Le socialisme en danger

( Edition intégrale ) annoté

Nonfiction, History, Germany, Biography & Memoir, Reference, Political
Cover of the book Le socialisme en danger by Ferdinand Domela Nieuwenhuis, Élisée Reclus, Paris : P.-V. Stock, 1897
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Author: Ferdinand Domela Nieuwenhuis, Élisée Reclus ISBN: 1230002783246
Publisher: Paris : P.-V. Stock, 1897 Publication: November 3, 2018
Imprint: Language: French
Author: Ferdinand Domela Nieuwenhuis, Élisée Reclus
ISBN: 1230002783246
Publisher: Paris : P.-V. Stock, 1897
Publication: November 3, 2018
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Language: French

L’ouvrage de notre ami, Domela Nieuwenhuis, est le fruit de patientes études et d’expériences personnelles très profondément vécues; quatre années ont été employées à la rédaction de ce travail. À une époque comme la nôtre, où les événements se pressent, où la rapide succession des faits rend de plus en plus âpre la critique des idées, quatre ans constituent déjà une longue période de la vie, et certes, pendant ce temps, l’auteur a pu observer bien des changements dans la société, et son propre esprit a subi une certaine évolution. Les trois parties de l’ouvrage, parues à de longs intervalles dans la Société Nouvelle, témoignent des étapes parcourues. En premier lieu, l’écrivain étudie les «divers courants de la Démocratie sociale en Allemagne»; puis, épouvanté par le recul de l’esprit révolutionnaire qu’il a reconnu dans le socialisme allemand, il se demande si l’évolution socialiste ne risque pas de se confondre avec les revendications anodines de la bourgeoisie libérale; enfin, reprenant l’étude des manifestations de la pensée sociale, il constate qu’il n’y a point à désespérer, et que la régression d’une école, où l’on s’occupe de commander et de discipliner plus que de penser et d’agir, est très largement compensée par la croissance du socialisme libertaire, où les compagnons d’oeuvre, sans dictateurs, sans asservissement à un livre ou à un recueil de formules, travaillent de concert à fonder une société d’égaux.

Les documents cités dans ce livre ont une grande importance historique. Sous les mille apparences de la politique officielle—formules de diplomates, visites russes, génuflexions françaises, toasts d’empereurs, récitations de vers et décorations de valets,—apparences que l’on a souvent la naïveté de prendre pour de l’histoire, se produit la grande poussée des prolétaires naissant à la conscience de leur état, à la résolution ferme de se faire libres, et se préparant à changer l’axe de la vie sociale par la conquête pour tous d’un bien-être qui est encore le privilège de quelques-uns. Ce mouvement profond, c’est là l’histoire véritable, et nos descendants seront heureux de connaître les péripéties de la lutte d’où naquit leur liberté!

Ils apprendront combien fut difficile dans notre siècle le progrès intellectuel et moral qui consiste à se «guérir des individus». Certes, un homme peut rendre de grands services à ses contemporains par l’énergie de sa pensée, la puissance de son action, l’intensité de son dévouement; mais, après avoir fait son oeuvre, qu’il n’ait pas la prétention de devenir un dieu, et surtout que, malgré lui, on ne le considère pas comme tel! Ce serait vouloir que le bien fait par l’individu se transformât en mal au nom de l’idole. Tout homme faiblit un jour après avoir lutté, et combien parmi nous cèdent à la fatigue, ou bien aux sollicitations de la vanité, aux embûches que tendent de perfides amis! Et même le lutteur fût-il resté vaillant et pur jusqu’à la fin, on lui prêtera certainement un autre langage que le sien, et même on utilisera les paroles qu’il a prononcées en les détournant de leur sens vrai.

Ainsi voyez comment on a traité cette individualité puissante, Marx, en l’honneur duquel des fanatisés, par centaines de mille, lèvent les bras au ciel, se promettant d’observer religieusement sa doctrine! Tout un parti, toute une armée ayant plusieurs dizaines de députés au Parlement germanique, n’interprètent-ils pas maintenant cette doctrine marxiste précisément en un sens contraire de la pensée du maître? Il déclara que le pouvoir économique détermine la forme politique des sociétés, et l’on affirme maintenant en son nom que le pouvoir économique dépendra d’une majorité de parti dans les Assemblées politiques. Il proclama que «l’État, pour abolir le paupérisme, doit s’abolir lui-même, car l’essence du mal gît dans l’existence même de l’État!» Et l’on se met dévotement à son ombre pour conquérir et diriger l’État! Certes, si la politique de Marx doit triompher, ce sera, comme la religion du Christ, à la condition que le maître, adoré en apparence, soit renié dans la pratique des choses.

