S'il est difficile de définir le mot Prostitution, combien est-il plus difficile de caractériser ce qui est son histoire dans les temps anciens et modernes! Ce mot Prostitution, qui flétrit comme avec un fer rouge une des plus tristes misères de l'humanité, s'emploie moins au propre qu'au figuré, et il reparaît souvent dans la langue parlée ou écrite, sans y prendre sa véritable acception. Les graves auteurs du Dictionnaire de l'Académie (dernière édition de 1835) n'ont pas trouvé pour ce mot-là une meilleure définition que celle-ci: «Abandonnement à l'impudicité.» Avant eux, Richelet s'était contenté d'une définition plus vague encore: «Déréglement de vie;» mais peu satisfait lui-même de cette explication, dont l'insuffisance accuse la modestie, il en avait complété le sens par une phrase moins amphibologique: «C'est un abandonnement illégitime que fait une fille ou femme de son corps à une personne, afin que cette personne prenne avec elle des plaisirs défendus.» Cette phrase, dans laquelle les auteurs du Dictionnaire de l'Académie ont puisé leur définition, ne dit pas même tout ce que renferme le mot Prostitution, puisque l'abandonnement dont il s'agit s'est étendu, en certaines circonstances, aux personnes des deux sexes, et que les plaisirs défendus par la religion ou la morale sont souvent autorisés ou tolérés par la loi. Nous pensons donc que ce mot Prostitution doit être ramené à son étymologie (Prostitum) et s'entendre alors de toute espèce de trafic obscène du corps humain. Ce trafic sensuel, que la morale réprouve, a existé dans tous les siècles et chez tous les peuples; mais il a revêtu les formes les plus variées et les plus étranges, il s'est modifié selon les mœurs et les idées; il a obtenu ordinairement la protection du législateur; il est entré dans les codes politiques et même parfois dans les cérémonies religieuses; il a presque toujours et presque partout conquis son droit de cité, pour ainsi dire, et il est encore, de nos jours, sous l'empire du perfectionnement philosophique des sociétés, il est l'auxiliaire obligé de la police des villes, il est le gardien immoral de la moralité publique, il est le triste et indispensable tributaire des passions brutales de l'homme. C'est là, il faut l'avouer, une des plus honteuses plaies de l'humanité; mais cette plaie, aussi ancienne que le monde, s'est déguisée tantôt dans les ténèbres du foyer hospitalier, tantôt dans les mystères des temples du paganisme, tantôt sous les voiles décents de la tolérance légale; cette plaie infâme, qui ronge plus ou moins le corps social, a trouvé dans la philosophie antique et dans la religion chrétienne un puissant palliatif, sinon un remède absolu, et à mesure que le peuple s'éclaire et s'améliore, le mal inévitable de la Prostitution diminue d'intensité et circonscrit, en quelque sorte, ses ravages. On ne peut espérer qu'il disparaisse tout à fait, puisque les instincts vicieux auxquels il répond sont malheureusement innés dans l'espèce humaine; mais on doit prévoir avec certitude qu'il se cachera un jour au fond des sentines publiques et qu'il n'affligera plus les regards des honnêtes gens. Déjà, de toutes parts, en France ainsi que dans tous les pays soumis à un gouvernement régulier, la Prostitution voit décroître progressivement le nombre de ses agents avec celui de ses victimes; elle recule, comme si elle était accessible à un sentiment de pudeur, devant le développement de la raison morale; elle n'abdique pas, mais elle se sait détrônée et s'enveloppe dans les plis de sa robe de courtisane, en ne songeant plus à reconquérir son royaume impudique. Le moment n'est pas loin où elle rougira d'elle-même, où elle sortira pour jamais du sanctuaire des mœurs, où elle tombera par degrés dans l'obscurité et l'oubli. Il en est de ces maladies du cœur humain, comme de ces maladies physiques qui finissent par s'user et par perdre leur caractère contagieux ou épidémique sous l'influence du régime de vie. La lèpre ne nous est plus connue que de nom, et si l'on rencontre ça et là quelques rares vestiges de cette terrible peste du moyen âge, on reconnaît avec bonheur qu'ils n'ont plus la force de s'étendre et de se propager: ce sont seulement des témoignages redoutables du fléau qui sévissait jadis sur la population entière, et qui attaque à peine maintenant certains individus isolés
