Le serviteur

( Edition intégrale )

Fiction & Literature, Religious, Literary, Romance
Cover of the book Le serviteur by Henri Bachelin, Paris, E. Flammarion 1918
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Author: Henri Bachelin ISBN: 1230003022573
Publisher: Paris, E. Flammarion 1918 Publication: January 7, 2019
Imprint: Language: French
Author: Henri Bachelin
ISBN: 1230003022573
Publisher: Paris, E. Flammarion 1918
Publication: January 7, 2019
Imprint:
Language: French

Extrait: Aujourd’hui me voici, comme chaque année, de retour au pays. Je ne t’ai pas vu, comme les autres fois, m’attendant à la barrière de la petite gare, et regarder si j’étais sur la plate-forme du wagon. Lorsque tu m’avais aperçu, tes yeux clignotaient un peu. J’embrassais d’un coup d’œil le décor d’eau, de prés et de bois montants qui brusquement se plantait, comme si je l’avais avec moi apporté de Paris.

Pour dix sous chacun, nous aurions pu monter en voiture, mais avec ton tablier et tes sabots, tu aurais eu honte. Elle est réservée pour ceux qui ne savent jamais que faire de leur argent, ou qui ont toujours peur de se fatiguer. Il faut croire que chez nous paresseux et riches ne sont pas très nombreux, car souvent elle revient, vide, à son point de départ. Le cheval ne s’en plaint point, mais le conducteur court grand risque de ne jamais pouvoir y faire figure de voyageur.

Nous nous en allions à pied par la route de l’Etang du Goulot. Des gens, que nous croisions, te disaient :

— Eh bien, vous voilà heureux que votre fils soit revenu ?

Tu te contentais de rire en hochant la tête. N’ayant point l’habitude de manifestations éperdues de tendresse, tu tenais à te charger de ma valise : c’était ta seule façon de te trahir. Mais, la dernière fois elle aurait été trop lourde pour toi qui cependant t’étais habitué à porter des fardeaux.

Je suis arrivé à la maison : tu n’y étais pas non plus. Je savais que tu n’y serais pas, mais de ne pas t’y trouver j’ai été ému plus que je ne pourrais dire. Ce n’est plus celle où j’avais l’habitude de te voir, la maison aux deux grandes pièces carrées où tu étais plus heureux qu’un roi dans son palais. C’en est une autre, plus petite, où tu n’as vécu que deux mois. Elle aurait fait plus que te suffire pendant des années, car tu étais content de l’avoir.

— C’est tant qu’il en faut pour nous, m’écrivais-tu. Oui : c’était « tant qu’il vous en fallait. » Mais, maintenant que tu n’y es plus, la petite maison s’est tout à coup agrandie. Ton fauteuil est encore au coin de la cheminée, mais il tend les bras vers l’éternité.

Pour te voir, il faut aujourd’hui aller plus loin que la gare, plus loin que la maison. Il faut suivre le sentier qui, entre des haies et des murs de jardins, monte au cimetière. J’ai dû attendre que la nuit fût venue, puisqu’il faut d’abord s’occuper de soi et des vivants tout en pensant aux autres, je veux dire : à toi, et à ceux parmi lesquels tu es descendu. Les portes du cimetière étaient fermées, mais j’ai l’habitude d’escalader son mur bas. J’ai marché entre les tombes.

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Extrait: Aujourd’hui me voici, comme chaque année, de retour au pays. Je ne t’ai pas vu, comme les autres fois, m’attendant à la barrière de la petite gare, et regarder si j’étais sur la plate-forme du wagon. Lorsque tu m’avais aperçu, tes yeux clignotaient un peu. J’embrassais d’un coup d’œil le décor d’eau, de prés et de bois montants qui brusquement se plantait, comme si je l’avais avec moi apporté de Paris.

Pour dix sous chacun, nous aurions pu monter en voiture, mais avec ton tablier et tes sabots, tu aurais eu honte. Elle est réservée pour ceux qui ne savent jamais que faire de leur argent, ou qui ont toujours peur de se fatiguer. Il faut croire que chez nous paresseux et riches ne sont pas très nombreux, car souvent elle revient, vide, à son point de départ. Le cheval ne s’en plaint point, mais le conducteur court grand risque de ne jamais pouvoir y faire figure de voyageur.

Nous nous en allions à pied par la route de l’Etang du Goulot. Des gens, que nous croisions, te disaient :

— Eh bien, vous voilà heureux que votre fils soit revenu ?

Tu te contentais de rire en hochant la tête. N’ayant point l’habitude de manifestations éperdues de tendresse, tu tenais à te charger de ma valise : c’était ta seule façon de te trahir. Mais, la dernière fois elle aurait été trop lourde pour toi qui cependant t’étais habitué à porter des fardeaux.

Je suis arrivé à la maison : tu n’y étais pas non plus. Je savais que tu n’y serais pas, mais de ne pas t’y trouver j’ai été ému plus que je ne pourrais dire. Ce n’est plus celle où j’avais l’habitude de te voir, la maison aux deux grandes pièces carrées où tu étais plus heureux qu’un roi dans son palais. C’en est une autre, plus petite, où tu n’as vécu que deux mois. Elle aurait fait plus que te suffire pendant des années, car tu étais content de l’avoir.

— C’est tant qu’il en faut pour nous, m’écrivais-tu. Oui : c’était « tant qu’il vous en fallait. » Mais, maintenant que tu n’y es plus, la petite maison s’est tout à coup agrandie. Ton fauteuil est encore au coin de la cheminée, mais il tend les bras vers l’éternité.

Pour te voir, il faut aujourd’hui aller plus loin que la gare, plus loin que la maison. Il faut suivre le sentier qui, entre des haies et des murs de jardins, monte au cimetière. J’ai dû attendre que la nuit fût venue, puisqu’il faut d’abord s’occuper de soi et des vivants tout en pensant aux autres, je veux dire : à toi, et à ceux parmi lesquels tu es descendu. Les portes du cimetière étaient fermées, mais j’ai l’habitude d’escalader son mur bas. J’ai marché entre les tombes.

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