Author: | About Edmond | ISBN: | 1230001609547 |
Publisher: | YADE | Publication: | March 26, 2017 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | About Edmond |
ISBN: | 1230001609547 |
Publisher: | YADE |
Publication: | March 26, 2017 |
Imprint: | |
Language: | French |
I LA FILLE DU CHANOINE
Voici dans quelle occasion cette histoire me fut contée par le
plus honnête homme de Strasbourg. C’était l’hiver dernier ;
nous allions faire en pays badois une de ces battues dont on
rapporte un cent de lièvres au moins, sous peine de passer pour
bredouille. Celui qui nous donnait cette fête et qui m’y
conduisait dans sa voiture était le notaire Philippe-Auguste
Riess ; il est mort cette semaine après une agonie de six mois,
et la vieille ville démocratique le pleure. Tous ceux qui pensent
librement, et il y en a beaucoup dans ce noble coin de la
France, recherchaient ses conseils et suivaient ses exemples ; il
exerçait amicalement sur ses égaux l’autorité que donne un bon
sens infaillible doublé d’une irréprochable vertu. Aucune
oeuvre de bienfaisance intelligente ne fut entreprise sans son
concours : il était l’âme de la digne et patriarcale cité. On ferait
une république autrement belle qu’Athènes et Sparte, si l’on
pouvait réunir un million d’hommes tels que lui. Ce citoyen de
l’âge d’or n’affectait pas de dédaigner le présent ; sa tolérance
s’étendait jusqu’aux oeuvres de l’art et de la littérature
contemporaine. Il allait au théâtre, il lisait tous nos livres,
exaltait volontiers, ce qui lui semblait bon, et notait sans
aigreur les défaillances publiques et privées.
Comme le rendez-vous de chasse était à deux heures de la
ville, nous eûmes le loisir d’échanger bien des idées et de
passer bien des gens en revue. Dans sa critique toujours juste et
modérée, un seul point me parut contestable.
« Votre principal défaut, disait-il, et je m’adresse à tous les
romanciers, dramaturges et auteurs comiques d’aujourd’hui,
est de n’étudier que des exceptions : le théâtre et le roman ne
vivent pas d’autre chose. L’adultère ? exception . Le crime ?
exception, Le suicide ? exception. Le demi-Monde, ce chefd’oeuvre
de Dumas fils, les Effrontés, Giboyer, Maître Guérin,
le Fils naturel, les Faux Bonshommes, exceptions ; tout Balzac
est un musée d’exceptions, de difformités, de monstruosités
morales ! Est-il donc impossible d’intéresser le lecteur ou le
spectateur à meilleur compte ? La vie est assez féconde en
combinaisons variées pour que des événements naturels, des
sentiments modérés, des actions quotidiennes et des acteurs
pris dans la foule produisent, l’art aidant, l’effet de rire ou de
larmes que vous achetez à trop grands frais ?
I LA FILLE DU CHANOINE
Voici dans quelle occasion cette histoire me fut contée par le
plus honnête homme de Strasbourg. C’était l’hiver dernier ;
nous allions faire en pays badois une de ces battues dont on
rapporte un cent de lièvres au moins, sous peine de passer pour
bredouille. Celui qui nous donnait cette fête et qui m’y
conduisait dans sa voiture était le notaire Philippe-Auguste
Riess ; il est mort cette semaine après une agonie de six mois,
et la vieille ville démocratique le pleure. Tous ceux qui pensent
librement, et il y en a beaucoup dans ce noble coin de la
France, recherchaient ses conseils et suivaient ses exemples ; il
exerçait amicalement sur ses égaux l’autorité que donne un bon
sens infaillible doublé d’une irréprochable vertu. Aucune
oeuvre de bienfaisance intelligente ne fut entreprise sans son
concours : il était l’âme de la digne et patriarcale cité. On ferait
une république autrement belle qu’Athènes et Sparte, si l’on
pouvait réunir un million d’hommes tels que lui. Ce citoyen de
l’âge d’or n’affectait pas de dédaigner le présent ; sa tolérance
s’étendait jusqu’aux oeuvres de l’art et de la littérature
contemporaine. Il allait au théâtre, il lisait tous nos livres,
exaltait volontiers, ce qui lui semblait bon, et notait sans
aigreur les défaillances publiques et privées.
Comme le rendez-vous de chasse était à deux heures de la
ville, nous eûmes le loisir d’échanger bien des idées et de
passer bien des gens en revue. Dans sa critique toujours juste et
modérée, un seul point me parut contestable.
« Votre principal défaut, disait-il, et je m’adresse à tous les
romanciers, dramaturges et auteurs comiques d’aujourd’hui,
est de n’étudier que des exceptions : le théâtre et le roman ne
vivent pas d’autre chose. L’adultère ? exception . Le crime ?
exception, Le suicide ? exception. Le demi-Monde, ce chefd’oeuvre
de Dumas fils, les Effrontés, Giboyer, Maître Guérin,
le Fils naturel, les Faux Bonshommes, exceptions ; tout Balzac
est un musée d’exceptions, de difformités, de monstruosités
morales ! Est-il donc impossible d’intéresser le lecteur ou le
spectateur à meilleur compte ? La vie est assez féconde en
combinaisons variées pour que des événements naturels, des
sentiments modérés, des actions quotidiennes et des acteurs
pris dans la foule produisent, l’art aidant, l’effet de rire ou de
larmes que vous achetez à trop grands frais ?