De l’assujettissement des femmes

Nonfiction
Cover of the book De l’assujettissement des femmes by John Stuart Mill, Avatar
View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart
Author: John Stuart Mill ISBN: 1230003180563
Publisher: Avatar Publication: April 12, 2019
Imprint: Language: French
Author: John Stuart Mill
ISBN: 1230003180563
Publisher: Avatar
Publication: April 12, 2019
Imprint:
Language: French

Je me propose, dans cet essai, d’expliquer aussi clairement que possible les raisons sur lesquelles repose une opinion que j’ai embrassée dès que mes premières convictions sur les questions sociales et politiques se sont formées, et qui, bien loin de s’affaiblir et de se modifier par la réflexion et l’expérience de la vie, n’en est devenue que plus forte. Je crois que les relations sociales des deux sexes, qui subordonnent un sexe à l’autre au nom de la loi, sont mauvaises en elles-mêmes et forment aujourd’hui l’un des principaux obstacles qui s’opposent au progrès de l’humanité ; je crois qu’elles doivent faire place à une égalité parfaite, sans privilège ni pouvoir pour un sexe, comme sans incapacité pour l’autre. Voilà ce que je me propose de démontrer, quelque difficile que cela paraisse. On aurait tort de supposer que la difficulté que j’ai à surmonter tient à l’insuffisance ou à l’obscurité des raisons sur lesquelles repose ma conviction : cette difficulté n’est pas autre que celle que doit affronter tout homme qui engage la lutte contre un sentiment général et puissant.

Tant qu’une opinion est implantée sur les sentiments, elle défie les arguments les plus décisifs ; elle en tire de la force au lieu d’en être affaiblie : si elle n’était que le résultat du raisonnement, le raisonnement une bonne fois réfuté, les fondements de la conviction seraient ébranlés ; mais, quand une opinion n’a d’autre base que le sentiment, plus elle sort maltraitée d’un débat, plus les hommes qui l’adoptent sont persuadés que leur sentiment doit reposer sur quelque raison restée hors d’atteinte. Tant que le sentiment subsiste, il n’est jamais à court de théories ; il a bientôt réparé les brèches de ses retranchements. Or, nos sentiments sur l’inégalité des sexes sont pour bien des causes les plus vivaces et les plus enracinés de tous ceux qui entourent et protègent les coutumes et les institutions du passé. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils soient les plus fermes de tous, qu’ils aient le mieux résisté à la grande révolution intellectuelle et sociale des temps modernes, il ne faut pas croire non plus que les institutions le plus longtemps respectées soient moins barbares que celles qu’on a détruites.

