Author: | Colette (1873-1954) | ISBN: | 1230001721768 |
Publisher: | Fayard 1917 | Publication: | June 16, 2017 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Colette (1873-1954) |
ISBN: | 1230001721768 |
Publisher: | Fayard 1917 |
Publication: | June 16, 2017 |
Imprint: | |
Language: | French |
Chroniques - Récits personnels - français - recueil - bataille - tristesse - reportage romanesque - critiques - écrivain femme - académie goncourt - souvenirs décalé - première guerre mondiale - animaux de compagnie - france - littérature française - anglais 20ème siècle........
La guerre?... Jusqu'à la fin du mois dernier, ce n'était qu'un mot, énorme, barrant les journaux assoupis de l'été. La guerre? Peut-être, oui, très loin, de l'autre côté de la terre, mais pas ici.... Comment imaginer que l'écho même d'une guerre pût franchir ces rochers, farouches uniquement pour que semblent plus doux, à leurs pieds, la vague, le gazon marin clairsemé, le chèvrefeuille, le sable gaufré par la petite serre des oiseaux.... Ce paradis n'était point fait pour la guerre, mais pour nos brèves vacances, pour notre solitude. Les récifs cachés sous la mer n'y veulent point de barque; l'épervier vigilant en bannit les oiseaux. Chaque jour, vers l'heure de midi, il montait au ciel et tardait à redescendre; notre jumelle marine le découvrait très haut, large ouvert, appuyé sur le vent, et son bel œil brûlant ne regardait pas la terre....
C'était pourtant la guerre, cette Cancalaise dure, cette vendeuse de poisson qui avait cessé, le mois dernier, de bavarder et de rire, qui réclamait son dû en argent et en bronze, et refusait les billets de banque, qui regardait au loin sur la mer venir le cortège des jours sans pain ni cidre....
C'était la guerre, ce garçon épicier à bicyclette qui colportait, au grelot allègre de sa machine, des bruits de disette, des avertissements de cacher le sucre, l'huile, le pétrole....
C'était la guerre. Dans Saint-Malo, où nous courions chercher des nouvelles, un coup de tonnerre entrait en même temps que nous: la Mobilisation Générale.
Comment oublierais-je cette heure-là? Quatre heures, un beau jour voilé d'été marin, les remparts dorés de la vieille ville debout devant une mer verte sur la plage, bleue à l'horizon, —les enfants en maillots rouges quittent le sable pour le goûter et remontent les rues étranglées.... Et du milieu de la cité tous les vacarmes jaillissent à la fois: le tocsin, le tambour, les cris de la foule, les pleurs des enfants.... On se presse autour de l'appariteur au tambour, qui lit; on n'écoute pas ce qu'il lit parce qu'on le sait. Des femmes quittent les groupes en courant, s'arrêtent comme frappées, puis courent de nouveau, avec un air d'avoir dépassé une limite invisible et de s'élancer de l'autre côté de la vie. Certaines pleurent brusquement, et brusquement s'interrompent de pleurer pour réfléchir, la bouche stupide. Des adolescents pâlissent et regardent devant eux en somnambules. L'automobile qui nous porte s'arrête, étroitement insérée dans la foule qui se fige contre ses roues. Des gens l'escaladent, pour mieux voir et entendre, redescendent sans nous avoir même remarqués, comme s'ils avaient grimpé sur un mur ou sur un arbre;—dans quelques jours, qui saura si ceci est tien ou mien?... Les détails de cette heure me sont pénibles et nécessaires, comme ceux d'un rêve que je voudrais ensemble quitter et poursuivre avidement.
Un rêve, un rêve.... De plus en plus, un rêve: car à mesure que je m'éloigne de la ville, que je retourne vers les campagnes que balaie l'aile effarée des tocsins, ces prés, ces moissons, cette mer endormie ne sont plus qu'un décor, interposé entre moi et la réalité: la réalité c'est Paris, Paris où vit la moitié de moi-même, Paris peut-être fermé à cette heure, Paris suffocant et gris sous sa brume d'août, plein de cris, fermentant de chaleur et de fureur, d'angoisse et de bravoure....
