Contes rapides

Kids, Fiction, Classics, Action/Adventure, Teen, General Fiction
Cover of the book Contes rapides by FRANÇOIS COPPÉE, Jwarlal
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Author: FRANÇOIS COPPÉE ISBN: 1230002406749
Publisher: Jwarlal Publication: July 3, 2018
Imprint: Language: French
Author: FRANÇOIS COPPÉE
ISBN: 1230002406749
Publisher: Jwarlal
Publication: July 3, 2018
Imprint:
Language: French

Quand il n'était qu'un tout petit garçon, autrefois, chez ses braves gens de père et mère, c'était le meilleur moment de la journée.

Le dîner était fini; la maman, après avoir donné un coup de serviette à la toile cirée, servait la demi-tasse du père,—du père qui, seul, prenait du café, non par luxe et gourmandise, mais parce qu'il devait veiller très tard à faire des écritures. Et tandis que le bonhomme sucrait son moka,—un seul morceau, bien entendu!—devant toute la famille assise autour de la table ronde, la maman,—une boulotte de quarante ans, encore fraîche, tournant sans cesse vers son mari de tendres et intelligents regards de chien fidèle,—la maman apportait le panier à ouvrage. Les trois soeurs, nées à un an de distance, se ressemblant, chastement jolies, avec les robes taillées dans la même pièce d'étoffe et les honnêtes bandeaux plats des filles sans dot qui ne se marieront pas, commençaient à ourler des mouchoirs; et lui, le gamin, le dernier-né, le Benjamin, exhaussé sur sa chaise haute par une Bible de Royaumont in-quarto, édifiait un château de cartes.

En Juillet, dans les longs jours, on allumait la lampe le plus tard possible, et, par la fenêtre ouverte, on voyait un ciel orageux de soir d'été, aux nuages bouleversés, et le dôme des Invalides, tout écaillé d'or, dans la fournaise du couchant.

Comme c'est très mauvais pour la digestion d'écrire comme ça tout de suite après dîner, on faisait un peu causer le père, afin de retarder le moment où il se mettrait à son travail du soir: des copies de mémoires, à six sous le rôle, pour un entrepreneur du quartier. Le pauvre homme, une nature de rêveur, un esprit littéraire, qui jadis, dans sa chambre d'étudiant, avait rimé des odes philhellènes, en était arrivé là, ayant perdu l'espoir de passer sous-chef, et employait toutes ses soirées à copier du jargon technique: «Démonté et remonté la serrure... Donné du jeu à la gâche, etc., etc.»

Mais, pour le moment, il s'oubliait à bavarder avec sa femme et ses filles.

Gaîment, car tout allait à peu près bien dans l'humble ménage. Un marchand de bons-dieux de la place Saint-Sulpice avait offert à l'aînée, la grande Fanny, l'artiste, celle dont les «anglaises» blondes faisaient rêver tous les rapins du Salon Carré, de lui payer cinquante francs son pastel d'après la Vierge au coussin vert. La seconde, Léontine, avait «pioché» toute la journée son Menuet de Boccherini. Quant à la grosse Louise, la cadette, elle ne pensait qu'à la coquetterie, décidément. Ne voilà-t-il pas qu'elle parlait—s'il y avait des gratifications au 15 août—de s'arranger une petite capote, pareille à celle qu'elle avait vue chez la modiste de la rue du Bac!

—«Louise, mon enfant,—s'écriait le père,—tu fais des chapeaux en Espagne!»

Et l'on riait.

Mais la maman pensait au sérieux, elle. Si le père obtenait une gratification, elle avait remarqué, au Petit-Saint-Thomas, un mérinos, bon teint et grande largeur, «pour vos robes d'hiver, mesdemoiselles.» Et elle ajoutait gravement: «C'est tout laine!» comme si le coton n'eût jamais existé, et comme si, à cause de lui, des milliers de nègres n'eussent pas souffert plusieurs siècles d'esclavage.

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Quand il n'était qu'un tout petit garçon, autrefois, chez ses braves gens de père et mère, c'était le meilleur moment de la journée.

Le dîner était fini; la maman, après avoir donné un coup de serviette à la toile cirée, servait la demi-tasse du père,—du père qui, seul, prenait du café, non par luxe et gourmandise, mais parce qu'il devait veiller très tard à faire des écritures. Et tandis que le bonhomme sucrait son moka,—un seul morceau, bien entendu!—devant toute la famille assise autour de la table ronde, la maman,—une boulotte de quarante ans, encore fraîche, tournant sans cesse vers son mari de tendres et intelligents regards de chien fidèle,—la maman apportait le panier à ouvrage. Les trois soeurs, nées à un an de distance, se ressemblant, chastement jolies, avec les robes taillées dans la même pièce d'étoffe et les honnêtes bandeaux plats des filles sans dot qui ne se marieront pas, commençaient à ourler des mouchoirs; et lui, le gamin, le dernier-né, le Benjamin, exhaussé sur sa chaise haute par une Bible de Royaumont in-quarto, édifiait un château de cartes.

En Juillet, dans les longs jours, on allumait la lampe le plus tard possible, et, par la fenêtre ouverte, on voyait un ciel orageux de soir d'été, aux nuages bouleversés, et le dôme des Invalides, tout écaillé d'or, dans la fournaise du couchant.

Comme c'est très mauvais pour la digestion d'écrire comme ça tout de suite après dîner, on faisait un peu causer le père, afin de retarder le moment où il se mettrait à son travail du soir: des copies de mémoires, à six sous le rôle, pour un entrepreneur du quartier. Le pauvre homme, une nature de rêveur, un esprit littéraire, qui jadis, dans sa chambre d'étudiant, avait rimé des odes philhellènes, en était arrivé là, ayant perdu l'espoir de passer sous-chef, et employait toutes ses soirées à copier du jargon technique: «Démonté et remonté la serrure... Donné du jeu à la gâche, etc., etc.»

Mais, pour le moment, il s'oubliait à bavarder avec sa femme et ses filles.

Gaîment, car tout allait à peu près bien dans l'humble ménage. Un marchand de bons-dieux de la place Saint-Sulpice avait offert à l'aînée, la grande Fanny, l'artiste, celle dont les «anglaises» blondes faisaient rêver tous les rapins du Salon Carré, de lui payer cinquante francs son pastel d'après la Vierge au coussin vert. La seconde, Léontine, avait «pioché» toute la journée son Menuet de Boccherini. Quant à la grosse Louise, la cadette, elle ne pensait qu'à la coquetterie, décidément. Ne voilà-t-il pas qu'elle parlait—s'il y avait des gratifications au 15 août—de s'arranger une petite capote, pareille à celle qu'elle avait vue chez la modiste de la rue du Bac!

—«Louise, mon enfant,—s'écriait le père,—tu fais des chapeaux en Espagne!»

Et l'on riait.

Mais la maman pensait au sérieux, elle. Si le père obtenait une gratification, elle avait remarqué, au Petit-Saint-Thomas, un mérinos, bon teint et grande largeur, «pour vos robes d'hiver, mesdemoiselles.» Et elle ajoutait gravement: «C'est tout laine!» comme si le coton n'eût jamais existé, et comme si, à cause de lui, des milliers de nègres n'eussent pas souffert plusieurs siècles d'esclavage.

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