Author: | Albert Blanquet | ISBN: | 1230002427652 |
Publisher: | Paris : A. Bourdilliat et Cie, 1860 | Publication: | July 14, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Albert Blanquet |
ISBN: | 1230002427652 |
Publisher: | Paris : A. Bourdilliat et Cie, 1860 |
Publication: | July 14, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Il y avait autrefois, à Paris, un riche marchand d’ étoffes de soie, nommé Jehan de Chevigny. Sa franchise, sa loyauté et surtout sa probité en affaires, lui avaient attiré l’ estime de tous.
Il avait pour ami et compère un marchand, non moins honnête homme que lui-même, mais qui appartenait au culte d’ Israël.
— Quel dommage, se disait-il souvent, qu’ avec de si belles qualités et une si belle âme, ce brave homme soit damné!
Et il l’ exhortait charitablement, chaque jour, d’ ouvrir les yeux à la lumière, de reconnaître la fausseté de son culte, d’ admettre la vérité de la religion du Christ, et lui citait tous les nouveaux convertis qu’ elle faisait.
Le juif Abraham l’ écoutait patiemment.
— Je ne connais, répondait-il ensuite, de loi si sainte ni meilleure que la loi judaïque. Je suis né dans la religion d’ Israël, je veux y vivre et mourir, et rien ne sera capable de me faire changer de résolution.
Le zèle de messire Jehan ne se refroidit nullement ; mais Abraham se montrait toujours intraitable sur l’ article de sa foi.
Cependant, à bout de résistance, fatigué de sollicitations, le juif, vaincu, finit par céder, ou à peu près.
— Soit, dit-il, j’ embrasserai ta religion, mais à une condition.
— Laquelle ? demanda avidement Jehan.
— C’ est que j’ irai à Rome. Là, je verrai celui que tu appelles le vicaire de Dieu sur la terre ; j’ étudierai sa manière d’ être vis-à-vis de son troupeau, ses mœurs et celles de ses cardinaux. Si, par ce que je verrai, il m’ est démontré que ta religion est meilleure que la mienne, je ne balancerai plus.
— Tu te feras chrétien?
— Je te le jure. Mais, je t’ en préviens, si je remarque le contraire de ce que j’ attends, je persiste dans la religion judaïque, et m’ y attache davantage.
— Eh ! mon ami, reprit Jehan, pourquoi prendre la peine d’ aller à Rome ? Songe à la dépense d’ un si long voyage!
— La peine ni l’ argent ne sont rien en comparaison de l’ enfer dont tu m’ as toujours menacé.
— Songe que tu vas voyager par terre, où tu as à craindre les bandits, toi qui es riche, — et par mer, où les tempêtes ne t’ épargneront pas. D’ ailleurs, crois-tu donc qu’ il manque ici de prêtres pour te baptiser ? — Te resterait-il des doutes sur la religion chrétienne ? Eh ! tu ne trouveras nulle part des docteurs et des casuistes plus savants et plus éclairés qu’ à Paris. Ce voyage me paraît donc au moins inutile.
— Je ne crois pas.
— Sans doute, les prélats de Rome, cardinaux, évêques ou prêtres, sont absolument semblables à ceux que tu vois ici : ils sont meilleurs, peut-être, car ils sont sous les yeux du saint-père.
— Le pape Innocent VIII vient de mourir, j’ arriverai à temps pour assister aux fêtes de l’ exaltation de son successeur.
— Abraham, si tu veux suivre mon conseil, tu remettras ce voyage à plus tard ; c’ est bientôt l’ an 1500, il y aura jubilé, et alors je pourrai t’ accompagner à Rome.
— Mon cher Jehan, répliqua le juif, je veux croire que les choses sont telles que tu le dis ; mais je t’ ai déclaré nettement ma pensée, et je ne veux pas t’ abuser. Ma décision est irrévocable, je ne changerai pas de religion tant que je n’ aurai pas été à Rome.
Jehan ne s’ obstina plus à combattre ce projet, et Abraham partit pour la ville éternelle.
Seulement, Jehan hocha la tête en levant les yeux au ciel ; et quand il eut vu disparaître son ami, les bras lui tombèrent de désespoir.
