Author: | Jules Verne | ISBN: | 1230000835480 |
Publisher: | Consumer Oriented Ebooks Publisher | Publication: | December 9, 2015 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Jules Verne |
ISBN: | 1230000835480 |
Publisher: | Consumer Oriented Ebooks Publisher |
Publication: | December 9, 2015 |
Imprint: | |
Language: | French |
Il y a deux chances de ne jamais revoir les amis dont on se sépare
pour un long voyage: ceux qui restent peuvent ne se plus retrouver
au retour; ceux qui partent peuvent ne plus revenir. Mais ils ne
se préoccupaient guère de cette éventualité, les marins qui
faisaient leurs préparatifs d'appareillage à bord du _Franklin_,
dans la matinée du 15 mars 1875.
Ce jour-là, le _Franklin_, capitaine John Branican, était sur le
point de quitter le port de San-Diégo (Californie) pour une
navigation à travers les mers septentrionales du Pacifique.
Un joli navire, de neuf cents tonneaux, ce _Franklin_, gréé en
trois-mâts-goélette, largement voilé de brigantines, focs et
flèches, hunier et perroquet à son mât de misaine. Très relevé de
ses fayons d'arrière, légèrement rentré de ses oeuvres vives, avec
son avant disposé pour couper l'eau sous un angle très fin, sa
mâture un peu inclinée et d'un parallélisme rigoureux, son
gréement de fils galvanisés, aussi raide que s'il eût été fait de
barres métalliques, il offrait le type le plus moderne de ces
élégants clippers, dont le Nord-Amérique se sert avec tant
d'avantage pour le grand commerce, et qui luttent de vitesse avec
les meilleurs steamers de sa flotte marchande.
Le _Franklin_ était à la fois si parfaitement construit et si
intrépidement commandé que pas un homme de son équipage n'eût
accepté d'embarquer sur un autre bâtiment -- même avec l'assurance
d'obtenir une plus haute paye. Tous partaient, le coeur plein de
cette double confiance, qui s'appuie sur un bon navire et sur un
bon capitaine.
Le _Franklin_ était à la veille d'entreprendre son premier voyage
au long cours pour le compte de la maison William H. Andrew, de
San-Diégo. Il devait se rendre à Calcutta par Singapore, avec un
chargement de marchandises fabriquées en Amérique, et rapporter
une cargaison des productions de l'Inde, à destination de l'un des
ports du littoral californien.
Le capitaine John Branican était un jeune homme de vingt-neuf ans.
Doué d'une physionomie attrayante mais résolue, les traits
empreints d'une rare énergie, il possédait au plus haut degré le
courage moral, si supérieur au courage physique -- ce courage «de
deux heures après minuit», disait Napoléon, c'est-à-dire celui qui
fait face à l'imprévu et se retrouve à chaque moment. Sa tête
était plus caractérisée que belle, avec ses cheveux rudes, ses
yeux animés d'un regard vif et franc, qui jaillissait comme un
dard de ses pupilles noires. On eût difficilement imaginé chez un
homme de son âge une constitution plus robuste, une membrure plus
solide. Cela se sentait à la vigueur de ses poignées de main qui
indiquaient l'ardeur de son sang et la force de ses muscles. Le
point sur lequel il convient d'insister, c'est que l'âme, contenue
dans ce corps de fer, était l'âme d'un être généreux et bon, prêt
à sacrifier sa vie pour son semblable. John Branican avait le
tempérament de ces sauveteurs, auxquels leur sang-froid permet
d'accomplir sans hésiter des actes d'héroïsme. Il avait fait ses
preuves de bonne heure. Un jour, au milieu des glaces rompues de
la baie, un autre jour, à bord d'une chaloupe chavirée, il avait
sauvé des enfants, enfant lui-même. Plus tard, il ne devait pas
démentir les instincts de dévouement qui avaient marqué son jeune
âge.
