Author: | John Ruskin, Marcel Proust | ISBN: | 1230001070347 |
Publisher: | E H | Publication: | March 12, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | John Ruskin, Marcel Proust |
ISBN: | 1230001070347 |
Publisher: | E H |
Publication: | March 12, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
Je voudrais donner au lecteur le désir et le moyen d’aller passer une journée à Amiens en une sorte de pèlerinage ruskinien. Ce n’était pas la peine de commencer par lui demander d’aller à Florence ou à Venise quand Ruskin a écrit sur Amiens tout un livre[2]. Et, d’autre part, il me semble que c’est ainsi que doit être célébré le « culte des Héros », je veux dire en esprit et en vérité. Nous visitons le lieu où un grand homme est né et le lieu où il est mort ; mais les lieux qu’il admirait entre tous, dont c’est la beauté même que nous aimons dans ses livres, ne les habitait-il pas davantage ?
Nous honorons d’un fétichisme qui n’est qu’illusion une tombe où reste seulement de Ruskin ce qui n’était pas lui-même, et nous n’irions pas nous agenouiller devant ces pierres d’Amiens, à qui il venait demander sa pensée, qui la gardent encore, pareilles à la tombe d’Angleterre où d’un poète dont le corps fut consumé, ne reste — arraché aux flammes d’un geste sublime et tendre par un autre poète — que le cœur[3] ?
Sans doute le snobisme qui fait paraître raisonnable tout ce qu’il touche n’a pas encore atteint (pour les Français du moins) et par là préservé du ridicule, ces promenades esthétiques. Dites que vous allez à Bayreuth entendre un opéra de Wagner, à Amsterdam visiter une exposition, on regrettera de ne pouvoir vous accompagner. Mais, si vous avouez que vous allez voir, à la Pointe du Raz, une tempête, en Normandie, les pommiers en fleurs, à Amiens, une statue aimée de Ruskin, on ne pourra s’empêcher de sourire. Je n’en espère pas moins que vous irez à Amiens après m’avoir lu...
Je voudrais donner au lecteur le désir et le moyen d’aller passer une journée à Amiens en une sorte de pèlerinage ruskinien. Ce n’était pas la peine de commencer par lui demander d’aller à Florence ou à Venise quand Ruskin a écrit sur Amiens tout un livre[2]. Et, d’autre part, il me semble que c’est ainsi que doit être célébré le « culte des Héros », je veux dire en esprit et en vérité. Nous visitons le lieu où un grand homme est né et le lieu où il est mort ; mais les lieux qu’il admirait entre tous, dont c’est la beauté même que nous aimons dans ses livres, ne les habitait-il pas davantage ?
Nous honorons d’un fétichisme qui n’est qu’illusion une tombe où reste seulement de Ruskin ce qui n’était pas lui-même, et nous n’irions pas nous agenouiller devant ces pierres d’Amiens, à qui il venait demander sa pensée, qui la gardent encore, pareilles à la tombe d’Angleterre où d’un poète dont le corps fut consumé, ne reste — arraché aux flammes d’un geste sublime et tendre par un autre poète — que le cœur[3] ?
Sans doute le snobisme qui fait paraître raisonnable tout ce qu’il touche n’a pas encore atteint (pour les Français du moins) et par là préservé du ridicule, ces promenades esthétiques. Dites que vous allez à Bayreuth entendre un opéra de Wagner, à Amsterdam visiter une exposition, on regrettera de ne pouvoir vous accompagner. Mais, si vous avouez que vous allez voir, à la Pointe du Raz, une tempête, en Normandie, les pommiers en fleurs, à Amiens, une statue aimée de Ruskin, on ne pourra s’empêcher de sourire. Je n’en espère pas moins que vous irez à Amiens après m’avoir lu...