Les cocottes de mon grand-père

Fiction & Literature, Humorous, Classics, Literary
Cover of the book Les cocottes de mon grand-père by Alfred Delvau, Matheson
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Author: Alfred Delvau ISBN: 1230000475631
Publisher: Matheson Publication: June 8, 2015
Imprint: Language: French
Author: Alfred Delvau
ISBN: 1230000475631
Publisher: Matheson
Publication: June 8, 2015
Imprint:
Language: French

Ce grand-père — petit vieillard sec comme bois mort et jaune comme coing mûr — était un être abominable et charmant, fantasque et tyrannique, doux comme miel et acide comme vinaigre, moitié bourreau et moitié martyr, que tout le monde fuyait en lui donnant pour étiquette sociale ce nom avec lequel on croit avoir tout dit quand on l'a appliqué à un galant homme : « C'est un original. » (...)

Malgré les années et les événements de toute sorte qui nous séparent aujourd'hui et qui auraient dû mettre un peu d'ombre et d'oubli sur mes souvenirs, je le vois encore dans sa douillette de soie puce, — avec sa couronne de cheveux argentés — avec sa figure parcheminée où brillaient, en guise d'yeux, deux charbons allumés — avec ses lèvres minces et dédaigneuses sous lesquelles apparaissaient de temps en temps de grandes diablesses de dents blanches qui semblaient nées pour mordre ; je le vois encore m’attirer à lui, me prendre sur ses vieux genoux cagneux — moi, bambin de six ou sept ans — et je l'entends me dire, de sa voix claire à laquelle l'âge avait donné l'inévitable trémolo :

« André, faisons des cocottes ! C'est encore ce qu'il y a de plus sage dans la vie, les cocottes, vois- tu ! »

Et, fouillant ça et là dans les tiroirs de son secrétaire en bois des îles — qui sentait si bon — il en tirait, sans daigner les lire, des feuilles de papier, couvertes de pattes de mouches de tous les styles et de toutes les orthographes, qu'il découpait ensuite et dont il faisait ce petit joujou que tous les enfants connaissent — tour à tour galiote, soufflet, double bateau, bonnet de police, et enfin cocotte. (…)

Je n'avais pas oublié mon grand-père, mais j'avais complètement oublié ses cocottes, lorsqu'il y a quelques jours, en fouillant dans un meuble où sont les reliques de ma vie passée, enfance et jeunesse — mes jouets de baby et mes cahiers de collégien, mes lettres d'amour et mes thèmes latins, mes pensums et mes élégies — j'ai heurté du doigt et du regard une foule de petits papiers jaunis, pliés d'une façon étrange : c'étaient mes cocottes d'autrefois — les cocottes faites par mon grand-père pour notre distraction à tous deux.

Ces petits papiers jaunis, je les ai dépliés avec émotion — et, une fois dépliés, j'ai eu l'indiscrétion de les lire... Les uns étaient des fragments de lettres, d'une écriture illisible, c'est-à-dire féminine. Les autres étaient des fragments de journal intime — le journal de la vie de mon aïeul. J'ai brûlé les premiers — qui depuis longtemps auraient dû se consumer à leur propre flamme ; mais j'ai conservé les seconds, que je ne crains pas de livrer aujourd'hui à la circulation, après les avoir mis en ordre et en avoir enlevé les passages par trop individuels ou par trop scabreux.

Voici donc les cocottes de mon grand-père. Qu'on ne s'étonne pas de leur forme apophthegmique : c'est la seule raison d'écrire des vieillards, qui concrètent mieux ainsi leurs pensées et qui monnayent volontiers leur sagesse — c'est-à dire les fruits et les conclusions de leur expérience — en la frappant en maximes destinées à la circulation.

Texte intégral.

Livre broché également disponible.

 

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Ce grand-père — petit vieillard sec comme bois mort et jaune comme coing mûr — était un être abominable et charmant, fantasque et tyrannique, doux comme miel et acide comme vinaigre, moitié bourreau et moitié martyr, que tout le monde fuyait en lui donnant pour étiquette sociale ce nom avec lequel on croit avoir tout dit quand on l'a appliqué à un galant homme : « C'est un original. » (...)

Malgré les années et les événements de toute sorte qui nous séparent aujourd'hui et qui auraient dû mettre un peu d'ombre et d'oubli sur mes souvenirs, je le vois encore dans sa douillette de soie puce, — avec sa couronne de cheveux argentés — avec sa figure parcheminée où brillaient, en guise d'yeux, deux charbons allumés — avec ses lèvres minces et dédaigneuses sous lesquelles apparaissaient de temps en temps de grandes diablesses de dents blanches qui semblaient nées pour mordre ; je le vois encore m’attirer à lui, me prendre sur ses vieux genoux cagneux — moi, bambin de six ou sept ans — et je l'entends me dire, de sa voix claire à laquelle l'âge avait donné l'inévitable trémolo :

« André, faisons des cocottes ! C'est encore ce qu'il y a de plus sage dans la vie, les cocottes, vois- tu ! »

Et, fouillant ça et là dans les tiroirs de son secrétaire en bois des îles — qui sentait si bon — il en tirait, sans daigner les lire, des feuilles de papier, couvertes de pattes de mouches de tous les styles et de toutes les orthographes, qu'il découpait ensuite et dont il faisait ce petit joujou que tous les enfants connaissent — tour à tour galiote, soufflet, double bateau, bonnet de police, et enfin cocotte. (…)

Je n'avais pas oublié mon grand-père, mais j'avais complètement oublié ses cocottes, lorsqu'il y a quelques jours, en fouillant dans un meuble où sont les reliques de ma vie passée, enfance et jeunesse — mes jouets de baby et mes cahiers de collégien, mes lettres d'amour et mes thèmes latins, mes pensums et mes élégies — j'ai heurté du doigt et du regard une foule de petits papiers jaunis, pliés d'une façon étrange : c'étaient mes cocottes d'autrefois — les cocottes faites par mon grand-père pour notre distraction à tous deux.

Ces petits papiers jaunis, je les ai dépliés avec émotion — et, une fois dépliés, j'ai eu l'indiscrétion de les lire... Les uns étaient des fragments de lettres, d'une écriture illisible, c'est-à-dire féminine. Les autres étaient des fragments de journal intime — le journal de la vie de mon aïeul. J'ai brûlé les premiers — qui depuis longtemps auraient dû se consumer à leur propre flamme ; mais j'ai conservé les seconds, que je ne crains pas de livrer aujourd'hui à la circulation, après les avoir mis en ordre et en avoir enlevé les passages par trop individuels ou par trop scabreux.

Voici donc les cocottes de mon grand-père. Qu'on ne s'étonne pas de leur forme apophthegmique : c'est la seule raison d'écrire des vieillards, qui concrètent mieux ainsi leurs pensées et qui monnayent volontiers leur sagesse — c'est-à dire les fruits et les conclusions de leur expérience — en la frappant en maximes destinées à la circulation.

Texte intégral.

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