Les lecteurs de Domela Nieuwenhuis apprendront aussi à redouter le danger que présentent les voies obliques des politiciens. Quel est l’objectif de tous les socialistes sincères? Sans doute chacun d’eux conviendra que son idéal serait une société où chaque individu, se développant intégralement dans sa force, son intelligence et sa beauté physique et morale, contribuera librement à l’accroissement de l’avoir humain. Mais quel est le moyen d’arriver le plus vite possible à cet état de choses? «Prêcher cet idéal, nous instruire mutuellement, nous grouper pour l’entr’aide, pour la pratique fraternelle de toute oeuvre bonne, pour la révolution!», diront tout d’abord les naïfs et les simples comme nous.—«Ah! quelle est votre erreur! nous est-il répondu: le moyen est de recueillir des votes et de conquérir les pouvoirs publics». D’après ce groupe parlementaire, il convient de se substituer à l’État et, par conséquent, de se servir des moyens de l’État, en attirant les électeurs par toutes les manoeuvres qui les séduisent, en se gardant bien de heurter leurs préjugés. N’est-il pas fatal que les candidats au pouvoir, dirigés par cette politique, prennent part aux intrigues, aux cabales, aux compromis parlementaires? Enfin, s’ils devenaient un jour les maîtres, ne seraient-ils pas forcément entraînés à employer la force, avec tout l’appareil de répression et de compression qu’on appelle l’armée citoyenne ou nationale, la gendarmerie, la police et tout le reste de l’immonde outillage? C’est par cette voie si largement ouverte depuis le commencement des âges, que les novateurs arriveront au pouvoir, en admettant que les baïonnettes ne renversent pas le scrutin avant la date bienheureuse.

Le plus sûr encore est de rester naïfs et sincères, de dire simplement quelle est notre énergique volonté, au risque d’être appelés utopistes par les uns, abominables, monstrueux, par les autres. Notre idéal formel, certain, inébranlable est la destruction de l’État et de tous les obstacles qui nous séparent du but égalitaire. Ne jouons pas au plus fin avec nos ennemis. C’est en cherchant à duper que l’on devient dupe.

Telle est la morale que nous trouvons dans l’oeuvre de Nieuwenhuis. Lisez-la, vous tous que possède la passion de la vérité et qui ne la cherchez pas dans une proclamation de dictateur ni dans un programme écrit par tout un conseil de grands hommes.

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L’ouvrage de notre ami, Domela Nieuwenhuis, est le fruit de patientes études et d’expériences personnelles très profondément vécues; quatre années ont été employées à la rédaction de ce travail. À une époque comme la nôtre, où les événements se pressent, où la rapide succession des faits rend de plus en plus âpre la critique des idées, quatre ans constituent déjà une longue période de la vie, et certes, pendant ce temps, l’auteur a pu observer bien des changements dans la société, et son propre esprit a subi une certaine évolution. Les trois parties de l’ouvrage, parues à de longs intervalles dans la Société Nouvelle, témoignent des étapes parcourues. En premier lieu, l’écrivain étudie les «divers courants de la Démocratie sociale en Allemagne»; puis, épouvanté par le recul de l’esprit révolutionnaire qu’il a reconnu dans le socialisme allemand, il se demande si l’évolution socialiste ne risque pas de se confondre avec les revendications anodines de la bourgeoisie libérale; enfin, reprenant l’étude des manifestations de la pensée sociale, il constate qu’il n’y a point à désespérer, et que la régression d’une école, où l’on s’occupe de commander et de discipliner plus que de penser et d’agir, est très largement compensée par la croissance du socialisme libertaire, où les compagnons d’oeuvre, sans dictateurs, sans asservissement à un livre ou à un recueil de formules, travaillent de concert à fonder une société d’égaux.

Les documents cités dans ce livre ont une grande importance historique. Sous les mille apparences de la politique officielle—formules de diplomates, visites russes, génuflexions françaises, toasts d’empereurs, récitations de vers et décorations de valets,—apparences que l’on a souvent la naïveté de prendre pour de l’histoire, se produit la grande poussée des prolétaires naissant à la conscience de leur état, à la résolution ferme de se faire libres, et se préparant à changer l’axe de la vie sociale par la conquête pour tous d’un bien-être qui est encore le privilège de quelques-uns. Ce mouvement profond, c’est là l’histoire véritable, et nos descendants seront heureux de connaître les péripéties de la lutte d’où naquit leur liberté!