C’est toujours une lourde tâche que d’attaquer une opinion à peu près universelle. À moins d’un très grand bonheur ou d’un talent exceptionnel, on n’arrive pas même à se faire écouter. On a plus de peine à trouver un tribunal qu’on n’en aurait ailleurs à obtenir un jugement favorable. Parvient-on à arracher un moment d’attention, il faut, pour le payer, subir des conditions inouïes. Partout la charge de faire la preuve incombe à celui qui affirme. Quand un individu est accusé de meurtre, c’est à l’accusateur de fournir les preuves de la culpabilité de l’accusé, non à celui-ci de démontrer son innocence. Dans une contestation sur la réalité d’un événement historique qui intéresse médiocrement les sentiments de la plupart des hommes, la guerre de Troie par exemple, ceux qui soutiennent la réalité de l’événement sont tenus de produire leurs preuves avant leurs adversaires, et ceux-ci ne sont jamais astreints qu’à démontrer la nullité des témoignages allégués. Dans les questions d’administration, on admet que le fardeau de la preuve doit être supporté par les adversaires de la liberté, par les partisans des mesures restrictives ou prohibitives, qu’il s’agisse d’apporter une restriction à la liberté, qu’il s’agisse de frapper d’une incapacité ou d’une inégalité de droits une personne ou une classe de personnes. La présomption a priori est en faveur de la liberté et de l’égalité ; les seules restrictions légitimes sont celles que réclame le bien général ; la loi ne doit faire aucune exception, elle doit à tous le même traitement, à moins que des raisons de justice ou de politique n’exigent que l’on fasse une différence entre les personnes. Pourtant ceux qui soutiennent l’opinion que je défends ici n’ont à se prévaloir d’aucune de ces règles. Quant aux autres, qui prétendent que l’homme a droit au commandement, et que la femme est naturellement soumise à l’obligation d’obéir ; que l’homme a, pour exercer le gouvernement, des qualités que la femme ne possède pas, je perdrais mon temps à leur dire qu’ils doivent être tenus de prouver leur opinion sous peine de la voir rejeter. Il ne me servirait de rien de leur représenter qu’en refusant aux femmes la liberté ou les droits dont les hommes doivent jouir, ils se rendent doublement suspects d’attenter à la liberté et de se déclarer en faveur de l’inégalité, et qu’en conséquence ils ont à fournir des preuves palpables de leur opinion, ou à passer condamnation. Dans tout autre débat, il en serait ainsi ; mais, dans celui-ci, c’est autre chose. Si je veux faire quelque impression, je dois non seulement répondre à tout ce qu’ont pu dire ceux qui soutiennent l’opinion contraire, mais encore imaginer et réfuter tout ce qu’ils pourraient dire, trouver pour eux des raisons et les détruire, et puis, quand tous leurs arguments sont réfutés, je n’ai pas fini ; on me somme de démontrer mon opinion par des preuves positives irréfutables. Bien plus, eussé-je rempli cette tâche, et rangé en bataille en face de mes adversaires une armée d’arguments péremptoires ; eussé-je couché par terre jusqu’au dernier de leurs arguments, je serais encore censé n’avoir rien fait ; car une cause qui s’appuie d’une part sur un usage universel, et de l’autre sur des sentiments d’une puissance extraordinaire, aura en sa faveur une présomption bien supérieure à l’espèce de conviction qu’un appel à la raison peut produire dans les intelligences, à l’exception des plus hautes.

View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart

Je me propose, dans cet essai, d’expliquer aussi clairement que possible les raisons sur lesquelles repose une opinion que j’ai embrassée dès que mes premières convictions sur les questions sociales et politiques se sont formées, et qui, bien loin de s’affaiblir et de se modifier par la réflexion et l’expérience de la vie, n’en est devenue que plus forte. Je crois que les relations sociales des deux sexes, qui subordonnent un sexe à l’autre au nom de la loi, sont mauvaises en elles-mêmes et forment aujourd’hui l’un des principaux obstacles qui s’opposent au progrès de l’humanité ; je crois qu’elles doivent faire place à une égalité parfaite, sans privilège ni pouvoir pour un sexe, comme sans incapacité pour l’autre. Voilà ce que je me propose de démontrer, quelque difficile que cela paraisse. On aurait tort de supposer que la difficulté que j’ai à surmonter tient à l’insuffisance ou à l’obscurité des raisons sur lesquelles repose ma conviction : cette difficulté n’est pas autre que celle que doit affronter tout homme qui engage la lutte contre un sentiment général et puissant.

Tant qu’une opinion est implantée sur les sentiments, elle défie les arguments les plus décisifs ; elle en tire de la force au lieu d’en être affaiblie : si elle n’était que le résultat du raisonnement, le raisonnement une bonne fois réfuté, les fondements de la conviction seraient ébranlés ; mais, quand une opinion n’a d’autre base que le sentiment, plus elle sort maltraitée d’un débat, plus les hommes qui l’adoptent sont persuadés que leur sentiment doit reposer sur quelque raison restée hors d’atteinte. Tant que le sentiment subsiste, il n’est jamais à court de théories ; il a bientôt réparé les brèches de ses retranchements. Or, nos sentiments sur l’inégalité des sexes sont pour bien des causes les plus vivaces et les plus enracinés de tous ceux qui entourent et protègent les coutumes et les institutions du passé. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils soient les plus fermes de tous, qu’ils aient le mieux résisté à la grande révolution intellectuelle et sociale des temps modernes, il ne faut pas croire non plus que les institutions le plus longtemps respectées soient moins barbares que celles qu’on a détruites.

