Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables

Nonfiction, Religion & Spirituality, New Age, History, Fiction & Literature
Cover of the book Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables by Anatole France, Library of Alexandria
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Author: Anatole France ISBN: 9781465604798
Publisher: Library of Alexandria Publication: March 8, 2015
Imprint: Language: French
Author: Anatole France
ISBN: 9781465604798
Publisher: Library of Alexandria
Publication: March 8, 2015
Imprint:
Language: French

La majesté de la justice réside tout entière dans chaque sentence rendue par le juge au nom du peuple souverain. Jérôme Crainquebille, marchand ambulant, connut combien la loi est auguste, quand il fut traduit en police correctionnelle pour outrage à un agent de la force publique. Ayant pris place, dans la salle magnifique et sombre, sur le banc des accusés, il vit les juges, les greffiers, les avocats en robe, l’huissier portant la chaîne, les gendarmes et, derrière une cloison, les têtes nues des spectateurs silencieux. Et il se vit lui-même assis sur un siège élevé, comme si de paraître devant des magistrats l’accusé lui-même en recevait un funeste honneur. Au fond de la salle, entre les deux assesseurs, M. le président Bourriche siégeait. Les palmes d’officier d’académie étaient attachées sur sa poitrine. Un buste de la République et un Christ en croix surmontaient le prétoire, en sorte que toutes les lois divines et humaines étaient suspendues sur la tête de Crainquebille. Il en conçut une juste terreur. N’ayant point l’esprit philosophique, il ne se demanda pas ce que voulaient dire ce buste et ce crucifix et il ne rechercha pas si Jésus et Marianne, au Palais, s’accordaient ensemble. C’était pourtant matière à réflexion, car enfin la doctrine pontificale et le droit canon sont opposés, sur bien des points, à la Constitution de la République et au Code civil. Les Décrétales n’ont point été abolies, qu’on sache. L’Église du Christ enseigne comme autrefois que seuls sont légitimes les pouvoirs auxquels elle a donné l’investiture. Or, la République française prétend encore ne pas relever de la puissance pontificale. Crainquebille pouvait dire avec quelque raison: “Messieurs les juges, le président Loubet n’étant pas oint, ce Christ, pendu sur vos têtes, vous récuse par l’organe des conciles et des papes. Ou il est ici pour vous rappeler les droits de l’Église, qui infirment les vôtres, ou sa présence n’a aucune signification raisonnable.” A quoi le président Bourriche aurait peut-être répondu: “Inculpé Crainquebille, les rois de France ont toujours été brouillés avec le pape. Guillaume de Nogaret fut excommunié et ne se démit pas de ses charges pour si peu. Le Christ du prétoire n’est pas le Christ de Grégoire VII et de Boniface VIII. C’est, si vous voulez, le Christ de l’Évangile, qui ne savait pas un mot de droit canon et n’avait jamais entendu parler des sacrées Décrétales.” Alors il était loisible à Crainquebille de répondre: “Le Christ de l’Évangile était un bousingot. De plus, il subit une condamnation que, depuis dix-neuf cents ans, tous les peuples chrétiens considèrent comme une grave erreur judiciaire. Je vous défie bien, monsieur le président, de me condamner, en son nom, seulement à quarante-huit heures de prison.”

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La majesté de la justice réside tout entière dans chaque sentence rendue par le juge au nom du peuple souverain. Jérôme Crainquebille, marchand ambulant, connut combien la loi est auguste, quand il fut traduit en police correctionnelle pour outrage à un agent de la force publique. Ayant pris place, dans la salle magnifique et sombre, sur le banc des accusés, il vit les juges, les greffiers, les avocats en robe, l’huissier portant la chaîne, les gendarmes et, derrière une cloison, les têtes nues des spectateurs silencieux. Et il se vit lui-même assis sur un siège élevé, comme si de paraître devant des magistrats l’accusé lui-même en recevait un funeste honneur. Au fond de la salle, entre les deux assesseurs, M. le président Bourriche siégeait. Les palmes d’officier d’académie étaient attachées sur sa poitrine. Un buste de la République et un Christ en croix surmontaient le prétoire, en sorte que toutes les lois divines et humaines étaient suspendues sur la tête de Crainquebille. Il en conçut une juste terreur. N’ayant point l’esprit philosophique, il ne se demanda pas ce que voulaient dire ce buste et ce crucifix et il ne rechercha pas si Jésus et Marianne, au Palais, s’accordaient ensemble. C’était pourtant matière à réflexion, car enfin la doctrine pontificale et le droit canon sont opposés, sur bien des points, à la Constitution de la République et au Code civil. Les Décrétales n’ont point été abolies, qu’on sache. L’Église du Christ enseigne comme autrefois que seuls sont légitimes les pouvoirs auxquels elle a donné l’investiture. Or, la République française prétend encore ne pas relever de la puissance pontificale. Crainquebille pouvait dire avec quelque raison: “Messieurs les juges, le président Loubet n’étant pas oint, ce Christ, pendu sur vos têtes, vous récuse par l’organe des conciles et des papes. Ou il est ici pour vous rappeler les droits de l’Église, qui infirment les vôtres, ou sa présence n’a aucune signification raisonnable.” A quoi le président Bourriche aurait peut-être répondu: “Inculpé Crainquebille, les rois de France ont toujours été brouillés avec le pape. Guillaume de Nogaret fut excommunié et ne se démit pas de ses charges pour si peu. Le Christ du prétoire n’est pas le Christ de Grégoire VII et de Boniface VIII. C’est, si vous voulez, le Christ de l’Évangile, qui ne savait pas un mot de droit canon et n’avait jamais entendu parler des sacrées Décrétales.” Alors il était loisible à Crainquebille de répondre: “Le Christ de l’Évangile était un bousingot. De plus, il subit une condamnation que, depuis dix-neuf cents ans, tous les peuples chrétiens considèrent comme une grave erreur judiciaire. Je vous défie bien, monsieur le président, de me condamner, en son nom, seulement à quarante-huit heures de prison.”

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