Ils apprendront combien fut difficile dans notre siècle le progrès intellectuel et moral qui consiste à se «guérir des individus». Certes, un homme peut rendre de grands services à ses contemporains par l’énergie de sa pensée, la puissance de son action, l’intensité de son dévouement; mais, après avoir fait son oeuvre, qu’il n’ait pas la prétention de devenir un dieu, et surtout que, malgré lui, on ne le considère pas comme tel! Ce serait vouloir que le bien fait par l’individu se transformât en mal au nom de l’idole. Tout homme faiblit un jour après avoir lutté, et combien parmi nous cèdent à la fatigue, ou bien aux sollicitations de la vanité, aux embûches que tendent de perfides amis! Et même le lutteur fût-il resté vaillant et pur jusqu’à la fin, on lui prêtera certainement un autre langage que le sien, et même on utilisera les paroles qu’il a prononcées en les détournant de leur sens vrai.

Ainsi voyez comment on a traité cette individualité puissante, Marx, en l’honneur duquel des fanatisés, par centaines de mille, lèvent les bras au ciel, se promettant d’observer religieusement sa doctrine! Tout un parti, toute une armée ayant plusieurs dizaines de députés au Parlement germanique, n’interprètent-ils pas maintenant cette doctrine marxiste précisément en un sens contraire de la pensée du maître? Il déclara que le pouvoir économique détermine la forme politique des sociétés, et l’on affirme maintenant en son nom que le pouvoir économique dépendra d’une majorité de parti dans les Assemblées politiques. Il proclama que «l’État, pour abolir le paupérisme, doit s’abolir lui-même, car l’essence du mal gît dans l’existence même de l’État!» Et l’on se met dévotement à son ombre pour conquérir et diriger l’État! Certes, si la politique de Marx doit triompher, ce sera, comme la religion du Christ, à la condition que le maître, adoré en apparence, soit renié dans la pratique des choses.

Les lecteurs de Domela Nieuwenhuis apprendront aussi à redouter le danger que présentent les voies obliques des politiciens. Quel est l’objectif de tous les socialistes sincères? Sans doute chacun d’eux conviendra que son idéal serait une société où chaque individu, se développant intégralement dans sa force, son intelligence et sa beauté physique et morale, contribuera librement à l’accroissement de l’avoir humain. Mais quel est le moyen d’arriver le plus vite possible à cet état de choses? «Prêcher cet idéal, nous instruire mutuellement, nous grouper pour l’entr’aide, pour la pratique fraternelle de toute oeuvre bonne, pour la révolution!», diront tout d’abord les naïfs et les simples comme nous.—«Ah! quelle est votre erreur! nous est-il répondu: le moyen est de recueillir des votes et de conquérir les pouvoirs publics». D’après ce groupe parlementaire, il convient de se substituer à l’État et, par conséquent, de se servir des moyens de l’État, en attirant les électeurs par toutes les manoeuvres qui les séduisent, en se gardant bien de heurter leurs préjugés. N’est-il pas fatal que les candidats au pouvoir, dirigés par cette politique, prennent part aux intrigues, aux cabales, aux compromis parlementaires? Enfin, s’ils devenaient un jour les maîtres, ne seraient-ils pas forcément entraînés à employer la force, avec tout l’appareil de répression et de compression qu’on appelle l’armée citoyenne ou nationale, la gendarmerie, la police et tout le reste de l’immonde outillage? C’est par cette voie si largement ouverte depuis le commencement des âges, que les novateurs arriveront au pouvoir, en admettant que les baïonnettes ne renversent pas le scrutin avant la date bienheureuse.

Le plus sûr encore est de rester naïfs et sincères, de dire simplement quelle est notre énergique volonté, au risque d’être appelés utopistes par les uns, abominables, monstrueux, par les autres. Notre idéal formel, certain, inébranlable est la destruction de l’État et de tous les obstacles qui nous séparent du but égalitaire. Ne jouons pas au plus fin avec nos ennemis. C’est en cherchant à duper que l’on devient dupe.

Telle est la morale que nous trouvons dans l’oeuvre de Nieuwenhuis. Lisez-la, vous tous que possède la passion de la vérité et qui ne la cherchez pas dans une proclamation de dictateur ni dans un programme écrit par tout un conseil de grands hommes.

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