Dialogues philosophiques

Nonfiction, Religion & Spirituality, Philosophy, Metaphysics
Cover of the book Dialogues philosophiques by Voltaire, Voltaire
View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart
Author: Voltaire ISBN: 1230001782844
Publisher: Voltaire Publication: July 30, 2017
Imprint: Language: French
Author: Voltaire
ISBN: 1230001782844
Publisher: Voltaire
Publication: July 30, 2017
Imprint:
Language: French

Extrait:

L’ABBÉ COUET. — Quoi ! monsieur le comte, vous croyez la philosophie aussi utile au genre humain que la religion apostolique, catholique et romaine ?


LE COMTE DE BOULAINVILLIERS. — La philosophie étend son empire sur tout l’univers, et votre Église ne domine que sur une partie de l’Europe ; encore y a-t-elle bien des ennemis. Mais vous devez m’avouer que la philosophie est plus salutaire mille fois que votre religion, telle qu’elle est pratiquée depuis longtemps.


L’ABBÉ. — Vous m’étonnez. Qu’entendez-vous donc par philosophie ?


LE COMTE. — J’entends l’amour éclairé de la sagesse, soutenu par l’amour de l’Être éternel, rémunérateur de la vertu et vengeur du crime.


L’ABBÉ. — Eh bien ! n’est-ce pas là ce que notre religion annonce ?


LE COMTE. — Si c’est là ce que vous annoncez, nous sommes d’accord ; je suis bon catholique et vous êtes bon philosophe ; n’allons donc pas plus loin ni l’un ni l’autre. Ne déshonorons notre philosophie religieuse et sainte, ni par des sophismes et des absurdités qui outragent la raison, ni par la cupidité effrénée des honneurs et des richesses qui corrompent toutes les vertus. N’écoutons que les vérités et la modération de la philosophie ; alors cette philosophie adoptera la religion pour sa fille.


L’ABBÉ. — Avec votre permission, ce discours sent un peu le fagot.


LE COMTE. — Tant que vous ne cesserez de nous conter des fagots, et de vous servir de fagots allumés au lieu de raisons, vous n’aurez pour partisans que des hypocrites et des imbéciles. L’opinion d’un seul sage l’emporte sans doute sur les prestiges des fripons, et sur l’asservissement de mille idiots. Vous m’avez demandé ce que j’entends par philosophie ; je vous demande à mon tour ce que vous entendez par religion.


L’ABBÉ. — Il me faudrait bien du temps pour vous expliquer tous nos dogmes.


LE COMTE. — C’est déjà une grande présomption contre vous. Il vous faut de gros livres ; et à moi il ne faut que quatre mots : Sers Dieu, sois juste.


L’ABBÉ. — Jamais notre religion n’a dit le contraire.


LE COMTE. — Je voudrais ne point trouver dans vos livres des idées contraires. Ces paroles cruelles : « Contrains-les d’entrer, » dont on abuse avec tant de barbarie ; et celles-ci : « Je suis venu apporter le glaive et non la paix ; » et celles-là encore : « Que celui qui n’écoute pas l’Église soit regardé comme un païen, ou comme un receveur des deniers publics ; » et cent maximes pareilles, effraient le sens commun et l’humanité.

Y a-t-il rien de plus dur et de plus odieux que cet autre discours : « Je leur parle en parabole, afin qu’en voyant ils ne voient point, et qu’en écoutant ils n’entendent point ? » Est-ce ainsi que s’expliquent la sagesse et la bonté éternelle ?

Le Dieu de tout l’univers, qui se fait homme pour éclairer et pour favoriser tous les hommes, a-t-il pu dire : « Je n’ai été envoyé qu’au troupeau d’Israël, » c’est-à-dire à un petit pays de trente lieues tout au plus ?

Est-il possible que ce Dieu, à qui l’on fait payer la capitation, ait dit que ses disciples ne devaient rien payer ; que les rois « ne reçoivent des impôts que des étrangers, et que les enfants en sont exempts ? »


L’ABBÉ. — Ces discours qui scandalisent sont expliqués par des passages tout différents.


LE COMTE. — Juste ciel ! qu’est-ce qu’un Dieu qui a besoin de commentaire, et à qui l’on fait dire perpétuellement le pour et le contre ? qu’est-ce qu’un législateur qui n’a rien écrit ? qu’est-ce que quatre livres divins dont la date est inconnue, et dont les auteurs, si peu avérés, se contredisent à chaque page ?