Depuis quelques années déjà, John Branican avait perdu son père et
sa mère, lorsqu'il épousa Dolly Starter, orpheline, appartenant à
l'une des meilleures familles de San-Diégo. La dot de la jeune
fille, très modeste, était en rapport avec la situation, non moins
modeste, du jeune marin, simple lieutenant à bord d'un navire de
commerce. Mais il y avait lieu de penser que Dolly hériterait un
jour d'un oncle fort riche, Edward Starter, qui menait la vie d'un
campagnard dans la partie la plus sauvage et la moins abordable de
l'État du Tennessee. En attendant, il fallait vivre à deux -- et
même à trois, car le petit Walter, Wat par abréviation, vint au
monde dans la première année du mariage. Aussi, John Branican --
et sa femme le comprenait -- ne pouvait-il songer à abandonner son
métier de marin. Plus tard il verrait ce qu'il aurait à faire
lorsque la fortune lui serait venue par héritage, ou s'il
s'enrichissait au service de la maison Andrew. Au surplus, la
carrière du jeune homme avait été rapide. Ainsi qu'on va le voir,
il avait marché vite en même temps qu'il marchait droit. Il était
capitaine au long cours à un âge où la plupart de ses collègues ne
sont encore que seconds ou lieutenants à bord des navires de
commerce. Si ses aptitudes justifiaient cette précocité, son
avancement s'expliquait aussi par certaines circonstances qui
avaient à bon droit attiré l'attention sur lui.
En effet, John Branican était populaire à San-Diégo ainsi que dans
les divers ports du littoral californien. Ses actes de dévouement
l'avaient signalé d'une façon éclatante non seulement aux marins,
mais aux négociants et armateurs de l'Union.
Quelques années auparavant, une goélette péruvienne, la _Sonora_,
ayant fait côte à l'entrée de Coronado-Beach, l'équipage était
perdu, si l'on ne parvenait pas à établir une communication entre
le bâtiment et la terre. Mais porter une amarre à travers les
brisants, c'était risquer cent fois sa vie. John Branican n'hésita
pas. Il se jeta au milieu des lames qui déferlaient avec une
extrême violence, fut roulé sur les récifs, puis ramené à la grève
battue par un terrible ressac.
Devant les dangers qu'il voulait affronter encore, sans se soucier
de sa vie, on essaya de le retenir. Il résista, il se précipita
vers la goélette, il parvint à l'atteindre, et, grâce à lui, les
hommes de la _Sonora_ furent sauvés.
Un an plus tard, pendant une tempête qui se déchaîna à cinq cents
milles au large dans l'ouest du Pacifique, John Branican eut à
nouveau l'occasion de montrer tout ce qu'on pouvait attendre de
lui. Il était lieutenant à bord du _Washington_, dont le capitaine
venait d'être emporté par un coup de mer, en même temps que la
moitié de l'équipage. Resté à bord du navire désemparé avec une
demi-douzaine de matelots, blessés pour la plupart, il prit le
commandement du _Washington_ qui ne gouvernait plus, parvint à
s'en rendre maître, à lui réinstaller des mâts de fortune, et à le
ramener au port de San-Diégo. Cette coque à peine manoeuvrable,
qui renfermait une cargaison valant plus de cinq cent mille
dollars, appartenait précisément à la maison Andrew.
Quel accueil reçut le jeune marin, lorsque le navire eut mouillé
au port de San-Diégo! Puisque les événements de mer l'avaient fait
capitaine, il n'y eut qu'une voix parmi toute la population pour
lui confirmer ce grade.
La maison Andrew lui offrit le commandement du _Franklin_,
qu'elle venait de faire construire. Le lieutenant accepta, car il
se sentait capable de commander, et n'eut qu'à choisir pour
recruter son équipage, tant on avait confiance en lui. Voilà dans
quelles conditions le _Franklin_ allait faire son premier voyage
sous les ordres de John Branican.
Ce départ était un événement pour la ville. La maison Andrew était
réputée à juste titre l'une des plus honorables de San-Diégo.
