Author: | Nicolas Boileau | ISBN: | 1230000220973 |
Publisher: | Nicolas Boileau | Publication: | February 25, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Nicolas Boileau |
ISBN: | 1230000220973 |
Publisher: | Nicolas Boileau |
Publication: | February 25, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
EXTRAIT:
Le Libraire au lecteur.
Ces satires dont on fait part au public n'auraient jamais couru le hasard de
l'impression si l'on eût laissé faire leur auteur. Quelques applaudissements
qu'un assez grand nombre de personnes amoureuses de ces sortes d'ouvrages ait
donnés aux siens, sa modestie lui persuadait que de les faire imprimer ce serait
augmenter le nombre des méchants livres qu'il blâme en tant de rencontres, et se
rendre par là digne lui-même en quelque façon d'avoir place dans ses satires.
C'est ce qui lui a fait souffrir fort longtemps avec une patience qui tient
quelque chose de l'héroïque dans un auteur les mauvaises copies qui ont couru de
ses ouvrages, sans être tenté pour cela de les faire mettre sous la presse. Mais
enfin toute sa constance l'a abandonné à la vue de cette monstrueuse édition qui
en a paru depuis peu. Sa tendresse de père s'est réveillée à l'aspect de ses
enfants ainsi défigurés et mis en pièces, surtout lorsqu'il les a vus
accompagnés de cette prose fade et insipide que tout le sel de ses vers ne
pourrait pas relever, je veux dire de ce Jugement sur les sciences qu'on a cousu
si peu judicieusement à la fin de son livre. Il a eu peur que ses satires
n'achevassent de se gâter en une si méchante compagnie. Et il a cru enfin que,
puisqu'un ouvrage, tôt ou tard, doit passer par les mains de l'imprimeur, il
valait mieux subir le joug de bonne grâce, et faire de lui-même ce qu'on avait
déjà fait malgré lui. Joint que ce galant homme qui a pris soin de la première
édition y a mêlé les noms de quelques personnes que l'auteur honore, et devant
qui il est bien aise de se justifier. Toutes ces considérations, dis-je, l'ont
obligé à me confier les véritables originaux de ses pièces, augmentées encore de
deux autres, pour lesquelles il appréhendait le même sort. Mais en même temps il
m'a laissé la charge de faire ses excuses aux auteurs qui pourront être choqués
de la liberté qu'il s'est donnée de parler de leurs ouvrages, en quelques
endroits de ses écrits. Il les prie donc de considérer que le Parnasse fut de
tout temps un pays de liberté; que le plus habile y est tous les jours exposé à
la censure du plus ignorant; que le sentiment d'un seul homme ne fait point de
loi; et qu'au pis aller, s'ils se persuadent qu'il ait fait du tort à leurs
ouvrages, ils s'en peuvent venger sur les siens, dont il leur abandonne
jusqu'aux points et aux virgules. Que si cela ne les satisfait pas encore, il
leur conseille d'avoir recours à cette bienheureuse tranquillité des grands
hommes comme eux, qui ne manquent jamais de se consoler d'une semblable disgrâce
par quelque exemple fameux pris des plus célèbres auteurs de l'Antiquité, dont
ils se font l'application tout seuls. En un mot, il les supplie de faire
réflexion que si leurs ouvrages sont mauvais, ils méritent d'être censurés, et
que, s'ils sont bons, tout ce qu'on dira contre eux ne les fera pas trouver
mauvais. Au reste, comme la malignité de ses ennemis s'efforce depuis peu de
donner un sens coupable à ses pensées même les plus innocentes, il prie les
honnêtes gens de ne se pas laisser surprendre aux subtilités raffinées de ces
petits esprits qui ne savent se venger que par des voies lâches et qui lui
veulent souvent faire un crime affreux d'une élégance poétique. Il est bien aise
aussi de faire savoir dans cette édition que le nom de Scutari, l'heureux
Scutari, ne veut dire que Scutari, bien que quelques-uns l'aient voulu attribuer
à l'un des plus fameux poètes de notre siècle, dont l'auteur estime le mérite,
et honore la vertu.
J'ai charge encore d'avertir ceux qui voudront faire des Satires contre les
Satires de ne se point cacher. Je leur réponds que l'auteur ne les citera point
devant d'autre tribunal que celui des Muses. Parce que, si ce sont des injures
grossières, les beurrières lui en feront raison; et si c'est une raillerie
délicate, il n'est pas assez ignorant dans les lois pour ne pas savoir qu'il
doit porter la peine du talion. Qu'ils écrivent donc librement: comme ils
contribueront sans doute à rendre l'auteur plus illustre, ils feront le profit
du libraire; et cela me regarde. Quelque intérêt pourtant que j'y trouve, je
leur conseille d'attendre encore quelque temps, et de laisser mûrir leur
mauvaise humeur. On ne fait rien qui vaille dans la colère. Vous avez beau vomir
des injures sales et odieuses: cela marque la bassesse de votre âme, sans
rabaisser la gloire de celui que vous attaquez; et le lecteur qui est de sang-
froid n'épouse point les sottes passions d'un rimeur emporté. Il y aurait aussi
plusieurs choses à dire, touchant le reproche qu'on fait à l'auteur, d'avoir
pris ses pensées dans Juvénal et dans Horace. Mais, tout bien considéré, il
trouve l'objection si honorable pour lui, qu'il croirait se faire tort d'y
répondre.
