C'était aux époques légendaires de la jeune Amérique; antérieurement à ses luttes glorieuses pour l'Indépendance; bien avant que la civilisation eût abordé les profondeurs de ses forêts immenses, solitaires, mystérieuses. L'hiver était sur son déclin; depuis vingt-quatre heures la neige tombait sans relâche. Ses grands flocons blafards flottaient indécis dans l'atmosphère, au gré des rafales, et s'abattaient silencieusement sur le blanc linceul qui couvrait la terre. Toutes les formes des arbres, des pierres, des monticules de terrain, étaient émoussées, arrondies, nivelées avec une uniformité sépulcrale; on aurait dit la vallée de Josaphat où dormaient sous leur suaire immense, les morts, les vieux morts des générations éteintes. La solitude s'épanouissait dans toute sa muette et frissonnante horreur; la solitude… peuplée de fantômes qu'on sent, mais qu'on ne peut ni voir ni entendre. Par cette nuit désolée, un être vivant s'agitait dans l'intérieur des forêts qui couvraient toute la région méridionale proche du lac Érié. Cette créature isolée avait forme humaine; elle trahissait son existence par le mouvement pénible et monotone de ses pieds qui gravissaient la neige pour s'y enfoncer,… la gravissaient de nouveau pour s'y enfoncer encore. C'était Basil Veghte, le robuste Yankee, l'homme de bronze, le forestier aux muscles d'acier, à la volonté indomptable. C'était l'arrière petit-fils de la vieille Europe, naturalisé fils du désert. Depuis douze heures, il luttait contre la tempête avec la force opiniâtre du buffle et la sagacité de la panthère. Il faut avoir essuyé bien des orages, pour se lancer ainsi en pleine forêt lorsque toute voie a disparu, lorsque sous le voile épais des frimas la bête fauve elle-même ne retrouverait plus sa piste.
C'était aux époques légendaires de la jeune Amérique; antérieurement à ses luttes glorieuses pour l'Indépendance; bien avant que la civilisation eût abordé les profondeurs de ses forêts immenses, solitaires, mystérieuses. L'hiver était sur son déclin; depuis vingt-quatre heures la neige tombait sans relâche. Ses grands flocons blafards flottaient indécis dans l'atmosphère, au gré des rafales, et s'abattaient silencieusement sur le blanc linceul qui couvrait la terre. Toutes les formes des arbres, des pierres, des monticules de terrain, étaient émoussées, arrondies, nivelées avec une uniformité sépulcrale; on aurait dit la vallée de Josaphat où dormaient sous leur suaire immense, les morts, les vieux morts des générations éteintes. La solitude s'épanouissait dans toute sa muette et frissonnante horreur; la solitude… peuplée de fantômes qu'on sent, mais qu'on ne peut ni voir ni entendre. Par cette nuit désolée, un être vivant s'agitait dans l'intérieur des forêts qui couvraient toute la région méridionale proche du lac Érié. Cette créature isolée avait forme humaine; elle trahissait son existence par le mouvement pénible et monotone de ses pieds qui gravissaient la neige pour s'y enfoncer,… la gravissaient de nouveau pour s'y enfoncer encore. C'était Basil Veghte, le robuste Yankee, l'homme de bronze, le forestier aux muscles d'acier, à la volonté indomptable. C'était l'arrière petit-fils de la vieille Europe, naturalisé fils du désert. Depuis douze heures, il luttait contre la tempête avec la force opiniâtre du buffle et la sagacité de la panthère. Il faut avoir essuyé bien des orages, pour se lancer ainsi en pleine forêt lorsque toute voie a disparu, lorsque sous le voile épais des frimas la bête fauve elle-même ne retrouverait plus sa piste.