Le veuvage d'Aline

( Edition intégrale )

Fiction & Literature, Classics, Literary, Romance
Cover of the book Le veuvage d'Aline by Thérèse Bentzon, Paris : C. Lévy, 1881
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Author: Thérèse Bentzon ISBN: 1230002368146
Publisher: Paris : C. Lévy, 1881 Publication: June 9, 2018
Imprint: Language: French
Author: Thérèse Bentzon
ISBN: 1230002368146
Publisher: Paris : C. Lévy, 1881
Publication: June 9, 2018
Imprint:
Language: French

Extrait: La baronne de Vesvre venait de reconduire jusqu’à la porte de son petit salon chinois la dernière des belles mondaines assidues à ses cinq heures. Pendant la saison où l’on ne va pas au bois, tout ce que Paris possède d’hommes et de femmes à la mode se fait un point d’honneur de venir savourer une tasse du fameux thé jaune dans ce salon chinois où l’on a toujours de l’esprit, où l’on est toujours jolie, où l’on rencontre immanquablement les personnes que l’on désire voir, la maîtresse du lieu étant fée, .. fée par la grâce vraiment enchanteresse, la volonté soutenue de captiver ses hôtes. Les rideaux, tout chatoyants de broderies fantastiques, sont bien clos ; les lampes en capuchonnées avec art renvoient au plafond cette lumière discrète et habilement distribuée, qui ne nuit pas à la beauté et qui dissimule l’âge et la laideur ; les sièges sont éparpillés d’avance selon le goût de chacun pour que les groupes sympathiques puissent se former comme par hasard, et le bal de demain, la première représentation d’hier, défraient la conversation générale, qui ne languit jamais, sans préjudice des causeries à voix basse plus intéressantes.
Un léger parfum de tabac d’Orient révèle que les cigarettes sont tolérées dans ce boudoir encombre de fleurs à la façon d’une serre ; un samovar monumental fume sur une table chargée d’engins exotiques en orfévrerie niellée qui rappelle la nationalité de madame de Vesvre. née princesse Orsky. Seule peut-être une Russe du grand monde est capable de tenir avec cette autorité souriante le sceptre de la mode et d’être plus Parisienne encore que les simples Parisiennes de Paris. Quand vous aurez découvert qu’elle est chétive et maigre avec des traits irreguliers : petit nez retroussé, pommettes saillantes, vous serez forcé d’ajouter : « Mais elle est délicieuse ! » Telle est en effet l’opinion générale. Les beautés vraies sont réduites à lui envier ses cheveux d’un blond de lin surnaturel, sa taille serpentine qui peut aborder toutes les extravagances de l’ajustement moderne et les rendre excusables, ce regard un peu myope pourtant, où pétille derrière le petit lorgnon d’or une malicieuse coquetterie.
Oui, les plus enviées, les plus adulées doivent baisser pavillon devant la baronne Olga, comme on l’appelle ; toutes souhaiteraient d’être à sa place, traitée, quoi qu’elle fasse, chez elle et au dehors, en enfant gâté, libre de marquer ses actes et ses allures au coin de l’originalité, bien qu’elle appartienne par son mariage au faubourg Saint-Germain. Ce qui est interdit à d’autres est permis à la baronne Olga, c’est une créature privilégiée ; elle-même en convient tout haut. Quant à ce qu’elle en pense tout bas, il est facile de le deviner, pourvu qu’on l’observe avec quelque attention, lorsqu’elle se trouve seule enfin, après ce babil et ce frou-frou puérils qu’il lui plaît de susciter momentanément autour d’elle. Un soupir s’échappe de ses lèvres, – soupir de regret ou de délivrance ? – elle se jette sur le sofa, s’étire d’un mouvement qui lui est commun avec les chattes, puis reste une minute le front enfoui dans ses deux mains scintillantes de bagues. Quand elle relève la tête, le masque est tombé, elle a quitté sa physionomie de convention, d’apparat pour ainsi dire ; le sourire qui retroussait le coin de ses lèvres, l’éclair qui jaillissait de sa prunelle pâle, les nuances délicates, mobiles, variées à l’infini de l’expression qui empêchaient de constater les défauts flagrants de la ligne, tout cela s’est effacé, elle est franchement laide… elle se repose.

