Author: | René Bazin | ISBN: | 1230002418131 |
Publisher: | Paris : Calmann-Lévy, 1908 | Publication: | July 9, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | René Bazin |
ISBN: | 1230002418131 |
Publisher: | Paris : Calmann-Lévy, 1908 |
Publication: | July 9, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Des cinq nouvelles qui composent ce recueil, les trois premières n'ont jamais paru en librairie. Les deux dernières formaient, groupées avec d'autres, avec Donatienne, Madame Dor, l'Adjudant, les Trois Peines d'un Rossignol, un volume édité en 1894 sous le titre de Humble amour.
Or, en écrivant cette première version de Donatienne, celle que publia la Revue des Deux Mondes du 1er juin 1894, j'avais eu, très nettement, le sentiment que je composais le début d'un roman. Mais aucun des développements imaginés ne m'avait satisfait. Ce ne fut qu'après plusieurs années, vers l'été de 1900, que je trouvai, dans la vie réelle, comme toujours, le dénouement de ce drame de l'abandon. Je me remis aussitôt au travail. La nouvelle devint un roman. Le volume de Humble amour fut retiré de la librairie, et les exemplaires furent détruits.
Voilà de quel naufrage singulier j'ai cru pouvoir sauver deux nouvelles qui reparaissent ici.
Extrait: Le mariage de Mademoiselle Gimel Dactylographe
LA CRÈMERIE DE MADAME MAULÉON
Pour un joli jour, c'est un joli jour, mademoiselle Evelyne. C'est comme votre nom. En avez-vous eu de l'esprit, de choisir un nom pareil!
—Dites ça à maman: vous lui ferez plaisir.
—Je ne la connais pas. Mais je ne manquerai pas l'occasion, si madame Gimel vient déjeuner chez moi. Evelyne! On voit tout de suite la personne: blanche, frileuse, des yeux bleus, de la distinction, des cheveux de quoi rembourrer un matelas, et fins, et du blond de Paris, justement, couleur de noisette de l'année...
—Madame Mauléon, je demande l'addition, je suis pressée!
—Oui, oui, je comprends, je suis trop familière. Avec vous, il n'y a pas moyen de s'y tromper! Vos cils parlent malgré vous: ils se rapprochent, ils frémissent quand vous êtes fâchée; ils s'étalent pour dire merci...
La grande jeune fille, debout à côté du bureau de la crémière, ne put s'empêcher de rire.
—C'est vrai, dit-elle, mes camarades m'appellent quelquefois «mademoiselle aux yeux plissés».
—Ah! la jolie poupée vivante que vous faites! Et sage, avec cela! Dites, mademoiselle Evelyne, vous m'accorderez bien deux minutes; j'ai à vous...
La crémière s'interrompit:
—Mais enfin, Louise, donnez donc un carafon au 4. Monsieur attend depuis cinq minutes!
En parlant, madame Mauléon s'était penchée, pour désigner le client du 4, et le tablier de linon à bretelles, qu'elle portait, se sépara du corsage et fit poche. Elle aimait le blanc, madame Mauléon. Elle avait des manches de toile toujours immaculées, un comptoir comme une petite chaire de professeur, mais tout recouvert de faïence blanche, et sur lequel, à gauche, à droite, encadrant la patronne et complétant l'harmonie, se levaient des piles d'assiettes et des flacons de lait «double crème». A gauche encore, il y avait mademoiselle Gimel, dont les deux poignets touchaient la tablette du comptoir, et laissaient libres les deux mains, gantées, petites, et qui tapotaient inconsciemment l'une contre l'autre. On eût pu la prendre pour une pianiste jouant un air sur un clavier de songe; mais elle ne savait pas la musique, et c'était simplement une dactylographe, habituée à faire mouvoir ses doigts, et qui composait cette phrase muette:
—Madame Mauléon, vous êtes bavarde; que pouvez-vous bien avoir à me dire? Est-ce la peine de rester là?
