Author: | Thérèse Bentzon | ISBN: | 1230002367446 |
Publisher: | Paris : Lévy, 1878 | Publication: | June 9, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Thérèse Bentzon |
ISBN: | 1230002367446 |
Publisher: | Paris : Lévy, 1878 |
Publication: | June 9, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
La lutte entre le moyen âge et la civilisation moderne a persisté bien au delà des dates proclamées par l’histoire. Les traces en sont encore toutes fraîches dans certaines villes de nos provinces lointaines ; parfois même on peut se demander auquel des deux adversaires est restée la victoire. Il y aurait une épopée à chanter sur les difficultés qu’éprouva le progrès, – représenté par l’asphalte, le gaz et les rues en ligne droite, – à franchir les vieux remparts de X., une sous-préfecture de huit mille âmes pourtant, où passe le chemin de fer de Paris à Brest et dont la grande place est décorée du nom audacieux de place de la Liberté. Ce nom, elle le tient, hâtons-nous de le dire, d’un de ses derniers maires, M. Rémonville, à l’administration duquel la chronique attribue bien d’autres méfaits.
Quelques groupes de maisons neuves plaquées aux anciennes fortifications peuvent tromper d’abord les voyageurs du train ; mais, au-dessus de leurs trois étages, le couvercle aigu d’une tour ou quelque mâchicoulis qui semble toujours prêt à vomir du plomb fondu et de l’huile bouillante rappelle l’image d’Ugolin étreignant et rongeant par derrière le crâne de son ennemi,
Pour voir les vieilles tours secouer la lèpre des constructions récentes, il suffit de tourner vers l’ouest ; là, reliées entre elles par d’épaisses courtines, elles couronnent les escarpements de schiste, , qui ressemblent eux-mêmes à des remparts géants. Cette ceinture crénelée, s’élevant toujours avec le rocher auquel s’identifient ses noirs festons, aurait l’aspect le plus sinistre si la nature ne se chargeait de l’égayer. Le printemps accroche des arbustes fleuris aux meneaux brisés ; l’automne fait mûrir les fruits des ronces qui jaillissent de mille longues lézardes, et l’on dirait d’aimables sourires déridant une physionomie sombre ; l’hiver, le lierre tresse ses guirlandes autour des nids de pierre où les freux sont venus remplacer les hirondelles ; à certains endroits, il couvre avec un soin jaloux la vétusté des murailles absolument éventrées. La partie méridionale surtout ne mérite plus, grâce aux injures des siècles et à la pioche des démolisseurs, le nom de ville close ; mais, au nord, le rempart encore intact serait, tout autant que sous Charles VIII, en état de soutenir un siège.
L’église, le château, voilà ce qui domine dans l’aspect général de X. Ils annulent, ils effacent tout le reste, ils résument la richesse, l’orgueil, le caractère de la ville : une cathédrale, une forteresse ; – la première remontant au xiie siècle, quoi qu’en puissent faire croire sa flèche élégante et ses contre-forts à pinacles flamboyants qui ont été greffés après coup, de même qu’une chaire couverte, bijou de la Renaissance, fut attachée pour les prêches calvinistes à la masse féodale des « châtelets », au pied de laquelle sont comme agenouillés en signe de servage, la sous-préfecture, le tribunal et la mairie. Il faut que les délégués du pouvoir actuel se résignent à être petits devant le seigneur, absent pour toujours, il est vrai, mais pour toujours aussi représenté par son château.
La lutte entre le moyen âge et la civilisation moderne a persisté bien au delà des dates proclamées par l’histoire. Les traces en sont encore toutes fraîches dans certaines villes de nos provinces lointaines ; parfois même on peut se demander auquel des deux adversaires est restée la victoire. Il y aurait une épopée à chanter sur les difficultés qu’éprouva le progrès, – représenté par l’asphalte, le gaz et les rues en ligne droite, – à franchir les vieux remparts de X., une sous-préfecture de huit mille âmes pourtant, où passe le chemin de fer de Paris à Brest et dont la grande place est décorée du nom audacieux de place de la Liberté. Ce nom, elle le tient, hâtons-nous de le dire, d’un de ses derniers maires, M. Rémonville, à l’administration duquel la chronique attribue bien d’autres méfaits.
Quelques groupes de maisons neuves plaquées aux anciennes fortifications peuvent tromper d’abord les voyageurs du train ; mais, au-dessus de leurs trois étages, le couvercle aigu d’une tour ou quelque mâchicoulis qui semble toujours prêt à vomir du plomb fondu et de l’huile bouillante rappelle l’image d’Ugolin étreignant et rongeant par derrière le crâne de son ennemi,
Pour voir les vieilles tours secouer la lèpre des constructions récentes, il suffit de tourner vers l’ouest ; là, reliées entre elles par d’épaisses courtines, elles couronnent les escarpements de schiste, , qui ressemblent eux-mêmes à des remparts géants. Cette ceinture crénelée, s’élevant toujours avec le rocher auquel s’identifient ses noirs festons, aurait l’aspect le plus sinistre si la nature ne se chargeait de l’égayer. Le printemps accroche des arbustes fleuris aux meneaux brisés ; l’automne fait mûrir les fruits des ronces qui jaillissent de mille longues lézardes, et l’on dirait d’aimables sourires déridant une physionomie sombre ; l’hiver, le lierre tresse ses guirlandes autour des nids de pierre où les freux sont venus remplacer les hirondelles ; à certains endroits, il couvre avec un soin jaloux la vétusté des murailles absolument éventrées. La partie méridionale surtout ne mérite plus, grâce aux injures des siècles et à la pioche des démolisseurs, le nom de ville close ; mais, au nord, le rempart encore intact serait, tout autant que sous Charles VIII, en état de soutenir un siège.
L’église, le château, voilà ce qui domine dans l’aspect général de X. Ils annulent, ils effacent tout le reste, ils résument la richesse, l’orgueil, le caractère de la ville : une cathédrale, une forteresse ; – la première remontant au xiie siècle, quoi qu’en puissent faire croire sa flèche élégante et ses contre-forts à pinacles flamboyants qui ont été greffés après coup, de même qu’une chaire couverte, bijou de la Renaissance, fut attachée pour les prêches calvinistes à la masse féodale des « châtelets », au pied de laquelle sont comme agenouillés en signe de servage, la sous-préfecture, le tribunal et la mairie. Il faut que les délégués du pouvoir actuel se résignent à être petits devant le seigneur, absent pour toujours, il est vrai, mais pour toujours aussi représenté par son château.