Notoirement qualifiée quant à la sûreté de ses relations et la
solidité de son crédit, c'était M. William Andrew qui la dirigeait
d'une main habile. On faisait plus que l'estimer, ce digne
armateur, on l'aimait. Sa conduite envers John Branican fut
applaudie unanimement.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si, pendant cette matinée du
15 mars, un nombreux concours de spectateurs -- autant dire la
foule des amis connus ou inconnus du jeune capitaine -- se
pressait sur les quais du Pacific-Coast-Steamship, afin de le
saluer d'un dernier hurra à son passage.
L'équipage du _Franklin_ se composait de douze hommes, y compris
le maître, tous bons marins attachés au port de San-Diégo, ayant
fait leurs preuves, heureux de servir sous les ordres de John
Branican. Le second du navire était un excellent officier, nommé
Harry Felton. Bien qu'il fût de cinq à six ans plus âgé que son
capitaine, il ne se froissait pas d'avoir à servir sous lui, ni ne
jalousait une situation qui en faisait son supérieur. Dans sa
pensée, John Branican méritait cette situation. Tous deux avaient
déjà navigué ensemble et s'appréciaient mutuellement. D'ailleurs,
ce que faisait M. William Andrew était bien fait. Harry Felton et
ses hommes lui étaient dévoués corps et âme. La plupart avaient
déjà embarqué sur quelques-uns de ses navires. C'était comme une
famille d'officiers et de matelots -- famille nombreuse,
affectionnée à ses chefs, qui constituait son personnel maritime
et ne cessait de s'accroître avec la prospérité de la maison.
Dès lors c'était sans nulle appréhension, on peut même dire avec
ardeur, que l'équipage du _Franklin_ allait commencer cette
campagne nouvelle. Pères, mères, parents étaient là pour lui dire
adieu, mais comme on le dit aux gens qu'on ne doit pas tarder à
revoir: «Bonjour et à bientôt, n'est-ce pas?» Il s'agissait, en
effet, d'un voyage de six mois, une simple traversée, pendant la
belle saison, entre la Californie et l'Inde, un aller et retour de
San-Diégo à Calcutta, et non d'une de ces expéditions de commerce
ou de découvertes, qui entraînent un navire pour de longues années
sur les mers les plus dangereuses des deux hémisphères. Ces marins
en avaient vu bien d'autres, et leurs familles avaient assisté à
de plus inquiétants départs.
Il y a deux chances de ne jamais revoir les amis dont on se sépare
pour un long voyage: ceux qui restent peuvent ne se plus retrouver
au retour; ceux qui partent peuvent ne plus revenir. Mais ils ne
se préoccupaient guère de cette éventualité, les marins qui
faisaient leurs préparatifs d'appareillage à bord du _Franklin_,
dans la matinée du 15 mars 1875.
Ce jour-là, le _Franklin_, capitaine John Branican, était sur le
point de quitter le port de San-Diégo (Californie) pour une
navigation à travers les mers septentrionales du Pacifique.
Un joli navire, de neuf cents tonneaux, ce _Franklin_, gréé en
trois-mâts-goélette, largement voilé de brigantines, focs et
flèches, hunier et perroquet à son mât de misaine. Très relevé de
ses fayons d'arrière, légèrement rentré de ses oeuvres vives, avec
son avant disposé pour couper l'eau sous un angle très fin, sa
mâture un peu inclinée et d'un parallélisme rigoureux, son
gréement de fils galvanisés, aussi raide que s'il eût été fait de
barres métalliques, il offrait le type le plus moderne de ces
élégants clippers, dont le Nord-Amérique se sert avec tant
d'avantage pour le grand commerce, et qui luttent de vitesse avec
les meilleurs steamers de sa flotte marchande.
Le _Franklin_ était à la fois si parfaitement construit et si
intrépidement commandé que pas un homme de son équipage n'eût
accepté d'embarquer sur un autre bâtiment -- même avec l'assurance
d'obtenir une plus haute paye. Tous partaient, le coeur plein de
cette double confiance, qui s'appuie sur un bon navire et sur un
bon capitaine.
