Author: | Charles Illouz | ISBN: | 9782753538108 |
Publisher: | Presses universitaires de Rennes | Publication: | August 31, 2015 |
Imprint: | Presses universitaires de Rennes | Language: | French |
Author: | Charles Illouz |
ISBN: | 9782753538108 |
Publisher: | Presses universitaires de Rennes |
Publication: | August 31, 2015 |
Imprint: | Presses universitaires de Rennes |
Language: | French |
Les Kanaks de Maré, aux îles Loyauté, mobilisent l’ensemble de leurs forces productives et leur imaginaire pour cultiver des ignames et, à travers ces plantes, des relations sociales. Ils trouvent dans la production agricole les formes originales d’une idéologie qui place un cadet sous l’autorité inflexible d’un aîné. En même temps que celui-ci recouvre la dette matérielle qui pèse dès l’enfance sur son cadet, il exerce un droit prioritaire de parole. Sur cette île, où les activités champêtres ne sont pas toujours paisibles, la loi qui ordonne les prises de parole masculines est la même qui ordonne les prestations cérémonielles d’ignames dans la chaîne des fratries lignagères et claniques, en dernier lieu dans celle de la chefferie. Et ces hommes, en quête d’honneur et de renom, tatillons sur les règles oratoires qui définissent leur position dans la fratrie clanique, n’accordent que peu d’intérêt à d’autres civilités, discrètes mais tout aussi savantes, que les femmes ont inventées pour coopter les nouvelles épouses appelées à les rejoindre. Celles-ci échappent ainsi à la rigueur de la loi qui ordonne les prises de parole masculines et le mutisme des cadets. Mais toute loi, imprimant sa coercition aux sujets qui l’observent, suppose l’horizon de sa transgression. Quelle que soit la société d’ailleurs, il ne va pas de soi qu’Untel parle et qu’un autre se taise. L’auteur décrit ici cette loi qui prescrit les accès à la parole et garantit la reproduction de la hiérarchie sociale. C’est pourquoi les mêmes voix qui résonnent dans le moi divisé du cadet ont décidé des institutions de la chefferie. L’une est prescriptive : elle dit la loi ; la deuxième est sourde à la première : elle révèle les voies subjectives de la transgression ; la troisième restaure l’audience de la première : elle met en œuvre la répression. Comme l’histoire guerrière de l’île le montre, l’insubordination à la parole des aînés peut conduire au délitement des ordonnancements de la parole. Les gens de Maré ont donc imaginé recourir à des « maîtres du mal », des spécialistes étrangers, experts en formules et manipulations meurtrières, pour qu’ils rappellent à tout cadet récalcitrant le pacte injonctif qui le lie à son aîné, comme à l’Aîné ultime, Seigneur de la chefferie : la parole ou la vie !
Les Kanaks de Maré, aux îles Loyauté, mobilisent l’ensemble de leurs forces productives et leur imaginaire pour cultiver des ignames et, à travers ces plantes, des relations sociales. Ils trouvent dans la production agricole les formes originales d’une idéologie qui place un cadet sous l’autorité inflexible d’un aîné. En même temps que celui-ci recouvre la dette matérielle qui pèse dès l’enfance sur son cadet, il exerce un droit prioritaire de parole. Sur cette île, où les activités champêtres ne sont pas toujours paisibles, la loi qui ordonne les prises de parole masculines est la même qui ordonne les prestations cérémonielles d’ignames dans la chaîne des fratries lignagères et claniques, en dernier lieu dans celle de la chefferie. Et ces hommes, en quête d’honneur et de renom, tatillons sur les règles oratoires qui définissent leur position dans la fratrie clanique, n’accordent que peu d’intérêt à d’autres civilités, discrètes mais tout aussi savantes, que les femmes ont inventées pour coopter les nouvelles épouses appelées à les rejoindre. Celles-ci échappent ainsi à la rigueur de la loi qui ordonne les prises de parole masculines et le mutisme des cadets. Mais toute loi, imprimant sa coercition aux sujets qui l’observent, suppose l’horizon de sa transgression. Quelle que soit la société d’ailleurs, il ne va pas de soi qu’Untel parle et qu’un autre se taise. L’auteur décrit ici cette loi qui prescrit les accès à la parole et garantit la reproduction de la hiérarchie sociale. C’est pourquoi les mêmes voix qui résonnent dans le moi divisé du cadet ont décidé des institutions de la chefferie. L’une est prescriptive : elle dit la loi ; la deuxième est sourde à la première : elle révèle les voies subjectives de la transgression ; la troisième restaure l’audience de la première : elle met en œuvre la répression. Comme l’histoire guerrière de l’île le montre, l’insubordination à la parole des aînés peut conduire au délitement des ordonnancements de la parole. Les gens de Maré ont donc imaginé recourir à des « maîtres du mal », des spécialistes étrangers, experts en formules et manipulations meurtrières, pour qu’ils rappellent à tout cadet récalcitrant le pacte injonctif qui le lie à son aîné, comme à l’Aîné ultime, Seigneur de la chefferie : la parole ou la vie !