S'il est difficile de définir le mot Prostitution, combien est-il plus difficile de caractériser ce qui est son histoire dans les temps anciens et modernes! Ce mot Prostitution, qui flétrit comme avec un fer rouge une des plus tristes misères de l'humanité, s'emploie moins au propre qu'au figuré, et il reparaît souvent dans la langue parlée ou écrite, sans y prendre sa véritable acception. Les graves auteurs du Dictionnaire de l'Académie (dernière édition de 1835) n'ont pas trouvé pour ce mot-là une meilleure définition que celle-ci: «Abandonnement à l'impudicité.» Avant eux, Richelet s'était contenté d'une définition plus vague encore: «Déréglement de vie;» mais peu satisfait lui-même de cette explication, dont l'insuffisance accuse la modestie, il en avait complété le sens par une phrase moins amphibologique: «C'est un abandonnement illégitime que fait une fille ou femme de son corps à une personne, afin que cette personne prenne avec elle des plaisirs défendus.» Cette phrase, dans laquelle les auteurs du Dictionnaire de l'Académie ont puisé leur définition, ne dit pas même tout ce que renferme le mot Prostitution, puisque l'abandonnement dont il s'agit s'est étendu, en certaines circonstances, aux personnes des deux sexes, et que les plaisirs défendus par la religion ou la morale sont souvent autorisés ou tolérés par la loi. Nous pensons donc que ce mot Prostitution doit être ramené à son étymologie (Prostitum) et s'entendre alors de toute espèce de trafic obscène du corps humain. Ce trafic sensuel, que la morale réprouve, a existé dans tous les siècles et chez tous les peuples; mais il a revêtu les formes les plus variées et les plus étranges, il s'est modifié selon les mœurs et les idées; il a obtenu ordinairement la protection du législateur; il est entré dans les codes politiques et même parfois dans les cérémonies religieuses; il a presque toujours et presque partout conquis son droit de cité, pour ainsi dire, et il est encore, de nos jours, sous l'empire du perfectionnement philosophique des sociétés, il est l'auxiliaire obligé de la police des villes, il est le gardien immoral de la moralité publique, il est le triste et indispensable tributaire des passions brutales de l'homme. C'est là, il faut l'avouer, une des plus honteuses plaies de l'humanité; mais cette plaie, aussi ancienne que le monde, s'est déguisée tantôt dans les ténèbres du foyer hospitalier, tantôt dans les mystères des temples du paganisme, tantôt sous les voiles décents de la tolérance légale; cette plaie infâme, qui ronge plus ou moins le corps social, a trouvé dans la philosophie antique et dans la religion chrétienne un puissant palliatif, sinon un remède absolu, et à mesure que le peuple s'éclaire et s'améliore, le mal inévitable de la Prostitution diminue d'intensité et circonscrit, en quelque sorte, ses ravages. On ne peut espérer qu'il disparaisse tout à fait, puisque les instincts vicieux auxquels il répond sont malheureusement innés dans l'espèce humaine; mais on doit prévoir avec certitude qu'il se cachera un jour au fond des sentines publiques et qu'il n'affligera plus les regards des honnêtes gens. Déjà, de toutes parts, en France ainsi que dans tous les pays soumis à un gouvernement régulier, la Prostitution voit décroître progressivement le nombre de ses agents avec celui de ses victimes; elle recule, comme si elle était accessible à un sentiment de pudeur, devant le développement de la raison morale; elle n'abdique pas, mais elle se sait détrônée et s'enveloppe dans les plis de sa robe de courtisane, en ne songeant plus à reconquérir son royaume impudique. Le moment n'est pas loin où elle rougira d'elle-même, où elle sortira pour jamais du sanctuaire des mœurs, où elle tombera par degrés dans l'obscurité et l'oubli. Il en est de ces maladies du cœur humain, comme de ces maladies physiques qui finissent par s'user et par perdre leur caractère contagieux ou épidémique sous l'influence du régime de vie. La lèpre ne nous est plus connue que de nom, et si l'on rencontre ça et là quelques rares vestiges de cette terrible peste du moyen âge, on reconnaît avec bonheur qu'ils n'ont plus la force de s'étendre et de se propager: ce sont seulement des témoignages redoutables du fléau qui sévissait jadis sur la population entière, et qui attaque à peine maintenant certains individus isolés