Robes Noires

( Edition intégrale )

Fiction & Literature, Religious, Short Stories, Romance
Cover of the book Robes Noires by Henri Bachelin, Paris : Grasset, 1910
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Author: Henri Bachelin ISBN: 1230003022559
Publisher: Paris : Grasset, 1910 Publication: January 7, 2019
Imprint: Language: French
Author: Henri Bachelin
ISBN: 1230003022559
Publisher: Paris : Grasset, 1910
Publication: January 7, 2019
Imprint:
Language: French

Extrait: Les quelques ouvrières qu’il croisa dans les rues le regardèrent en riant et touchaient le bout ferré de leurs ombrelles. Ignorant la signification du geste, il ne prenait garde qu’aux sourires : Raguel était à peine sorti du séminaire que déjà le monde essayait de le séduire. De taille moyenne, joufflu, les cheveux coupés ras, il avait, à la lèvre supérieure, une raie bleue, comme si le rasoir lui eût laissé, sur la peau, des brindilles d’acier. Il marchait penché un peu en avant, et, par habitude, ployait les genoux, ne tendant point le jarret. Il était quelconque : pourtant il lui semblait voir déjà se dresser une multitude de sirènes avides de lui. Il regrettait le séminaire où la vie est monotone et douce. Sous les tilleuls il jouait aux boules. Sa « cellule » lui plaisait, sommairement meublée d’un lit de fer, d’une table de bois blanc et d’une chaise dont la paille commençait à s’user. Des trois rayons qui composaient la bibliothèque, le premier seulement était garni de livres sur le dos desquels on lisait : Histoire de l’Église, Theologia dogmatica et moralis, Philosophia scolastica. Il n’y avait, sur le deuxième, que les Soirées de Saint-Pétersbourg et des Morceaux choisis de Chateaubriand, que jamais Raguel n’avait essayé de lire. Le troisième était vide. La fenêtre ouvrait sur un horizon restreint que bornait un haut talus de voie ferrée. Aucune nostalgie d’espaces inconnus et désirés ne lui venait à voir, le jour, à entendre, la nuit, passer les trains qui s’enfuyaient aux quatre coins du monde : le séminaire, avec ses tilleuls, sa cour plantée de buis et de rosiers entourant une statue de la Vierge, résumait le monde. Du premier coup de cloche du réveil au dernier du couvre-feu, les heures d’étude et de cours alternaient avec les heures des exercices spirituels, messe, examen particulier, adoration, chapelet récité en commun. Raguel était un séminariste exemplaire. De ce qu’il savait par cœur les premiers principes de la philosophie scolastique, il était certain de pouvoir réduire à néant, après deux minutes d’argumentation par atqui et ergo, tous les systèmes de tous les « ennemis de la religion ». Et il ne prononçait qu’avec une pitié méprisante le nom de Voltaire. Les affirmations de la théologie, appuyées par les textes de l’Écriture sainte et des Pères de l’Église, corroborées par le consensus omnium, lui apparaissaient comme autant de vérités indiscutables. Origène est d’un avis contraire ? L’Église le déclare hérétique et affirme qu’il se trompe, parce qu’il ne pense pas comme elle. Des peuples entiers restent indifférents au christianisme, mais se réclament, ceux-ci de Mahomet, ceux-là de Bouddha ? L’Église décrète que ce sont des infidèles. Dans l’Inquisition et la Saint-Barthélemy, les catholiques ont le beau rôle, et les prêtres guillotinés par la Révolution ont été, leur vie durant, des saints, et, le jour de leur mort, des martyrs.

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Extrait: Les quelques ouvrières qu’il croisa dans les rues le regardèrent en riant et touchaient le bout ferré de leurs ombrelles. Ignorant la signification du geste, il ne prenait garde qu’aux sourires : Raguel était à peine sorti du séminaire que déjà le monde essayait de le séduire. De taille moyenne, joufflu, les cheveux coupés ras, il avait, à la lèvre supérieure, une raie bleue, comme si le rasoir lui eût laissé, sur la peau, des brindilles d’acier. Il marchait penché un peu en avant, et, par habitude, ployait les genoux, ne tendant point le jarret. Il était quelconque : pourtant il lui semblait voir déjà se dresser une multitude de sirènes avides de lui. Il regrettait le séminaire où la vie est monotone et douce. Sous les tilleuls il jouait aux boules. Sa « cellule » lui plaisait, sommairement meublée d’un lit de fer, d’une table de bois blanc et d’une chaise dont la paille commençait à s’user. Des trois rayons qui composaient la bibliothèque, le premier seulement était garni de livres sur le dos desquels on lisait : Histoire de l’Église, Theologia dogmatica et moralis, Philosophia scolastica. Il n’y avait, sur le deuxième, que les Soirées de Saint-Pétersbourg et des Morceaux choisis de Chateaubriand, que jamais Raguel n’avait essayé de lire. Le troisième était vide. La fenêtre ouvrait sur un horizon restreint que bornait un haut talus de voie ferrée. Aucune nostalgie d’espaces inconnus et désirés ne lui venait à voir, le jour, à entendre, la nuit, passer les trains qui s’enfuyaient aux quatre coins du monde : le séminaire, avec ses tilleuls, sa cour plantée de buis et de rosiers entourant une statue de la Vierge, résumait le monde. Du premier coup de cloche du réveil au dernier du couvre-feu, les heures d’étude et de cours alternaient avec les heures des exercices spirituels, messe, examen particulier, adoration, chapelet récité en commun. Raguel était un séminariste exemplaire. De ce qu’il savait par cœur les premiers principes de la philosophie scolastique, il était certain de pouvoir réduire à néant, après deux minutes d’argumentation par atqui et ergo, tous les systèmes de tous les « ennemis de la religion ». Et il ne prononçait qu’avec une pitié méprisante le nom de Voltaire. Les affirmations de la théologie, appuyées par les textes de l’Écriture sainte et des Pères de l’Église, corroborées par le consensus omnium, lui apparaissaient comme autant de vérités indiscutables. Origène est d’un avis contraire ? L’Église le déclare hérétique et affirme qu’il se trompe, parce qu’il ne pense pas comme elle. Des peuples entiers restent indifférents au christianisme, mais se réclament, ceux-ci de Mahomet, ceux-là de Bouddha ? L’Église décrète que ce sont des infidèles. Dans l’Inquisition et la Saint-Barthélemy, les catholiques ont le beau rôle, et les prêtres guillotinés par la Révolution ont été, leur vie durant, des saints, et, le jour de leur mort, des martyrs.

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