L’ABBÉ. — Tout cela se concilie, vous dis-je. Mais vous m’avouerez du moins que vous êtes très content du discours sur la montagne.


LE COMTE. — Oui ; on prétend que Jésus a dit qu’on brûlera ceux qui appellent leur frère Raca, comme vos théologiens font tous les jours. Il dit qu’il est venu pour accomplir la loi de Moïse, que vous avez en horreur. Il demande avec quoi on salera si le sel s’évanouit. Il dit que bienheureux sont les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. Je sais encore qu’on lui fait dire qu’il faut que le blé pourrisse et meure en terre pour germer ; que le royaume des cieux est un grain de moutarde ; que c’est de l’argent mis à usure ; qu’il ne faut pas donner à dîner à ses parents quand ils sont riches. Peut-être ces expressions avaient-elles un sens respectable dans la langue où l’on dit qu’elles furent prononcées ; j’adopte tout ce qui peut inspirer la vertu : mais ayez la bonté de me dire ce que vous pensez d’un autre passage que voici :

« C’est Dieu qui m’a formé ; Dieu est partout et dans moi : Oserais-je le souiller par des actions criminelles et basses, par des paroles impures, par d’infâmes désirs ?

« Puissé-je, à mes derniers moments, dire à Dieu : Ô mon maître ! ô mon père ! tu as voulu que je souffrisse, j’ai souffert avec résignation ; tu as voulu que je fusse pauvre, j’ai embrassé la pauvreté ; tu m’as mis dans la bassesse, et je n’ai point voulu la grandeur ; tu veux que je meure, je t’adore en mourant. Je sors de ce magnifique spectacle en te rendant grâce de m’y avoir admis pour me faire contempler l’ordre admirable avec lequel tu régis l’univers. »


L’ABBÉ. — Cela est admirable ; dans quel père de l’Église avez-vous trouvé ce morceau divin ? est-ce dans saint Cyprien, dans saint Grégoire de Nazianze, ou dans saint Cyrille ?


LE COMTE. — Non ; ce sont les paroles d’un esclave païen, nommé Épictète ; et l’empereur Marc-Aurèle n’a jamais pensé autrement que cet esclave.


L’ABBÉ. — Je me souviens, en effet, d’avoir lu, dans ma jeunesse, des préceptes de morale dans des auteurs païens, qui me firent une grande impression ; je vous avouerai même que les lois de Zaleucus, de Charondas, les conseils de Confucius, les commandements moraux de Zoroastre, les maximes de Pythagore, me parurent dictées par la sagesse pour le bonheur du genre humain : il me semblait que Dieu avait daigné honorer ces grands hommes d’une lumière plus pure que celle des hommes ordinaires, comme il donna plus d’harmonie à Virgile, plus d’éloquence à Cicéron, et plus de sagacité à Archimède, qu’à leurs contemporains. J’étais frappé de ces grandes leçons de vertu que l’antiquité nous a laissées. Mais enfin tous ces gens-là ne connaissaient pas la théologie ; ils ne savaient pas quelle est la différence entre un chérubin et un séraphin, entre la grâce efficace à laquelle on ne peut résister et la grâce suffisante qui ne suffit pas ; ils ignoraient que Dieu était mort, et qu’ayant été crucifié pour tous, il n’avait pourtant été crucifié que pour quelques-uns. Ah ! monsieur le comte, si les Scipion, les Cicéron, les Caton, les Épictète, les Antonin, avaient su que « le Père a engendré le Fils, et qu’il ne l’a pas fait ; que l’Esprit n’a été ni engendré ni fait, mais qu’il procède par spiration tantôt du Père et tantôt du Fils ; que le Fils a tout ce qui appartient au Père, mais qu’il n’a pas la paternité ; » si, dis-je, les anciens, nos maîtres en tout, avaient pu connaître cent vérités de cette clarté et de cette force ; enfin, s’ils avaient été théologiens, quels avantages n’auraient-ils pas procurés aux hommes ! La consubstantialité surtout, monsieur le comte, la transsubstantiation, sont de si belles choses ! Plût au ciel que Scipion, Cicéron et Marc-Aurèle, eussent approfondi ces vérités ! ils auraient pu être grands-vicaires de monseigneur l’archevêque, ou syndics de la Sorbonne.


