Le Rire. Essai sur la signification du comique

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Le Rire. Essai sur la signification du comique by Henri Bergson, Largau
View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart
Author: Henri Bergson ISBN: 1230000251816
Publisher: Largau Publication: July 12, 2014
Imprint: Language: French
Author: Henri Bergson
ISBN: 1230000251816
Publisher: Largau
Publication: July 12, 2014
Imprint:
Language: French

Extrait du livre :

Mais l’effet de la distraction peut se renforcer à son tour. Il y a une loi générale dont nous venons de trouver une première application et que nous formulerons ainsi : quand un certain effet comique dérive d’une certaine cause, l’effet nous paraît d’autant plus comique que nous jugeons plus naturelle la cause. Nous rions déjà de la distraction qu’on nous présente comme un simple fait. Plus risible sera la distraction que nous aurons vue naître et grandir sous nos yeux, dont nous connaîtrons l’origine et dont nous pourrons reconstituer l’histoire. Supposons donc, pour prendre un exemple précis, qu’un personnage ait fait des romans d’amour ou de chevalerie sa lecture habituelle. Attiré, fasciné par ses héros, il détache vers eux, petit à petit, sa pensée et sa volonté. Le voici qui circule parmi nous à la manière d’un somnambule. Ses actions sont des distractions. Seulement, toutes ces distractions se rattachent à une cause connue et positive. Ce ne sont plus, purement et simplement, des absences ; elles s’expliquent par la présence du personnage dans un milieu bien défini, quoique imaginaire. Sans doute une chute est toujours une chute, mais autre chose est de se laisser choir dans un puits parce qu’on regardait n’importe où ailleurs, autre chose y tomber parce qu’on visait une étoile. C’est bien une étoile que Don Quichotte contemplait. Quelle profondeur de comique que celle du romanesque et de l’esprit de chimère ! Et pourtant, si l’on rétablit l’idée de distraction qui doit servir d’intermédiaire, on voit ce comique très profond se relier au comique le plus superficiel. Oui, ces esprits chimériques, ces exaltés, ces fous si étrangement raisonnables nous font rire en touchant les mêmes cordes en nous, en actionnant le même mécanisme intérieur, que la victime d’une farce d’atelier ou le passant qui glisse dans la rue. Ce sont bien, eux aussi, des coureurs qui tombent et des naïfs qu’on mystifie, coureurs d’idéal qui trébuchent sur les réalités, rêveurs candides que guette malicieusement la vie. Mais ce sont surtout de grands distraits, avec cette supériorité sur les autres que leur distraction est systématique, organisée autour d’une idée centrale, — que leurs mésaventures aussi sont bien liées, liées par l’inexorable logique que la réalité applique à corriger le rêve, — et qu’ils provoquent ainsi autour d’eux, par des effets capables de s’additionner toujours les uns aux autres, un rire indéfiniment grandissant.

Faisons maintenant un pas de plus. Ce que la raideur de l’idée fixe est à l’esprit, certains vices ne le seraient-ils pas au caractère ? Mauvais pli de la nature ou contracture de la volonté, le vice ressemble souvent à une courbure de l’âme. Sans doute il y a des vices où l’âme s’installe profondément avec tout ce qu’elle porte en elle de puissance fécondante, et qu’elle entraîne, vivifiés, dans un cercle mouvant de transfigurations. Ceux-là sont des vices tragiques. Mais le vice qui nous rendra comiques est au contraire celui qu’on nous apporte du dehors comme un cadre tout fait où nous nous insérerons. 