Le _Franklin_ était à la veille d'entreprendre son premier voyage
au long cours pour le compte de la maison William H. Andrew, de
San-Diégo. Il devait se rendre à Calcutta par Singapore, avec un
chargement de marchandises fabriquées en Amérique, et rapporter
une cargaison des productions de l'Inde, à destination de l'un des
ports du littoral californien.
Le capitaine John Branican était un jeune homme de vingt-neuf ans.
Doué d'une physionomie attrayante mais résolue, les traits
empreints d'une rare énergie, il possédait au plus haut degré le
courage moral, si supérieur au courage physique -- ce courage «de
deux heures après minuit», disait Napoléon, c'est-à-dire celui qui
fait face à l'imprévu et se retrouve à chaque moment. Sa tête
était plus caractérisée que belle, avec ses cheveux rudes, ses
yeux animés d'un regard vif et franc, qui jaillissait comme un
dard de ses pupilles noires. On eût difficilement imaginé chez un
homme de son âge une constitution plus robuste, une membrure plus
solide. Cela se sentait à la vigueur de ses poignées de main qui
indiquaient l'ardeur de son sang et la force de ses muscles. Le
point sur lequel il convient d'insister, c'est que l'âme, contenue
dans ce corps de fer, était l'âme d'un être généreux et bon, prêt
à sacrifier sa vie pour son semblable. John Branican avait le
tempérament de ces sauveteurs, auxquels leur sang-froid permet
d'accomplir sans hésiter des actes d'héroïsme. Il avait fait ses
preuves de bonne heure. Un jour, au milieu des glaces rompues de
la baie, un autre jour, à bord d'une chaloupe chavirée, il avait
sauvé des enfants, enfant lui-même. Plus tard, il ne devait pas
démentir les instincts de dévouement qui avaient marqué son jeune
âge.
Depuis quelques années déjà, John Branican avait perdu son père et
sa mère, lorsqu'il épousa Dolly Starter, orpheline, appartenant à
l'une des meilleures familles de San-Diégo. La dot de la jeune
fille, très modeste, était en rapport avec la situation, non moins
modeste, du jeune marin, simple lieutenant à bord d'un navire de
commerce. Mais il y avait lieu de penser que Dolly hériterait un
jour d'un oncle fort riche, Edward Starter, qui menait la vie d'un
campagnard dans la partie la plus sauvage et la moins abordable de
l'État du Tennessee. En attendant, il fallait vivre à deux -- et
même à trois, car le petit Walter, Wat par abréviation, vint au
monde dans la première année du mariage. Aussi, John Branican --
et sa femme le comprenait -- ne pouvait-il songer à abandonner son
métier de marin. Plus tard il verrait ce qu'il aurait à faire
lorsque la fortune lui serait venue par héritage, ou s'il
s'enrichissait au service de la maison Andrew. Au surplus, la
carrière du jeune homme avait été rapide. Ainsi qu'on va le voir,
il avait marché vite en même temps qu'il marchait droit. Il était
capitaine au long cours à un âge où la plupart de ses collègues ne
sont encore que seconds ou lieutenants à bord des navires de
commerce. Si ses aptitudes justifiaient cette précocité, son
avancement s'expliquait aussi par certaines circonstances qui
avaient à bon droit attiré l'attention sur lui.
En effet, John Branican était populaire à San-Diégo ainsi que dans
les divers ports du littoral californien. Ses actes de dévouement
l'avaient signalé d'une façon éclatante non seulement aux marins,
mais aux négociants et armateurs de l'Union.
Quelques années auparavant, une goélette péruvienne, la _Sonora_,
ayant fait côte à l'entrée de Coronado-Beach, l'équipage était
perdu, si l'on ne parvenait pas à établir une communication entre
le bâtiment et la terre. Mais porter une amarre à travers les
brisants, c'était risquer cent fois sa vie. John Branican n'hésita
pas. Il se jeta au milieu des lames qui déferlaient avec une
extrême violence, fut roulé sur les récifs, puis ramené à la grève
battue par un terrible ressac.
Devant les dangers qu'il voulait affronter encore, sans se soucier
de sa vie, on essaya de le retenir. Il résista, il se précipita
vers la goélette, il parvint à l'atteindre, et, grâce à lui, les
hommes de la _Sonora_ furent sauvés.