LE COMTE. — Çà, dites-moi en conscience, entre nous et devant Dieu, si vous pensez que les âmes de ces grands hommes soient à la broche, éternellement rôties par les diables en attendant qu’elles aient trouvé leur corps qui sera éternellement rôti avec elles ; et cela pour n’avoir pu être syndics de Sorbonne, et grands-vicaires de monseigneur l’archevêque ?


L’ABBÉ. — Vous m’embarrassez beaucoup ; car « hors de l’Église point de salut ».

 

Nul ne doit plaire au ciel que nous et nos amis.


« Quiconque n’écoute pas l’Église, qu’il soit comme un païen ou comme un fermier général. » Scipion et Marc-Aurèle n’ont point écouté l’Église ; ils n’ont point reçu le concile de Trente ; leurs âmes spirituelles seront rôties à jamais ; et quand leurs corps, dispersés dans les quatre éléments, seront retrouvés, ils seront rôtis à jamais aussi avec leurs âmes. Rien n’est plus clair, comme rien n’est plus juste : cela est positif.

D’un autre côté, il est bien dur de brûler éternellement Socrate, Aristide, Pythagore, Épictète, les Antonins, tous ceux dont la vie a été pure et exemplaire, et d’accorder la béatitude éternelle à l’âme et au corps de François Ravaillac, qui mourut en bon chrétien, bien confessé, et muni d’une grâce efficace ou suffisante. Je suis un peu embarrassé dans cette affaire ; car enfin je suis juge de tous les hommes ; leur bonheur ou leur malheur dépend de moi, et j’aurais quelque répugnance à sauver Ravaillac et à damner Scipion.

Il y a une chose qui me console, c’est que nous autres théologiens nous pouvons tirer des enfers qui nous voulons ; nous lisons dans les Actes de sainte Thècle, grande théologienne, disciple de saint Paul, laquelle se déguisa en homme pour le suivre, qu’elle délivra de l’enfer son amie Faconille, qui avait eu le malheur de mourir païenne.

View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart

Extrait:

L’ABBÉ COUET. — Quoi ! monsieur le comte, vous croyez la philosophie aussi utile au genre humain que la religion apostolique, catholique et romaine ?


LE COMTE DE BOULAINVILLIERS. — La philosophie étend son empire sur tout l’univers, et votre Église ne domine que sur une partie de l’Europe ; encore y a-t-elle bien des ennemis. Mais vous devez m’avouer que la philosophie est plus salutaire mille fois que votre religion, telle qu’elle est pratiquée depuis longtemps.


L’ABBÉ. — Vous m’étonnez. Qu’entendez-vous donc par philosophie ?


LE COMTE. — J’entends l’amour éclairé de la sagesse, soutenu par l’amour de l’Être éternel, rémunérateur de la vertu et vengeur du crime.


L’ABBÉ. — Eh bien ! n’est-ce pas là ce que notre religion annonce ?


LE COMTE. — Si c’est là ce que vous annoncez, nous sommes d’accord ; je suis bon catholique et vous êtes bon philosophe ; n’allons donc pas plus loin ni l’un ni l’autre. Ne déshonorons notre philosophie religieuse et sainte, ni par des sophismes et des absurdités qui outragent la raison, ni par la cupidité effrénée des honneurs et des richesses qui corrompent toutes les vertus. N’écoutons que les vérités et la modération de la philosophie ; alors cette philosophie adoptera la religion pour sa fille.


L’ABBÉ. — Avec votre permission, ce discours sent un peu le fagot.


LE COMTE. — Tant que vous ne cesserez de nous conter des fagots, et de vous servir de fagots allumés au lieu de raisons, vous n’aurez pour partisans que des hypocrites et des imbéciles. L’opinion d’un seul sage l’emporte sans doute sur les prestiges des fripons, et sur l’asservissement de mille idiots. Vous m’avez demandé ce que j’entends par philosophie ; je vous demande à mon tour ce que vous entendez par religion.


L’ABBÉ. — Il me faudrait bien du temps pour vous expliquer tous nos dogmes.


LE COMTE. — C’est déjà une grande présomption contre vous. Il vous faut de gros livres ; et à moi il ne faut que quatre mots : Sers Dieu, sois juste.


L’ABBÉ. — Jamais notre religion n’a dit le contraire.