EXTRAIT:
Le Libraire au lecteur.
Ces satires dont on fait part au public n'auraient jamais couru le hasard de
l'impression si l'on eût laissé faire leur auteur. Quelques applaudissements
qu'un assez grand nombre de personnes amoureuses de ces sortes d'ouvrages ait
donnés aux siens, sa modestie lui persuadait que de les faire imprimer ce serait
augmenter le nombre des méchants livres qu'il blâme en tant de rencontres, et se
rendre par là digne lui-même en quelque façon d'avoir place dans ses satires.
C'est ce qui lui a fait souffrir fort longtemps avec une patience qui tient
quelque chose de l'héroïque dans un auteur les mauvaises copies qui ont couru de
ses ouvrages, sans être tenté pour cela de les faire mettre sous la presse. Mais
enfin toute sa constance l'a abandonné à la vue de cette monstrueuse édition qui
en a paru depuis peu. Sa tendresse de père s'est réveillée à l'aspect de ses
enfants ainsi défigurés et mis en pièces, surtout lorsqu'il les a vus
accompagnés de cette prose fade et insipide que tout le sel de ses vers ne
pourrait pas relever, je veux dire de ce Jugement sur les sciences qu'on a cousu
si peu judicieusement à la fin de son livre. Il a eu peur que ses satires
n'achevassent de se gâter en une si méchante compagnie. Et il a cru enfin que,
puisqu'un ouvrage, tôt ou tard, doit passer par les mains de l'imprimeur, il
valait mieux subir le joug de bonne grâce, et faire de lui-même ce qu'on avait
déjà fait malgré lui. Joint que ce galant homme qui a pris soin de la première
édition y a mêlé les noms de quelques personnes que l'auteur honore, et devant
qui il est bien aise de se justifier. Toutes ces considérations, dis-je, l'ont
obligé à me confier les véritables originaux de ses pièces, augmentées encore de
deux autres, pour lesquelles il appréhendait le même sort. Mais en même temps il
m'a laissé la charge de faire ses excuses aux auteurs qui pourront être choqués
de la liberté qu'il s'est donnée de parler de leurs ouvrages, en quelques
endroits de ses écrits. Il les prie donc de considérer que le Parnasse fut de
tout temps un pays de liberté; que le plus habile y est tous les jours exposé à
la censure du plus ignorant; que le sentiment d'un seul homme ne fait point de
loi; et qu'au pis aller, s'ils se persuadent qu'il ait fait du tort à leurs
ouvrages, ils s'en peuvent venger sur les siens, dont il leur abandonne
jusqu'aux points et aux virgules. Que si cela ne les satisfait pas encore, il
leur conseille d'avoir recours à cette bienheureuse tranquillité des grands
hommes comme eux, qui ne manquent jamais de se consoler d'une semblable disgrâce
par quelque exemple fameux pris des plus célèbres auteurs de l'Antiquité, dont
ils se font l'application tout seuls. En un mot, il les supplie de faire
réflexion que si leurs ouvrages sont mauvais, ils méritent d'être censurés, et
que, s'ils sont bons, tout ce qu'on dira contre eux ne les fera pas trouver
mauvais. Au reste, comme la malignité de ses ennemis s'efforce depuis peu de
donner un sens coupable à ses pensées même les plus innocentes, il prie les
honnêtes gens de ne se pas laisser surprendre aux subtilités raffinées de ces
petits esprits qui ne savent se venger que par des voies lâches et qui lui
veulent souvent faire un crime affreux d'une élégance poétique. Il est bien aise
aussi de faire savoir dans cette édition que le nom de Scutari, l'heureux
Scutari, ne veut dire que Scutari, bien que quelques-uns l'aient voulu attribuer
à l'un des plus fameux poètes de notre siècle, dont l'auteur estime le mérite,
et honore la vertu.
J'ai charge encore d'avertir ceux qui voudront faire des Satires contre les
Satires de ne se point cacher. Je leur réponds que l'auteur ne les citera point
devant d'autre tribunal que celui des Muses. Parce que, si ce sont des injures
grossières, les beurrières lui en feront raison; et si c'est une raillerie
délicate, il n'est pas assez ignorant dans les lois pour ne pas savoir qu'il
doit porter la peine du talion. Qu'ils écrivent donc librement: comme ils
contribueront sans doute à rendre l'auteur plus illustre, ils feront le profit
du libraire; et cela me regarde. Quelque intérêt pourtant que j'y trouve, je
leur conseille d'attendre encore quelque temps, et de laisser mûrir leur
mauvaise humeur. On ne fait rien qui vaille dans la colère. Vous avez beau vomir
des injures sales et odieuses: cela marque la bassesse de votre âme, sans
rabaisser la gloire de celui que vous attaquez; et le lecteur qui est de sang-
froid n'épouse point les sottes passions d'un rimeur emporté. Il y aurait aussi
plusieurs choses à dire, touchant le reproche qu'on fait à l'auteur, d'avoir
pris ses pensées dans Juvénal et dans Horace. Mais, tout bien considéré, il
trouve l'objection si honorable pour lui, qu'il croirait se faire tort d'y
répondre.