View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart

Extrait du livre :

Mais l’effet de la distraction peut se renforcer à son tour. Il y a une loi générale dont nous venons de trouver une première application et que nous formulerons ainsi : quand un certain effet comique dérive d’une certaine cause, l’effet nous paraît d’autant plus comique que nous jugeons plus naturelle la cause. Nous rions déjà de la distraction qu’on nous présente comme un simple fait. Plus risible sera la distraction que nous aurons vue naître et grandir sous nos yeux, dont nous connaîtrons l’origine et dont nous pourrons reconstituer l’histoire. Supposons donc, pour prendre un exemple précis, qu’un personnage ait fait des romans d’amour ou de chevalerie sa lecture habituelle. Attiré, fasciné par ses héros, il détache vers eux, petit à petit, sa pensée et sa volonté. Le voici qui circule parmi nous à la manière d’un somnambule. Ses actions sont des distractions. Seulement, toutes ces distractions se rattachent à une cause connue et positive. Ce ne sont plus, purement et simplement, des absences ; elles s’expliquent par la présence du personnage dans un milieu bien défini, quoique imaginaire. Sans doute une chute est toujours une chute, mais autre chose est de se laisser choir dans un puits parce qu’on regardait n’importe où ailleurs, autre chose y tomber parce qu’on visait une étoile. C’est bien une étoile que Don Quichotte contemplait. Quelle profondeur de comique que celle du romanesque et de l’esprit de chimère ! Et pourtant, si l’on rétablit l’idée de distraction qui doit servir d’intermédiaire, on voit ce comique très profond se relier au comique le plus superficiel. Oui, ces esprits chimériques, ces exaltés, ces fous si étrangement raisonnables nous font rire en touchant les mêmes cordes en nous, en actionnant le même mécanisme intérieur, que la victime d’une farce d’atelier ou le passant qui glisse dans la rue. Ce sont bien, eux aussi, des coureurs qui tombent et des naïfs qu’on mystifie, coureurs d’idéal qui trébuchent sur les réalités, rêveurs candides que guette malicieusement la vie. Mais ce sont surtout de grands distraits, avec cette supériorité sur les autres que leur distraction est systématique, organisée autour d’une idée centrale, — que leurs mésaventures aussi sont bien liées, liées par l’inexorable logique que la réalité applique à corriger le rêve, — et qu’ils provoquent ainsi autour d’eux, par des effets capables de s’additionner toujours les uns aux autres, un rire indéfiniment grandissant.

Faisons maintenant un pas de plus. Ce que la raideur de l’idée fixe est à l’esprit, certains vices ne le seraient-ils pas au caractère ? Mauvais pli de la nature ou contracture de la volonté, le vice ressemble souvent à une courbure de l’âme. Sans doute il y a des vices où l’âme s’installe profondément avec tout ce qu’elle porte en elle de puissance fécondante, et qu’elle entraîne, vivifiés, dans un cercle mouvant de transfigurations. Ceux-là sont des vices tragiques. Mais le vice qui nous rendra comiques est au contraire celui qu’on nous apporte du dehors comme un cadre tout fait où nous nous insérerons. 

More books from Largau

Cover of the book Les misérables Tome III - Marius by Henri Bergson
Cover of the book La Recherche de l'Absolu by Henri Bergson
Cover of the book Chénerol by Henri Bergson
Cover of the book L'Assommoir by Henri Bergson
Cover of the book La Faute de l'Abbé Mouret by Henri Bergson
Cover of the book Le roman de Miraut - Chien de chasse by Henri Bergson
Cover of the book Catherine Morland by Henri Bergson
Cover of the book Le Peuple de l'abîme by Henri Bergson
Cover of the book La Promenade du phare by Henri Bergson
Cover of the book Jack by Henri Bergson
Cover of the book Les Quatre Évangiles - Tome I – Fécondité by Henri Bergson
Cover of the book L'Evangéliste by Henri Bergson
Cover of the book Paula Monti, Tome II by Henri Bergson
Cover of the book Derniers Essais de Littérature by Henri Bergson
Cover of the book Notre-Dame-d'Amour by Henri Bergson
We use our own "cookies" and third party cookies to improve services and to see statistical information. By using this website, you agree to our Privacy Policy