LE COMTE. — Je voudrais ne point trouver dans vos livres des idées contraires. Ces paroles cruelles : « Contrains-les d’entrer, » dont on abuse avec tant de barbarie ; et celles-ci : « Je suis venu apporter le glaive et non la paix ; » et celles-là encore : « Que celui qui n’écoute pas l’Église soit regardé comme un païen, ou comme un receveur des deniers publics ; » et cent maximes pareilles, effraient le sens commun et l’humanité.

Y a-t-il rien de plus dur et de plus odieux que cet autre discours : « Je leur parle en parabole, afin qu’en voyant ils ne voient point, et qu’en écoutant ils n’entendent point ? » Est-ce ainsi que s’expliquent la sagesse et la bonté éternelle ?

Le Dieu de tout l’univers, qui se fait homme pour éclairer et pour favoriser tous les hommes, a-t-il pu dire : « Je n’ai été envoyé qu’au troupeau d’Israël, » c’est-à-dire à un petit pays de trente lieues tout au plus ?

Est-il possible que ce Dieu, à qui l’on fait payer la capitation, ait dit que ses disciples ne devaient rien payer ; que les rois « ne reçoivent des impôts que des étrangers, et que les enfants en sont exempts ? »


L’ABBÉ. — Ces discours qui scandalisent sont expliqués par des passages tout différents.


LE COMTE. — Juste ciel ! qu’est-ce qu’un Dieu qui a besoin de commentaire, et à qui l’on fait dire perpétuellement le pour et le contre ? qu’est-ce qu’un législateur qui n’a rien écrit ? qu’est-ce que quatre livres divins dont la date est inconnue, et dont les auteurs, si peu avérés, se contredisent à chaque page ?


L’ABBÉ. — Tout cela se concilie, vous dis-je. Mais vous m’avouerez du moins que vous êtes très content du discours sur la montagne.


LE COMTE. — Oui ; on prétend que Jésus a dit qu’on brûlera ceux qui appellent leur frère Raca, comme vos théologiens font tous les jours. Il dit qu’il est venu pour accomplir la loi de Moïse, que vous avez en horreur. Il demande avec quoi on salera si le sel s’évanouit. Il dit que bienheureux sont les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. Je sais encore qu’on lui fait dire qu’il faut que le blé pourrisse et meure en terre pour germer ; que le royaume des cieux est un grain de moutarde ; que c’est de l’argent mis à usure ; qu’il ne faut pas donner à dîner à ses parents quand ils sont riches. Peut-être ces expressions avaient-elles un sens respectable dans la langue où l’on dit qu’elles furent prononcées ; j’adopte tout ce qui peut inspirer la vertu : mais ayez la bonté de me dire ce que vous pensez d’un autre passage que voici :

« C’est Dieu qui m’a formé ; Dieu est partout et dans moi : Oserais-je le souiller par des actions criminelles et basses, par des paroles impures, par d’infâmes désirs ?

« Puissé-je, à mes derniers moments, dire à Dieu : Ô mon maître ! ô mon père ! tu as voulu que je souffrisse, j’ai souffert avec résignation ; tu as voulu que je fusse pauvre, j’ai embrassé la pauvreté ; tu m’as mis dans la bassesse, et je n’ai point voulu la grandeur ; tu veux que je meure, je t’adore en mourant. Je sors de ce magnifique spectacle en te rendant grâce de m’y avoir admis pour me faire contempler l’ordre admirable avec lequel tu régis l’univers. »


L’ABBÉ. — Cela est admirable ; dans quel père de l’Église avez-vous trouvé ce morceau divin ? est-ce dans saint Cyprien, dans saint Grégoire de Nazianze, ou dans saint Cyrille ?


LE COMTE. — Non ; ce sont les paroles d’un esclave païen, nommé Épictète ; et l’empereur Marc-Aurèle n’a jamais pensé autrement que cet esclave.