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Extrait: La baronne de Vesvre venait de reconduire jusqu’à la porte de son petit salon chinois la dernière des belles mondaines assidues à ses cinq heures. Pendant la saison où l’on ne va pas au bois, tout ce que Paris possède d’hommes et de femmes à la mode se fait un point d’honneur de venir savourer une tasse du fameux thé jaune dans ce salon chinois où l’on a toujours de l’esprit, où l’on est toujours jolie, où l’on rencontre immanquablement les personnes que l’on désire voir, la maîtresse du lieu étant fée, .. fée par la grâce vraiment enchanteresse, la volonté soutenue de captiver ses hôtes. Les rideaux, tout chatoyants de broderies fantastiques, sont bien clos ; les lampes en capuchonnées avec art renvoient au plafond cette lumière discrète et habilement distribuée, qui ne nuit pas à la beauté et qui dissimule l’âge et la laideur ; les sièges sont éparpillés d’avance selon le goût de chacun pour que les groupes sympathiques puissent se former comme par hasard, et le bal de demain, la première représentation d’hier, défraient la conversation générale, qui ne languit jamais, sans préjudice des causeries à voix basse plus intéressantes.
Un léger parfum de tabac d’Orient révèle que les cigarettes sont tolérées dans ce boudoir encombre de fleurs à la façon d’une serre ; un samovar monumental fume sur une table chargée d’engins exotiques en orfévrerie niellée qui rappelle la nationalité de madame de Vesvre. née princesse Orsky. Seule peut-être une Russe du grand monde est capable de tenir avec cette autorité souriante le sceptre de la mode et d’être plus Parisienne encore que les simples Parisiennes de Paris. Quand vous aurez découvert qu’elle est chétive et maigre avec des traits irreguliers : petit nez retroussé, pommettes saillantes, vous serez forcé d’ajouter : « Mais elle est délicieuse ! » Telle est en effet l’opinion générale. Les beautés vraies sont réduites à lui envier ses cheveux d’un blond de lin surnaturel, sa taille serpentine qui peut aborder toutes les extravagances de l’ajustement moderne et les rendre excusables, ce regard un peu myope pourtant, où pétille derrière le petit lorgnon d’or une malicieuse coquetterie.
Oui, les plus enviées, les plus adulées doivent baisser pavillon devant la baronne Olga, comme on l’appelle ; toutes souhaiteraient d’être à sa place, traitée, quoi qu’elle fasse, chez elle et au dehors, en enfant gâté, libre de marquer ses actes et ses allures au coin de l’originalité, bien qu’elle appartienne par son mariage au faubourg Saint-Germain. Ce qui est interdit à d’autres est permis à la baronne Olga, c’est une créature privilégiée ; elle-même en convient tout haut. Quant à ce qu’elle en pense tout bas, il est facile de le deviner, pourvu qu’on l’observe avec quelque attention, lorsqu’elle se trouve seule enfin, après ce babil et ce frou-frou puérils qu’il lui plaît de susciter momentanément autour d’elle. Un soupir s’échappe de ses lèvres, – soupir de regret ou de délivrance ? – elle se jette sur le sofa, s’étire d’un mouvement qui lui est commun avec les chattes, puis reste une minute le front enfoui dans ses deux mains scintillantes de bagues. Quand elle relève la tête, le masque est tombé, elle a quitté sa physionomie de convention, d’apparat pour ainsi dire ; le sourire qui retroussait le coin de ses lèvres, l’éclair qui jaillissait de sa prunelle pâle, les nuances délicates, mobiles, variées à l’infini de l’expression qui empêchaient de constater les défauts flagrants de la ligne, tout cela s’est effacé, elle est franchement laide… elle se repose.

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