— Quand il aura vu Rome, murmura-t-il en rentrant chez lui, il reviendra plus juif que jamais!
Il y avait autrefois, à Paris, un riche marchand d’ étoffes de soie, nommé Jehan de Chevigny. Sa franchise, sa loyauté et surtout sa probité en affaires, lui avaient attiré l’ estime de tous.
Il avait pour ami et compère un marchand, non moins honnête homme que lui-même, mais qui appartenait au culte d’ Israël.
— Quel dommage, se disait-il souvent, qu’ avec de si belles qualités et une si belle âme, ce brave homme soit damné!
Et il l’ exhortait charitablement, chaque jour, d’ ouvrir les yeux à la lumière, de reconnaître la fausseté de son culte, d’ admettre la vérité de la religion du Christ, et lui citait tous les nouveaux convertis qu’ elle faisait.
Le juif Abraham l’ écoutait patiemment.
— Je ne connais, répondait-il ensuite, de loi si sainte ni meilleure que la loi judaïque. Je suis né dans la religion d’ Israël, je veux y vivre et mourir, et rien ne sera capable de me faire changer de résolution.
Le zèle de messire Jehan ne se refroidit nullement ; mais Abraham se montrait toujours intraitable sur l’ article de sa foi.
Cependant, à bout de résistance, fatigué de sollicitations, le juif, vaincu, finit par céder, ou à peu près.
— Soit, dit-il, j’ embrasserai ta religion, mais à une condition.
— Laquelle ? demanda avidement Jehan.
— C’ est que j’ irai à Rome. Là, je verrai celui que tu appelles le vicaire de Dieu sur la terre ; j’ étudierai sa manière d’ être vis-à-vis de son troupeau, ses mœurs et celles de ses cardinaux. Si, par ce que je verrai, il m’ est démontré que ta religion est meilleure que la mienne, je ne balancerai plus.
— Tu te feras chrétien?
— Je te le jure. Mais, je t’ en préviens, si je remarque le contraire de ce que j’ attends, je persiste dans la religion judaïque, et m’ y attache davantage.
— Eh ! mon ami, reprit Jehan, pourquoi prendre la peine d’ aller à Rome ? Songe à la dépense d’ un si long voyage!
— La peine ni l’ argent ne sont rien en comparaison de l’ enfer dont tu m’ as toujours menacé.
— Songe que tu vas voyager par terre, où tu as à craindre les bandits, toi qui es riche, — et par mer, où les tempêtes ne t’ épargneront pas. D’ ailleurs, crois-tu donc qu’ il manque ici de prêtres pour te baptiser ? — Te resterait-il des doutes sur la religion chrétienne ? Eh ! tu ne trouveras nulle part des docteurs et des casuistes plus savants et plus éclairés qu’ à Paris. Ce voyage me paraît donc au moins inutile.
— Je ne crois pas.
— Sans doute, les prélats de Rome, cardinaux, évêques ou prêtres, sont absolument semblables à ceux que tu vois ici : ils sont meilleurs, peut-être, car ils sont sous les yeux du saint-père.
— Le pape Innocent VIII vient de mourir, j’ arriverai à temps pour assister aux fêtes de l’ exaltation de son successeur.
— Abraham, si tu veux suivre mon conseil, tu remettras ce voyage à plus tard ; c’ est bientôt l’ an 1500, il y aura jubilé, et alors je pourrai t’ accompagner à Rome.
— Mon cher Jehan, répliqua le juif, je veux croire que les choses sont telles que tu le dis ; mais je t’ ai déclaré nettement ma pensée, et je ne veux pas t’ abuser. Ma décision est irrévocable, je ne changerai pas de religion tant que je n’ aurai pas été à Rome.
Jehan ne s’ obstina plus à combattre ce projet, et Abraham partit pour la ville éternelle.
Seulement, Jehan hocha la tête en levant les yeux au ciel ; et quand il eut vu disparaître son ami, les bras lui tombèrent de désespoir.
— Quand il aura vu Rome, murmura-t-il en rentrant chez lui, il reviendra plus juif que jamais!