Author: | Alphonse Karr, Gérard Seguin | ISBN: | 1230003180990 |
Publisher: | E. Blanchard (Paris) 1854 | Publication: | April 12, 2019 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Alphonse Karr, Gérard Seguin |
ISBN: | 1230003180990 |
Publisher: | E. Blanchard (Paris) 1854 |
Publication: | April 12, 2019 |
Imprint: | |
Language: | French |
Pour ceux de nos jeunes lecteurs qui habitent loin de Paris et qui peuvent bien ne pas être au courant des malices et du langage de messieurs les écoliers de la capitale, il n’est pas inutile de donner la traduction du mot pion. C’est le nom irrévérencieux par lequel ils désignent entre eux les maîtres d’étude et les professeurs. Je ne pense pas qu’ils se soient jamais beaucoup inquiétés de l’étymologie de ce nom, qu’ils s’avisent parfois d’imposer à des hommes fort respectables par leur caractère et par leur science.
Pion se trouve dans quelques vieux livres français pour piéton. Dans les temps anciens, les chevaliers et les nobles ne combattaient qu’à cheval ; l’infanterie, qui est devenue la principale force de nos armées, n’était alors composée que de ceux qui ne pouvaient avoir un cheval. Ce mot est resté au jeu d’échecs pour désigner les moindres pièces du jeu, les simples soldats. On a employé quelquefois le mot pion pour ivrogne, mais alors on le faisait dériver d’un mot grec qui signifie boire. Par allusion au jeu d’échecs, on appelle encore pion un homme sans importance, sans force, destiné à être pour les autres un jouet et une proie facile.
L’histoire que je veux vous raconter s’est passée sous mes yeux. J’étais alors enfant et un des plus jeunes écoliers de la pension ; aussi n’y ai-je joué qu’un rôle accessoire, les plus grands, les grands, comme nous les appelions, s’étant naturellement partagé les rôles importants.
Tous les matins, vers six heures, nous passions une heure dans l’atelier de dessin ; quelques-uns, qui avaient pour cet art des dispositions naturelles, y prenaient de l’intérêt et travaillaient sérieusement ; les autres, condamnés à faire d’éternelles pages d’yeux, de bouches, de nez et d’oreilles, laissaient passer l’heure de la classe, et abusaient de la mie de pain qu’on leur donnait pour effacer les traits incertains de leur crayon inhabile, en se livrant, à distance, des combats peu sanglants, au moyen de petites boulettes qu’ils se lançaient avec une adresse qui eût fait honneur à des artilleurs au polygone de Vincennes.
Le professeur de dessin était un jeune peintre qui avait déjà du talent, mais point encore de réputation. Il aimait passionnément son art, et je pense que si cela nous ennuyait de faire des yeux et des nez, cela ne l’amusait pas beaucoup plus de nous les faire faire, et de les corriger. L’atelier, qui ne servait à rien hors des heures de la classe de dessin, lui était abandonné par le maître de la pension, et à part le temps que lui prenaient des leçons qu’il allait donner dans une autre pension du même quartier, il passait toutes les journées à travailler dans cet atelier. Malgré nos tentatives opiniâtres, nous n’avions jamais pu voir ce qu’il faisait, parce que son chevalet et les toiles sur lesquelles il travaillait étaient toujours rentrés dans une petite pièce, sorte de mansarde contiguë à l’atelier qui lui servait de domicile. Cette précaution, prise à la fois contre la poussière et contre notre curiosité, avait toujours triomphé de nos efforts persévérants.....
Pour ceux de nos jeunes lecteurs qui habitent loin de Paris et qui peuvent bien ne pas être au courant des malices et du langage de messieurs les écoliers de la capitale, il n’est pas inutile de donner la traduction du mot pion. C’est le nom irrévérencieux par lequel ils désignent entre eux les maîtres d’étude et les professeurs. Je ne pense pas qu’ils se soient jamais beaucoup inquiétés de l’étymologie de ce nom, qu’ils s’avisent parfois d’imposer à des hommes fort respectables par leur caractère et par leur science.
Pion se trouve dans quelques vieux livres français pour piéton. Dans les temps anciens, les chevaliers et les nobles ne combattaient qu’à cheval ; l’infanterie, qui est devenue la principale force de nos armées, n’était alors composée que de ceux qui ne pouvaient avoir un cheval. Ce mot est resté au jeu d’échecs pour désigner les moindres pièces du jeu, les simples soldats. On a employé quelquefois le mot pion pour ivrogne, mais alors on le faisait dériver d’un mot grec qui signifie boire. Par allusion au jeu d’échecs, on appelle encore pion un homme sans importance, sans force, destiné à être pour les autres un jouet et une proie facile.
L’histoire que je veux vous raconter s’est passée sous mes yeux. J’étais alors enfant et un des plus jeunes écoliers de la pension ; aussi n’y ai-je joué qu’un rôle accessoire, les plus grands, les grands, comme nous les appelions, s’étant naturellement partagé les rôles importants.
Tous les matins, vers six heures, nous passions une heure dans l’atelier de dessin ; quelques-uns, qui avaient pour cet art des dispositions naturelles, y prenaient de l’intérêt et travaillaient sérieusement ; les autres, condamnés à faire d’éternelles pages d’yeux, de bouches, de nez et d’oreilles, laissaient passer l’heure de la classe, et abusaient de la mie de pain qu’on leur donnait pour effacer les traits incertains de leur crayon inhabile, en se livrant, à distance, des combats peu sanglants, au moyen de petites boulettes qu’ils se lançaient avec une adresse qui eût fait honneur à des artilleurs au polygone de Vincennes.
Le professeur de dessin était un jeune peintre qui avait déjà du talent, mais point encore de réputation. Il aimait passionnément son art, et je pense que si cela nous ennuyait de faire des yeux et des nez, cela ne l’amusait pas beaucoup plus de nous les faire faire, et de les corriger. L’atelier, qui ne servait à rien hors des heures de la classe de dessin, lui était abandonné par le maître de la pension, et à part le temps que lui prenaient des leçons qu’il allait donner dans une autre pension du même quartier, il passait toutes les journées à travailler dans cet atelier. Malgré nos tentatives opiniâtres, nous n’avions jamais pu voir ce qu’il faisait, parce que son chevalet et les toiles sur lesquelles il travaillait étaient toujours rentrés dans une petite pièce, sorte de mansarde contiguë à l’atelier qui lui servait de domicile. Cette précaution, prise à la fois contre la poussière et contre notre curiosité, avait toujours triomphé de nos efforts persévérants.....