PÈRES ET ENFANTS

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book PÈRES ET ENFANTS by Ivan Tourgueniev, NA
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Author: Ivan Tourgueniev ISBN: 1230000256047
Publisher: NA Publication: July 28, 2014
Imprint: Language: French
Author: Ivan Tourgueniev
ISBN: 1230000256047
Publisher: NA
Publication: July 28, 2014
Imprint:
Language: French

Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relu et corrigé.

Extrait: « Eh bien ! Pierre, rien ne vient encore ? » demandait, le 20 mai 1859, un homme de quarante-cinq ans environ, vêtu d’un paletot et d’un pantalon à carreaux couvert de poussière, debout, nu tête, sur le seuil d’une auberge de la grand’route de X..., en Russie. Le domestique auquel il adressait cette question était un jeune blondin aux joues pleines, aux petits yeux ternes, au menton rond, couvert d’un duvet incolore.
Ce domestique, chez lequel tout, depuis ses cheveux pommadés et ses boucles d’oreilles en turquoises, jusqu’à ses gestes étudiés, révélait un serviteur de la nouvelle génération du progrès, jeta les yeux sur la route par égard pour son maître et lui répondit avec gravité :
— On ne voit absolument rien !
— Rien ? demanda le maître.
— Absolument rien ! répéta le domestique.
Le maître soupira et s’assit sur un banc. Pendant qu’il se tient là, les jambes repliées et promenant les yeux autour de lui d’un air pensif, profitons-en pour le présenter au lecteur.
Il se nomme Nicolas Petrovitch Kirsanof, et possède, à quinze verstes de l’auberge, une propriété de deux cents paysans ; là, pour parler comme il le fait depuis qu’il s’est arrangé avec eux, conformément aux nouveaux règlements, il s’est monté une « ferme » comprenant deux mille deciatines[1]. Son père, un de nos généraux de 1812, homme d’une nature très-peu cultivée, rude même, un Russe du plus pur sang, mais sans ombre de méchanceté, avait blanchi sous le harnais. Nommé général de brigade et plus tard commandant d’une division, il habitait la province, où, en raison de son grade, il jouait un rôle assez important. Nicolas Petrovitch, son fils, était né dans la Russie méridionale, ainsi que son frère aîné Paul, dont nous parlerons plus tard ; il fut élevé à la maison jusqu’à l’âge de quatorze ans par des gouverneurs à bon marché, entouré d’aides-de-camp aux allures servilement dégagées, et d’autres individus appartenant à l’intendance ou à l’état-major. Sa mère, une demoiselle Koliazine, qui se nommait Agathe sous le toit paternel, avait pris, une fois mariée, le nom de Agatokleïa Kouzminichna, et ne dérogeait en rien aux habitudes qui caractérisent les « dames » des officiers supérieurs : elle portait des bonnets magnifiques et des robes de soie bruyantes, s’avançait toujours la première à l’église pour baiser la croix[2], parlait beaucoup et très-haut, donnait sa main à baiser tous les matins à ses enfants, et leur administrait chaque soir sa bénédiction ; en un mot, elle était la grande dame du chef-lieu. Quoique Nicolas Petrovitch passât pour un poltron, on le destinait, en sa qualité de fils d’un général, à entrer au service militaire, ainsi que son frère Paul ; mais, le jour même de son départ pour le régiment, il se cassa la jambe et clopina toute sa vie, après avoir passé deux mois dans son lit. Obligé de renoncer à en faire un soldat, son père se résigna à le mettre au service civil, et il le conduisit à Pétersbourg pour le faire entrer à l’université dès qu’il eut accompli sa dix-huitième année. Paul obtint la même année le grade d’officier dans un régiment de la garde. Les deux jeunes gens prirent un logement en commun, et y vécurent sous la surveillance peu rigoureuse d’un oncle maternel, employé supérieur. Leur père était allé rejoindre sa division et sa femme. Il adressait de loin en loin à ses fils d’énormes plis de papier gris couverts d’une écriture qui dénotait la main exercée d’un scribe de régiment. À la fin de chaque lettre se lisaient, encadrés dans un parafe aux traits soigneusement arrondis, les mots suivants : « — Pierre Kirsanof, générale-major. » En 1835, Nicolas Petrovitch sortit de l’université avec le titre de candidat, et, la même année, le général Kirsanof, ayant été mis à la retraite après une inspection intempestive, vint se fixer à Pétersbourg avec sa femme. Il s’était loué une maison près du jardin de la Tauride, et avait obtenu ses entrées

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Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relu et corrigé.

