Author: | Charles Asselineau | ISBN: | 1230002369839 |
Publisher: | Paris : A. Lemerre, 1869 | Publication: | June 10, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Charles Asselineau |
ISBN: | 1230002369839 |
Publisher: | Paris : A. Lemerre, 1869 |
Publication: | June 10, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
L’HOMME ET L’ŒUVRE
A vie de Baudelaire méritait d’être écrite, parce qu’elle est le commentaire & le complément de son œuvre.
Il n’était pas de ces écrivains assidus & réguliers dont toute la vie se passe devant leur pupitre, & desquels, le livre fermé, il n’y a plus rien à dire.
Son œuvre, on l’a dit souvent, est bien lui-même ; mais il n’y est pas tout entier.
Derrière l’œuvre écrite & publiée il y a toute une œuvre parlée, agie, vécue, qu’il importe de connaître, parce qu’elle explique l’autre & en contient, comme il l’eût dit lui-même, la genèse.
Au rebours du commun des hommes qui travaillent avant de vivre & pour qui l’action est la récréation après le travail, Baudelaire vivait d’abord. Curieux, contemplateur, analyseur, il promenait sa pensée de spectacle en spectacle & de causerie en causerie. Il la nourrissait des objets extérieurs, l’éprouvait par la contradiction ; & l’œuvre était ainsi le résumé de la vie, ou plutôt en était la fleur.
Son procédé était la concentration ; ce qui explique l’intensité d’effet qu’il obtenait dans des proportions restreintes, dans une demi-page de prose, ou dans un sonnet. Ainsi s’explique encore son goût passionné des méthodes de composition, son amour du plan & de la construction dans les ouvrages de l’esprit, son étude constante des combinaisons & des procédés. Il y avait en lui quelque chose de la curiosité naïve de l’enfant qui caste ses joujoux pour voir comment ils font faits. Il se délectait à la lecture de l’article où Edgar Poë, son héros, son maître envié & chéri, expose impudemment, avec le sang-froid du prestidigitateur démontrant ses tours, comment, par quels moyens précis, positifs, mathématiques, il est parvenu à produire un effet d’épouvante & de délire dans son poëme du Corbeau. Baudelaire n’était certainement pas dupe du charlatanisme de cette genèse à posteriori ; il approuvait même & l’admirait comme un bon piége tendu à la badauderie bourgeoise. Mais en pareil cas, lui, j’en suis sûr, il eût été de bonne foi. C’est très-sérieusement qu’il croyait aux miracles préparés, à la possibilité d’éveiller chez le lecteur, de propos délibéré & avec certitude, telle ou telle sensation. Cette conviction chez lui n’était qu’un corollaire de l’axiome célèbre de Théophile Gautier : « Un écrivain qu’une idée quelconque, tombant du ciel comme un aérolithe, trouve à court de termes pour l’exprimer, n’est pas un écrivain véritable. Baudelaire eût dit volontiers : « Tout poëte qui ne fait pas être à volonté brillant, sublime, ou terrible, ou grotesque, ne mérite pas le nom de poëte. » Il s’est vanté plus d’une fois de tenir école de poésie & de rendre en vingt leçons le premier venu capable de faire convenablement des vers épiques ou lyriques. Il prétendait d’ailleurs qu’il existe des méthodes pour devenir original, & que le génie est affaire d’apprentissage.
L’HOMME ET L’ŒUVRE
A vie de Baudelaire méritait d’être écrite, parce qu’elle est le commentaire & le complément de son œuvre.
Il n’était pas de ces écrivains assidus & réguliers dont toute la vie se passe devant leur pupitre, & desquels, le livre fermé, il n’y a plus rien à dire.
Son œuvre, on l’a dit souvent, est bien lui-même ; mais il n’y est pas tout entier.
Derrière l’œuvre écrite & publiée il y a toute une œuvre parlée, agie, vécue, qu’il importe de connaître, parce qu’elle explique l’autre & en contient, comme il l’eût dit lui-même, la genèse.
Au rebours du commun des hommes qui travaillent avant de vivre & pour qui l’action est la récréation après le travail, Baudelaire vivait d’abord. Curieux, contemplateur, analyseur, il promenait sa pensée de spectacle en spectacle & de causerie en causerie. Il la nourrissait des objets extérieurs, l’éprouvait par la contradiction ; & l’œuvre était ainsi le résumé de la vie, ou plutôt en était la fleur.
Son procédé était la concentration ; ce qui explique l’intensité d’effet qu’il obtenait dans des proportions restreintes, dans une demi-page de prose, ou dans un sonnet. Ainsi s’explique encore son goût passionné des méthodes de composition, son amour du plan & de la construction dans les ouvrages de l’esprit, son étude constante des combinaisons & des procédés. Il y avait en lui quelque chose de la curiosité naïve de l’enfant qui caste ses joujoux pour voir comment ils font faits. Il se délectait à la lecture de l’article où Edgar Poë, son héros, son maître envié & chéri, expose impudemment, avec le sang-froid du prestidigitateur démontrant ses tours, comment, par quels moyens précis, positifs, mathématiques, il est parvenu à produire un effet d’épouvante & de délire dans son poëme du Corbeau. Baudelaire n’était certainement pas dupe du charlatanisme de cette genèse à posteriori ; il approuvait même & l’admirait comme un bon piége tendu à la badauderie bourgeoise. Mais en pareil cas, lui, j’en suis sûr, il eût été de bonne foi. C’est très-sérieusement qu’il croyait aux miracles préparés, à la possibilité d’éveiller chez le lecteur, de propos délibéré & avec certitude, telle ou telle sensation. Cette conviction chez lui n’était qu’un corollaire de l’axiome célèbre de Théophile Gautier : « Un écrivain qu’une idée quelconque, tombant du ciel comme un aérolithe, trouve à court de termes pour l’exprimer, n’est pas un écrivain véritable. Baudelaire eût dit volontiers : « Tout poëte qui ne fait pas être à volonté brillant, sublime, ou terrible, ou grotesque, ne mérite pas le nom de poëte. » Il s’est vanté plus d’une fois de tenir école de poésie & de rendre en vingt leçons le premier venu capable de faire convenablement des vers épiques ou lyriques. Il prétendait d’ailleurs qu’il existe des méthodes pour devenir original, & que le génie est affaire d’apprentissage.