Un an plus tard, pendant une tempête qui se déchaîna à cinq cents
milles au large dans l'ouest du Pacifique, John Branican eut à
nouveau l'occasion de montrer tout ce qu'on pouvait attendre de
lui. Il était lieutenant à bord du _Washington_, dont le capitaine
venait d'être emporté par un coup de mer, en même temps que la
moitié de l'équipage. Resté à bord du navire désemparé avec une
demi-douzaine de matelots, blessés pour la plupart, il prit le
commandement du _Washington_ qui ne gouvernait plus, parvint à
s'en rendre maître, à lui réinstaller des mâts de fortune, et à le
ramener au port de San-Diégo. Cette coque à peine manoeuvrable,
qui renfermait une cargaison valant plus de cinq cent mille
dollars, appartenait précisément à la maison Andrew.
Quel accueil reçut le jeune marin, lorsque le navire eut mouillé
au port de San-Diégo! Puisque les événements de mer l'avaient fait
capitaine, il n'y eut qu'une voix parmi toute la population pour
lui confirmer ce grade.
La maison Andrew lui offrit le commandement du _Franklin_,
qu'elle venait de faire construire. Le lieutenant accepta, car il
se sentait capable de commander, et n'eut qu'à choisir pour
recruter son équipage, tant on avait confiance en lui. Voilà dans
quelles conditions le _Franklin_ allait faire son premier voyage
sous les ordres de John Branican.
Ce départ était un événement pour la ville. La maison Andrew était
réputée à juste titre l'une des plus honorables de San-Diégo.
Notoirement qualifiée quant à la sûreté de ses relations et la
solidité de son crédit, c'était M. William Andrew qui la dirigeait
d'une main habile. On faisait plus que l'estimer, ce digne
armateur, on l'aimait. Sa conduite envers John Branican fut
applaudie unanimement.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si, pendant cette matinée du
15 mars, un nombreux concours de spectateurs -- autant dire la
foule des amis connus ou inconnus du jeune capitaine -- se
pressait sur les quais du Pacific-Coast-Steamship, afin de le
saluer d'un dernier hurra à son passage.
L'équipage du _Franklin_ se composait de douze hommes, y compris
le maître, tous bons marins attachés au port de San-Diégo, ayant
fait leurs preuves, heureux de servir sous les ordres de John
Branican. Le second du navire était un excellent officier, nommé
Harry Felton. Bien qu'il fût de cinq à six ans plus âgé que son
capitaine, il ne se froissait pas d'avoir à servir sous lui, ni ne
jalousait une situation qui en faisait son supérieur. Dans sa
pensée, John Branican méritait cette situation. Tous deux avaient
déjà navigué ensemble et s'appréciaient mutuellement. D'ailleurs,
ce que faisait M. William Andrew était bien fait. Harry Felton et
ses hommes lui étaient dévoués corps et âme. La plupart avaient
déjà embarqué sur quelques-uns de ses navires. C'était comme une
famille d'officiers et de matelots -- famille nombreuse,
affectionnée à ses chefs, qui constituait son personnel maritime
et ne cessait de s'accroître avec la prospérité de la maison.
Dès lors c'était sans nulle appréhension, on peut même dire avec
ardeur, que l'équipage du _Franklin_ allait commencer cette
campagne nouvelle. Pères, mères, parents étaient là pour lui dire
adieu, mais comme on le dit aux gens qu'on ne doit pas tarder à
revoir: «Bonjour et à bientôt, n'est-ce pas?» Il s'agissait, en
effet, d'un voyage de six mois, une simple traversée, pendant la
belle saison, entre la Californie et l'Inde, un aller et retour de
San-Diégo à Calcutta, et non d'une de ces expéditions de commerce
ou de découvertes, qui entraînent un navire pour de longues années
sur les mers les plus dangereuses des deux hémisphères. Ces marins
en avaient vu bien d'autres, et leurs familles avaient assisté à
de plus inquiétants départs.