ai eu le malheur de les perdre. L’homme peut ſ’en paſſer pour écrire, mais elles lui ſont indiſpenſables ſ’il veut parler, et perſuader.

Celui de ſurvivre au dépériſſement de nos membres, et à la perte de ce dont notre individu a beſoin pour ſon bien être eſt un grand malheur, car la misère ne peut dépendre que du manque du néceſſaire ; mais ſi ce malheur arrive quand on eſt vieux, il ne faut pas ſ’en plaindre, puisque ſi l’on a enlevé nos meubles, on nous a laiſſé du moins la maiſon. Ceux qui pour ſe délivrer de pareils maux ſe ſont tués ont mal raiſonné, puisqu’il eſt bien vrai qu’un homme qui ſe tue annéantit ſes maux, mais il n’eſt pas vrai qu’il s’en délivre, puisqu’en ſe tuant il ſe prive de la faculté de ſentir ce benefice. L’homme ne hait les maux que parcequ’ils ſont incommodes à la vie : dès qu’il ne la poſſède plus le ſuicide ne peut le délivrer de rien. Debilem facito manu — Debilem pede, coxa — Lubricos quate — dentes — Vita dum ſupereſt bene eſt.

Ceux qui ont dit que les chagrins ſont plus accablans que les plus grands maux qui affligent notre corps, ont mal dit ; puisque les maux de l’eſprit n’attaquent que l’eſprit, tandis que ceux du corps abattent l’un et déſolent l’autre. Le vrai sapiens, l’homme ſage eſt toujours, et partout plus heureux que tous les rois de la terre, niſi quum pituita moleſta eſt. Il n’eſt pas poſſible de vivre longtemps ſans que nos outils s’uſent : je crois même que s’ils ſe conſervaſſent exempts de détérioration, nous ſentirions le coup de la mort avec beaucoup plus de ſenſibilité : la matière ne peut reſiſter au temps ſans perdre ſa forme : ſingula de nobis anni prœdantur euntes. La vie eſt comme une coquine que nous aimons, à laquelle nous accordons à la fin toutes les conditions qu’elle nous impoſe, pourvu qu’elle ne nous quitte pas : ceux qui ont dit qu’il faut la mépriſer ont mal raiſonné ; c’eſt la mort qu’il faut mépriſer, et non pas la vie ; et ce n’eſt pas la même choſe : ce ſont deux idées entièrement diverſes : aimant la vie j’aime moi-même, et je hais la mort parce qu’elle en eſt le bourreau :

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