Sera-ce ma plus longue soirée de la guerre, celle que je passe encore ici dans l'attente du départ, celle où le calme plat renverse, dans la mer, l'image des rochers violets? Toute la nuit la mer se tait, sans pli, sans souffle, et balance à peine, toutes ombrelles épanouies dans un phosphore laiteux, des méduses de cristal bleu....
LES HEURES LONGUES
LA NOUVELLE
LE «RÉSERVOIR»
BLESSÉS
L'AUBE
LA TÊTE
RENOUVEAU
LE PREMIER CAFÉ-CONCERT
LE VIEUX MONSIEUR
LES LETTRES
LA CHASSE AUX PRODUITS ALLEMANDS
A VERDUN
JOUR DE L'AN EN ARGONNE
BEL-GAZOU ET LA GUERRE
LES RETARDATAIRES
FEMMES SEULES
EN ATTENDANT LE ZEPPELIN
MODES
L'ENFANT DE L'ENNEMI
LES MÊMES
LE REFUGE
JOUETS
RÉPÉTITION GÉNÉRALE
CHIENS SANITAIRES
UN CAMP ANGLAIS
UN ZOUAVE
IMPRESSIONS D'ITALIE
UN TAUBE SUR VENISE
NOCTURNES
UN ENTRETIEN AVEC UN PRINCE DE HOHENLOHE
LES FOINS
"CITADINS"
L'EXILÉ
DEVOIRS DE VACANCES
LA RÉSURRECTION DES VIEUX
LAC DE COME
LAC DE COME
LE PETIT ACCIDENT
DÉMÉNAGEMENT
APOLLON, DÉMÉNAGEUR
(CARNET D'UNE FEMME DE MOBILISÉ)
BEL-GAZOU ET LA VIE CHÈRE
LA CHIENNE
PIEDS
CEUX D'AVANT LA GUERRE
Chroniques - Récits personnels - français - recueil - bataille - tristesse - reportage romanesque - critiques - écrivain femme - académie goncourt - souvenirs décalé - première guerre mondiale - animaux de compagnie - france - littérature française - anglais 20ème siècle........
La guerre?... Jusqu'à la fin du mois dernier, ce n'était qu'un mot, énorme, barrant les journaux assoupis de l'été. La guerre? Peut-être, oui, très loin, de l'autre côté de la terre, mais pas ici.... Comment imaginer que l'écho même d'une guerre pût franchir ces rochers, farouches uniquement pour que semblent plus doux, à leurs pieds, la vague, le gazon marin clairsemé, le chèvrefeuille, le sable gaufré par la petite serre des oiseaux.... Ce paradis n'était point fait pour la guerre, mais pour nos brèves vacances, pour notre solitude. Les récifs cachés sous la mer n'y veulent point de barque; l'épervier vigilant en bannit les oiseaux. Chaque jour, vers l'heure de midi, il montait au ciel et tardait à redescendre; notre jumelle marine le découvrait très haut, large ouvert, appuyé sur le vent, et son bel œil brûlant ne regardait pas la terre....
C'était pourtant la guerre, cette Cancalaise dure, cette vendeuse de poisson qui avait cessé, le mois dernier, de bavarder et de rire, qui réclamait son dû en argent et en bronze, et refusait les billets de banque, qui regardait au loin sur la mer venir le cortège des jours sans pain ni cidre....
C'était la guerre, ce garçon épicier à bicyclette qui colportait, au grelot allègre de sa machine, des bruits de disette, des avertissements de cacher le sucre, l'huile, le pétrole....
C'était la guerre. Dans Saint-Malo, où nous courions chercher des nouvelles, un coup de tonnerre entrait en même temps que nous: la Mobilisation Générale.