Extrait: « Eh bien ! Pierre, rien ne vient encore ? » demandait, le 20 mai 1859, un homme de quarante-cinq ans environ, vêtu d’un paletot et d’un pantalon à carreaux couvert de poussière, debout, nu tête, sur le seuil d’une auberge de la grand’route de X..., en Russie. Le domestique auquel il adressait cette question était un jeune blondin aux joues pleines, aux petits yeux ternes, au menton rond, couvert d’un duvet incolore.
Ce domestique, chez lequel tout, depuis ses cheveux pommadés et ses boucles d’oreilles en turquoises, jusqu’à ses gestes étudiés, révélait un serviteur de la nouvelle génération du progrès, jeta les yeux sur la route par égard pour son maître et lui répondit avec gravité :
— On ne voit absolument rien !
— Rien ? demanda le maître.
— Absolument rien ! répéta le domestique.
Le maître soupira et s’assit sur un banc. Pendant qu’il se tient là, les jambes repliées et promenant les yeux autour de lui d’un air pensif, profitons-en pour le présenter au lecteur.
Il se nomme Nicolas Petrovitch Kirsanof, et possède, à quinze verstes de l’auberge, une propriété de deux cents paysans ; là, pour parler comme il le fait depuis qu’il s’est arrangé avec eux, conformément aux nouveaux règlements, il s’est monté une « ferme » comprenant deux mille deciatines[1]. Son père, un de nos généraux de 1812, homme d’une nature très-peu cultivée, rude même, un Russe du plus pur sang, mais sans ombre de méchanceté, avait blanchi sous le harnais. Nommé général de brigade et plus tard commandant d’une division, il habitait la province, où, en raison de son grade, il jouait un rôle assez important. Nicolas Petrovitch, son fils, était né dans la Russie méridionale, ainsi que son frère aîné Paul, dont nous parlerons plus tard ; il fut élevé à la maison jusqu’à l’âge de quatorze ans par des gouverneurs à bon marché, entouré d’aides-de-camp aux allures servilement dégagées, et d’autres individus appartenant à l’intendance ou à l’état-major. Sa mère, une demoiselle Koliazine, qui se nommait Agathe sous le toit paternel, avait pris, une fois mariée, le nom de Agatokleïa Kouzminichna, et ne dérogeait en rien aux habitudes qui caractérisent les « dames » des officiers supérieurs : elle portait des bonnets magnifiques et des robes de soie bruyantes, s’avançait toujours la première à l’église pour baiser la croix[2], parlait beaucoup et très-haut, donnait sa main à baiser tous les matins à ses enfants, et leur administrait chaque soir sa bénédiction ; en un mot, elle était la grande dame du chef-lieu. Quoique Nicolas Petrovitch passât pour un poltron, on le destinait, en sa qualité de fils d’un général, à entrer au service militaire, ainsi que son frère Paul ; mais, le jour même de son départ pour le régiment, il se cassa la jambe et clopina toute sa vie, après avoir passé deux mois dans son lit. Obligé de renoncer à en faire un soldat, son père se résigna à le mettre au service civil, et il le conduisit à Pétersbourg pour le faire entrer à l’université dès qu’il eut accompli sa dix-huitième année. Paul obtint la même année le grade d’officier dans un régiment de la garde. Les deux jeunes gens prirent un logement en commun, et y vécurent sous la surveillance peu rigoureuse d’un oncle maternel, employé supérieur. Leur père était allé rejoindre sa division et sa femme. Il adressait de loin en loin à ses fils d’énormes plis de papier gris couverts d’une écriture qui dénotait la main exercée d’un scribe de régiment. À la fin de chaque lettre se lisaient, encadrés dans un parafe aux traits soigneusement arrondis, les mots suivants : « — Pierre Kirsanof, générale-major. » En 1835, Nicolas Petrovitch sortit de l’université avec le titre de candidat, et, la même année, le général Kirsanof, ayant été mis à la retraite après une inspection intempestive, vint se fixer à Pétersbourg avec sa femme. Il s’était loué une maison près du jardin de la Tauride, et avait obtenu ses entrées

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