C’est toujours une lourde tâche que d’attaquer une opinion à peu près universelle. À moins d’un très grand bonheur ou d’un talent exceptionnel, on n’arrive pas même à se faire écouter. On a plus de peine à trouver un tribunal qu’on n’en aurait ailleurs à obtenir un jugement favorable. Parvient-on à arracher un moment d’attention, il faut, pour le payer, subir des conditions inouïes. Partout la charge de faire la preuve incombe à celui qui affirme. Quand un individu est accusé de meurtre, c’est à l’accusateur de fournir les preuves de la culpabilité de l’accusé, non à celui-ci de démontrer son innocence. Dans une contestation sur la réalité d’un événement historique qui intéresse médiocrement les sentiments de la plupart des hommes, la guerre de Troie par exemple, ceux qui soutiennent la réalité de l’événement sont tenus de produire leurs preuves avant leurs adversaires, et ceux-ci ne sont jamais astreints qu’à démontrer la nullité des témoignages allégués. Dans les questions d’administration, on admet que le fardeau de la preuve doit être supporté par les adversaires de la liberté, par les partisans des mesures restrictives ou prohibitives, qu’il s’agisse d’apporter une restriction à la liberté, qu’il s’agisse de frapper d’une incapacité ou d’une inégalité de droits une personne ou une classe de personnes. La présomption a priori est en faveur de la liberté et de l’égalité ; les seules restrictions légitimes sont celles que réclame le bien général ; la loi ne doit faire aucune exception, elle doit à tous le même traitement, à moins que des raisons de justice ou de politique n’exigent que l’on fasse une différence entre les personnes. Pourtant ceux qui soutiennent l’opinion que je défends ici n’ont à se prévaloir d’aucune de ces règles. Quant aux autres, qui prétendent que l’homme a droit au commandement, et que la femme est naturellement soumise à l’obligation d’obéir ; que l’homme a, pour exercer le gouvernement, des qualités que la femme ne possède pas, je perdrais mon temps à leur dire qu’ils doivent être tenus de prouver leur opinion sous peine de la voir rejeter. Il ne me servirait de rien de leur représenter qu’en refusant aux femmes la liberté ou les droits dont les hommes doivent jouir, ils se rendent doublement suspects d’attenter à la liberté et de se déclarer en faveur de l’inégalité, et qu’en conséquence ils ont à fournir des preuves palpables de leur opinion, ou à passer condamnation. Dans tout autre débat, il en serait ainsi ; mais, dans celui-ci, c’est autre chose. Si je veux faire quelque impression, je dois non seulement répondre à tout ce qu’ont pu dire ceux qui soutiennent l’opinion contraire, mais encore imaginer et réfuter tout ce qu’ils pourraient dire, trouver pour eux des raisons et les détruire, et puis, quand tous leurs arguments sont réfutés, je n’ai pas fini ; on me somme de démontrer mon opinion par des preuves positives irréfutables. Bien plus, eussé-je rempli cette tâche, et rangé en bataille en face de mes adversaires une armée d’arguments péremptoires ; eussé-je couché par terre jusqu’au dernier de leurs arguments, je serais encore censé n’avoir rien fait ; car une cause qui s’appuie d’une part sur un usage universel, et de l’autre sur des sentiments d’une puissance extraordinaire, aura en sa faveur une présomption bien supérieure à l’espèce de conviction qu’un appel à la raison peut produire dans les intelligences, à l’exception des plus hautes.

More books from Nonfiction

Cover of the book The Juice Master: Turbo-charge Your Life in 14 Days by John Stuart Mill
Cover of the book Planning the Megacity by John Stuart Mill
Cover of the book Still the Mind by John Stuart Mill
Cover of the book The Magnificent Masters by John Stuart Mill
Cover of the book God and the Chip by John Stuart Mill
Cover of the book Gun Digest eBook of the Glock by John Stuart Mill
Cover of the book Encountering God by John Stuart Mill
Cover of the book Wrestling with the Word by John Stuart Mill
Cover of the book Forensic Psychology by John Stuart Mill
Cover of the book Emotional Purity (Includes Study Questions): An Affair of the Heart by John Stuart Mill
Cover of the book On Personality by John Stuart Mill
Cover of the book The West Stole Africa's Wealth by John Stuart Mill
Cover of the book Henkeeping by John Stuart Mill
Cover of the book God's Toolbox: How God Answers Prayers by John Stuart Mill
Cover of the book 明四大家特展—文徵明 by John Stuart Mill
We use our own "cookies" and third party cookies to improve services and to see statistical information. By using this website, you agree to our Privacy Policy