Comment oublierais-je cette heure-là? Quatre heures, un beau jour voilé d'été marin, les remparts dorés de la vieille ville debout devant une mer verte sur la plage, bleue à l'horizon, —les enfants en maillots rouges quittent le sable pour le goûter et remontent les rues étranglées.... Et du milieu de la cité tous les vacarmes jaillissent à la fois: le tocsin, le tambour, les cris de la foule, les pleurs des enfants.... On se presse autour de l'appariteur au tambour, qui lit; on n'écoute pas ce qu'il lit parce qu'on le sait. Des femmes quittent les groupes en courant, s'arrêtent comme frappées, puis courent de nouveau, avec un air d'avoir dépassé une limite invisible et de s'élancer de l'autre côté de la vie. Certaines pleurent brusquement, et brusquement s'interrompent de pleurer pour réfléchir, la bouche stupide. Des adolescents pâlissent et regardent devant eux en somnambules. L'automobile qui nous porte s'arrête, étroitement insérée dans la foule qui se fige contre ses roues. Des gens l'escaladent, pour mieux voir et entendre, redescendent sans nous avoir même remarqués, comme s'ils avaient grimpé sur un mur ou sur un arbre;—dans quelques jours, qui saura si ceci est tien ou mien?... Les détails de cette heure me sont pénibles et nécessaires, comme ceux d'un rêve que je voudrais ensemble quitter et poursuivre avidement.
Un rêve, un rêve.... De plus en plus, un rêve: car à mesure que je m'éloigne de la ville, que je retourne vers les campagnes que balaie l'aile effarée des tocsins, ces prés, ces moissons, cette mer endormie ne sont plus qu'un décor, interposé entre moi et la réalité: la réalité c'est Paris, Paris où vit la moitié de moi-même, Paris peut-être fermé à cette heure, Paris suffocant et gris sous sa brume d'août, plein de cris, fermentant de chaleur et de fureur, d'angoisse et de bravoure....
Sera-ce ma plus longue soirée de la guerre, celle que je passe encore ici dans l'attente du départ, celle où le calme plat renverse, dans la mer, l'image des rochers violets? Toute la nuit la mer se tait, sans pli, sans souffle, et balance à peine, toutes ombrelles épanouies dans un phosphore laiteux, des méduses de cristal bleu....
LES HEURES LONGUES
LA NOUVELLE
LE «RÉSERVOIR»
BLESSÉS
L'AUBE
LA TÊTE
RENOUVEAU
LE PREMIER CAFÉ-CONCERT
LE VIEUX MONSIEUR
LES LETTRES
LA CHASSE AUX PRODUITS ALLEMANDS
A VERDUN
JOUR DE L'AN EN ARGONNE
BEL-GAZOU ET LA GUERRE
LES RETARDATAIRES
FEMMES SEULES
EN ATTENDANT LE ZEPPELIN
MODES
L'ENFANT DE L'ENNEMI
LES MÊMES
LE REFUGE
JOUETS
RÉPÉTITION GÉNÉRALE
CHIENS SANITAIRES
UN CAMP ANGLAIS
UN ZOUAVE
IMPRESSIONS D'ITALIE
UN TAUBE SUR VENISE
NOCTURNES
UN ENTRETIEN AVEC UN PRINCE DE HOHENLOHE
LES FOINS
"CITADINS"
L'EXILÉ
DEVOIRS DE VACANCES
LA RÉSURRECTION DES VIEUX
LAC DE COME
LAC DE COME
LE PETIT ACCIDENT
DÉMÉNAGEMENT
APOLLON, DÉMÉNAGEUR
(CARNET D'UNE FEMME DE MOBILISÉ)
BEL-GAZOU ET LA VIE CHÈRE
LA CHIENNE
PIEDS
CEUX D'AVANT LA GUERRE