LE MARIAGE DE MADEMOISELLE GIMEL DACTYLOGRAPHE
I LA CRÈMERIE DE MADAME MAULÉON
II LE CAHIER
III LE NUMÉRO 149 007
IV SUR LA PELOUSE DE BAGATELLE
V LE 12 AOUT
VI LE HAUT-CLOS
VII LA DOUBLE VISITE
LE PETIT CINQ
LE TESTAMENT DU VIEUX CHOGNE
AUX PETITES SŒURS
LE RAPHAËL DE M. PRUNELIER
Des cinq nouvelles qui composent ce recueil, les trois premières n'ont jamais paru en librairie. Les deux dernières formaient, groupées avec d'autres, avec Donatienne, Madame Dor, l'Adjudant, les Trois Peines d'un Rossignol, un volume édité en 1894 sous le titre de Humble amour.
Or, en écrivant cette première version de Donatienne, celle que publia la Revue des Deux Mondes du 1er juin 1894, j'avais eu, très nettement, le sentiment que je composais le début d'un roman. Mais aucun des développements imaginés ne m'avait satisfait. Ce ne fut qu'après plusieurs années, vers l'été de 1900, que je trouvai, dans la vie réelle, comme toujours, le dénouement de ce drame de l'abandon. Je me remis aussitôt au travail. La nouvelle devint un roman. Le volume de Humble amour fut retiré de la librairie, et les exemplaires furent détruits.
Voilà de quel naufrage singulier j'ai cru pouvoir sauver deux nouvelles qui reparaissent ici.
Extrait: Le mariage de Mademoiselle Gimel Dactylographe
LA CRÈMERIE DE MADAME MAULÉON
Pour un joli jour, c'est un joli jour, mademoiselle Evelyne. C'est comme votre nom. En avez-vous eu de l'esprit, de choisir un nom pareil!
—Dites ça à maman: vous lui ferez plaisir.
—Je ne la connais pas. Mais je ne manquerai pas l'occasion, si madame Gimel vient déjeuner chez moi. Evelyne! On voit tout de suite la personne: blanche, frileuse, des yeux bleus, de la distinction, des cheveux de quoi rembourrer un matelas, et fins, et du blond de Paris, justement, couleur de noisette de l'année...
—Madame Mauléon, je demande l'addition, je suis pressée!
—Oui, oui, je comprends, je suis trop familière. Avec vous, il n'y a pas moyen de s'y tromper! Vos cils parlent malgré vous: ils se rapprochent, ils frémissent quand vous êtes fâchée; ils s'étalent pour dire merci...
La grande jeune fille, debout à côté du bureau de la crémière, ne put s'empêcher de rire.
—C'est vrai, dit-elle, mes camarades m'appellent quelquefois «mademoiselle aux yeux plissés».
—Ah! la jolie poupée vivante que vous faites! Et sage, avec cela! Dites, mademoiselle Evelyne, vous m'accorderez bien deux minutes; j'ai à vous...
La crémière s'interrompit:
—Mais enfin, Louise, donnez donc un carafon au 4. Monsieur attend depuis cinq minutes!
En parlant, madame Mauléon s'était penchée, pour désigner le client du 4, et le tablier de linon à bretelles, qu'elle portait, se sépara du corsage et fit poche. Elle aimait le blanc, madame Mauléon. Elle avait des manches de toile toujours immaculées, un comptoir comme une petite chaire de professeur, mais tout recouvert de faïence blanche, et sur lequel, à gauche, à droite, encadrant la patronne et complétant l'harmonie, se levaient des piles d'assiettes et des flacons de lait «double crème». A gauche encore, il y avait mademoiselle Gimel, dont les deux poignets touchaient la tablette du comptoir, et laissaient libres les deux mains, gantées, petites, et qui tapotaient inconsciemment l'une contre l'autre. On eût pu la prendre pour une pianiste jouant un air sur un clavier de songe; mais elle ne savait pas la musique, et c'était simplement une dactylographe, habituée à faire mouvoir ses doigts, et qui composait cette phrase muette:
—Madame Mauléon, vous êtes bavarde; que pouvez-vous bien avoir à me dire? Est-ce la peine de rester là?
LE MARIAGE DE MADEMOISELLE GIMEL DACTYLOGRAPHE
I LA CRÈMERIE DE MADAME MAULÉON
II LE CAHIER
III LE NUMÉRO 149 007
IV SUR LA PELOUSE DE BAGATELLE
V LE 12 AOUT
VI LE HAUT-CLOS
VII LA DOUBLE VISITE
LE PETIT CINQ
LE TESTAMENT DU VIEUX CHOGNE
AUX PETITES SŒURS
LE RAPHAËL DE M. PRUNELIER