Voyages au front

( Edition intégrale )

Nonfiction, History, Reference, Historiography, Military, World War I, Biography & Memoir, Historical
Cover of the book Voyages au front by Edith Wharton, Paris, 1916
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Author: Edith Wharton ISBN: 1230002988474
Publisher: Paris, 1916 Publication: December 12, 2018
Imprint: Language: French
Author: Edith Wharton
ISBN: 1230002988474
Publisher: Paris, 1916
Publication: December 12, 2018
Imprint:
Language: French

Le 30 juillet dernier, allant en automobile de Poitiers vers le Nord, nous avions déjeuné au bord de la route, sous des pommiers à la lisière d’un champ. D’autres champs s’étendaient à droite et à gauche, jusqu’à l’orée d’un bois d’où émergeait un clocher de village. Tout alentour, c’était le calme de midi et le paysage discret et ordonné que le souvenir du voyageur se plaît à évoquer comme particulièrement français. Parfois, même aux yeux qui les connaissent le mieux, ces champs tirés au cordeau, ces villages gris et ramassés, semblent tout simplement plats et ternes. A d’autres moments, pour l’imagination sensible, chaque motte de terre, chaque sillon uniforme témoigne de l’attachement vigilant et ininterrompu de générations fidèles au sol. Par cette douce après-midi de juillet, cet attachement s’exprimait dans toutes les lignes du paysage que nous avions sous les yeux. Dans le grand silence environnant, l’air semblait rempli du long murmure de l’effort humain, du rythme des tâches souvent répétées: la sérénité souriante du spectacle dissipait les rumeurs de guerre qui nous poursuivaient depuis le matin.

Tout le jour, des bandes de nuages orageux avaient assombri le ciel; mais quand nous atteignîmes Chartres, vers quatre heures, ils avaient disparu derrière l’horizon, et la ville était tellement saturée de soleil qu’en entrant dans la cathédrale on croyait pénétrer dans l’épaisse obscurité d’une église espagnole. De prime abord, aucun détail n’était visible: nous étions dans une nuit caverneuse. Puis, à mesure que les ombres s’éclaircissaient et prenaient corps en piliers, en voûtes et en nervures, il en jaillit une soudaine averse de lumière multicolore. Encadrés par ces ténèbres de velours, baignant dans le flamboiement d’un soleil de plein été, les vitraux familiers paraissaient étrangement lointains et pourtant d’une intensité écrasante. Tantôt ils s’élargissaient, semblables à des étangs aux rives sombres éclaboussés du soleil couchant; tantôt ils scintillaient menaçants, comme des boucliers d’archanges guerriers. Quelques-uns étaient des cataractes de saphirs, d’autres des roses tombées de la tunique d’une sainte, d’autres encore de grands plats ciselés sur lesquels étaient jetés les joyaux de la couronne céleste, d’autres des voiles de caravelles cinglant vers les îles Fortunées; et sur le mur occidental les feux dispersés de la rosace étaient suspendus comme une constellation dans une nuit d’Afrique. Quand on abaissait les regards de ces harmonies éthérées, les masses sombres de l’édifice, toutes voilées et enveloppées de brume piquée de quelques lumières d’autel, semblaient figurer la vie terrestre, avec ses ombres, ses déserts arides et ses verts îlots d’illusion. Tout ce que peut être une grande cathédrale, tout ce qu’elle peut signifier, toute la puissance d’apaisement qu’elle peut exhaler en notre âme, toute la richesse de détails qu’elle peut fondre en une seule expression de force et de beauté, tout cela, la cathédrale de Chartres nous l’a donné en cette heure unique…

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Le 30 juillet dernier, allant en automobile de Poitiers vers le Nord, nous avions déjeuné au bord de la route, sous des pommiers à la lisière d’un champ. D’autres champs s’étendaient à droite et à gauche, jusqu’à l’orée d’un bois d’où émergeait un clocher de village. Tout alentour, c’était le calme de midi et le paysage discret et ordonné que le souvenir du voyageur se plaît à évoquer comme particulièrement français. Parfois, même aux yeux qui les connaissent le mieux, ces champs tirés au cordeau, ces villages gris et ramassés, semblent tout simplement plats et ternes. A d’autres moments, pour l’imagination sensible, chaque motte de terre, chaque sillon uniforme témoigne de l’attachement vigilant et ininterrompu de générations fidèles au sol. Par cette douce après-midi de juillet, cet attachement s’exprimait dans toutes les lignes du paysage que nous avions sous les yeux. Dans le grand silence environnant, l’air semblait rempli du long murmure de l’effort humain, du rythme des tâches souvent répétées: la sérénité souriante du spectacle dissipait les rumeurs de guerre qui nous poursuivaient depuis le matin.

Tout le jour, des bandes de nuages orageux avaient assombri le ciel; mais quand nous atteignîmes Chartres, vers quatre heures, ils avaient disparu derrière l’horizon, et la ville était tellement saturée de soleil qu’en entrant dans la cathédrale on croyait pénétrer dans l’épaisse obscurité d’une église espagnole. De prime abord, aucun détail n’était visible: nous étions dans une nuit caverneuse. Puis, à mesure que les ombres s’éclaircissaient et prenaient corps en piliers, en voûtes et en nervures, il en jaillit une soudaine averse de lumière multicolore. Encadrés par ces ténèbres de velours, baignant dans le flamboiement d’un soleil de plein été, les vitraux familiers paraissaient étrangement lointains et pourtant d’une intensité écrasante. Tantôt ils s’élargissaient, semblables à des étangs aux rives sombres éclaboussés du soleil couchant; tantôt ils scintillaient menaçants, comme des boucliers d’archanges guerriers. Quelques-uns étaient des cataractes de saphirs, d’autres des roses tombées de la tunique d’une sainte, d’autres encore de grands plats ciselés sur lesquels étaient jetés les joyaux de la couronne céleste, d’autres des voiles de caravelles cinglant vers les îles Fortunées; et sur le mur occidental les feux dispersés de la rosace étaient suspendus comme une constellation dans une nuit d’Afrique. Quand on abaissait les regards de ces harmonies éthérées, les masses sombres de l’édifice, toutes voilées et enveloppées de brume piquée de quelques lumières d’autel, semblaient figurer la vie terrestre, avec ses ombres, ses déserts arides et ses verts îlots d’illusion. Tout ce que peut être une grande cathédrale, tout ce qu’elle peut signifier, toute la puissance d’apaisement qu’elle peut exhaler en notre âme, toute la richesse de détails qu’elle peut fondre en une seule expression de force et de beauté, tout cela, la cathédrale de Chartres nous l’a donné en cette heure unique…

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