L’ABBÉ. — Je me souviens, en effet, d’avoir lu, dans ma jeunesse, des préceptes de morale dans des auteurs païens, qui me firent une grande impression ; je vous avouerai même que les lois de Zaleucus, de Charondas, les conseils de Confucius, les commandements moraux de Zoroastre, les maximes de Pythagore, me parurent dictées par la sagesse pour le bonheur du genre humain : il me semblait que Dieu avait daigné honorer ces grands hommes d’une lumière plus pure que celle des hommes ordinaires, comme il donna plus d’harmonie à Virgile, plus d’éloquence à Cicéron, et plus de sagacité à Archimède, qu’à leurs contemporains. J’étais frappé de ces grandes leçons de vertu que l’antiquité nous a laissées. Mais enfin tous ces gens-là ne connaissaient pas la théologie ; ils ne savaient pas quelle est la différence entre un chérubin et un séraphin, entre la grâce efficace à laquelle on ne peut résister et la grâce suffisante qui ne suffit pas ; ils ignoraient que Dieu était mort, et qu’ayant été crucifié pour tous, il n’avait pourtant été crucifié que pour quelques-uns. Ah ! monsieur le comte, si les Scipion, les Cicéron, les Caton, les Épictète, les Antonin, avaient su que « le Père a engendré le Fils, et qu’il ne l’a pas fait ; que l’Esprit n’a été ni engendré ni fait, mais qu’il procède par spiration tantôt du Père et tantôt du Fils ; que le Fils a tout ce qui appartient au Père, mais qu’il n’a pas la paternité ; » si, dis-je, les anciens, nos maîtres en tout, avaient pu connaître cent vérités de cette clarté et de cette force ; enfin, s’ils avaient été théologiens, quels avantages n’auraient-ils pas procurés aux hommes ! La consubstantialité surtout, monsieur le comte, la transsubstantiation, sont de si belles choses ! Plût au ciel que Scipion, Cicéron et Marc-Aurèle, eussent approfondi ces vérités ! ils auraient pu être grands-vicaires de monseigneur l’archevêque, ou syndics de la Sorbonne.


LE COMTE. — Çà, dites-moi en conscience, entre nous et devant Dieu, si vous pensez que les âmes de ces grands hommes soient à la broche, éternellement rôties par les diables en attendant qu’elles aient trouvé leur corps qui sera éternellement rôti avec elles ; et cela pour n’avoir pu être syndics de Sorbonne, et grands-vicaires de monseigneur l’archevêque ?


L’ABBÉ. — Vous m’embarrassez beaucoup ; car « hors de l’Église point de salut ».

 

Nul ne doit plaire au ciel que nous et nos amis.


« Quiconque n’écoute pas l’Église, qu’il soit comme un païen ou comme un fermier général. » Scipion et Marc-Aurèle n’ont point écouté l’Église ; ils n’ont point reçu le concile de Trente ; leurs âmes spirituelles seront rôties à jamais ; et quand leurs corps, dispersés dans les quatre éléments, seront retrouvés, ils seront rôtis à jamais aussi avec leurs âmes. Rien n’est plus clair, comme rien n’est plus juste : cela est positif.

D’un autre côté, il est bien dur de brûler éternellement Socrate, Aristide, Pythagore, Épictète, les Antonins, tous ceux dont la vie a été pure et exemplaire, et d’accorder la béatitude éternelle à l’âme et au corps de François Ravaillac, qui mourut en bon chrétien, bien confessé, et muni d’une grâce efficace ou suffisante. Je suis un peu embarrassé dans cette affaire ; car enfin je suis juge de tous les hommes ; leur bonheur ou leur malheur dépend de moi, et j’aurais quelque répugnance à sauver Ravaillac et à damner Scipion.

Il y a une chose qui me console, c’est que nous autres théologiens nous pouvons tirer des enfers qui nous voulons ; nous lisons dans les Actes de sainte Thècle, grande théologienne, disciple de saint Paul, laquelle se déguisa en homme pour le suivre, qu’elle délivra de l’enfer son amie Faconille, qui avait eu le malheur de mourir païenne.

More books from Voltaire

Cover of the book Traité sur la tolérance by Voltaire
Cover of the book Ce qui plaît aux dames by Voltaire
Cover of the book Précis du siècle de Louis XV by Voltaire
Cover of the book VIE DE MOLIÈRE AVEC DE PETITS SOMMAIRES DE SES PIÈCES by Voltaire
Cover of the book Poème sur la Loi naturelle by Voltaire
Cover of the book Jeannot et colin by Voltaire
Cover of the book Traité sur la tolérance by Voltaire
Cover of the book La Henriade by Voltaire
Cover of the book Una aventura india by Voltaire
Cover of the book Micromegas by Voltaire
Cover of the book Les Lois de Minos by Voltaire
Cover of the book La Pucelle d'Orléans by Voltaire
Cover of the book L'abc della filosofia by Voltaire
Cover of the book L'homme aux quarante écus by Voltaire
Cover of the book Novelas y cuentos by Voltaire
We use our own "cookies" and third party cookies to improve services and to see statistical information. By using this website, you agree to our Privacy Policy