A cette époque archi-philosophique, disait un misanthrope du dernier siècle, un auteur ne rougit pas de se brûler, dans sa préface, tout l'encens dont le public seul est comptable.—Certains écrivains, nous devons l'avouer, se sont un peu trop montrés les ridicules thuriféraires de leurs œuvres personnelles; mais il faut ajouter, pour être juste, que, lorsqu'on plaide pro domo suâ, il est difficile, par modestie, de ne pas faire parade d'une certaine dose de vanité. Une préface est à un ouvrage, non-seulement ce que l'affiche est à une comédie, c'est aussi le plastron, le rempart, le Palladium du livre; c'est par elle, le plus souvent, que sont parés les terribles coups de boutoir de la Critique, c'est derrière elle que l'Auteur se réfugie, après y avoir déposé comme sauvegarde, ses propres aveux, ses craintes, ses pudeurs, ses délicatesses; après s'y être laissé voir sous le jour le plus propice, dans un laisser-aller bon enfant ou dans la joie orgueilleuse de l'œuvre accomplie.—Lorsqu'un lecteur tient son ouvrage, et qu'armé de toute sa sévérité, il se prépare à entamer le premier chapitre, le pauvre Auteur, tremblant, presque défaillant dans la pensée d'être ainsi pris au dépourvu, n'a-t-il pas le droit de lui crier: «Un instant... de grâce, écoutez-moi! Deux mots, rien que deux simples mots, je vous en prie! et je me livre à vous!»—La préface, c'est le salut au lecteur, et trop souvent, hélas! ce terrible salut des Gladiateurs à Cæsar, le: Morituri te salutant. Il existe, en Littérature comme en Art, deux façons de procréer bien distinctes: l'une, lente et réfléchie, réclame le travail et impose quelquefois la paresse, cette bonne couveuse, comme la nommait Montaigne; l'autre, fantaisiste, toute de prime-saut, jaillit subitement de l'inspiration ou de l'éréthisme des sensations éprouvées.—La première méthode donne pour résultat des œuvres mûries, soignées, polies, coordonnées et bien léchées: celles-ci sont filles légitimes de l'étude et de l'application; la seconde manière produit des opuscules, souvent vifs et colorés, quelquefois ingénieux, hardis, ayant le débraillé, la belle humeur des enfants de Bohême: ceux-là sont bâtards du caprice, du paradoxe ou de la frivolité.
A cette époque archi-philosophique, disait un misanthrope du dernier siècle, un auteur ne rougit pas de se brûler, dans sa préface, tout l'encens dont le public seul est comptable.—Certains écrivains, nous devons l'avouer, se sont un peu trop montrés les ridicules thuriféraires de leurs œuvres personnelles; mais il faut ajouter, pour être juste, que, lorsqu'on plaide pro domo suâ, il est difficile, par modestie, de ne pas faire parade d'une certaine dose de vanité. Une préface est à un ouvrage, non-seulement ce que l'affiche est à une comédie, c'est aussi le plastron, le rempart, le Palladium du livre; c'est par elle, le plus souvent, que sont parés les terribles coups de boutoir de la Critique, c'est derrière elle que l'Auteur se réfugie, après y avoir déposé comme sauvegarde, ses propres aveux, ses craintes, ses pudeurs, ses délicatesses; après s'y être laissé voir sous le jour le plus propice, dans un laisser-aller bon enfant ou dans la joie orgueilleuse de l'œuvre accomplie.—Lorsqu'un lecteur tient son ouvrage, et qu'armé de toute sa sévérité, il se prépare à entamer le premier chapitre, le pauvre Auteur, tremblant, presque défaillant dans la pensée d'être ainsi pris au dépourvu, n'a-t-il pas le droit de lui crier: «Un instant... de grâce, écoutez-moi! Deux mots, rien que deux simples mots, je vous en prie! et je me livre à vous!»—La préface, c'est le salut au lecteur, et trop souvent, hélas! ce terrible salut des Gladiateurs à Cæsar, le: Morituri te salutant. Il existe, en Littérature comme en Art, deux façons de procréer bien distinctes: l'une, lente et réfléchie, réclame le travail et impose quelquefois la paresse, cette bonne couveuse, comme la nommait Montaigne; l'autre, fantaisiste, toute de prime-saut, jaillit subitement de l'inspiration ou de l'éréthisme des sensations éprouvées.—La première méthode donne pour résultat des œuvres mûries, soignées, polies, coordonnées et bien léchées: celles-ci sont filles légitimes de l'étude et de l'application; la seconde manière produit des opuscules, souvent vifs et colorés, quelquefois ingénieux, hardis, ayant le débraillé, la belle humeur des enfants de Bohême: ceux-là sont bâtards du caprice, du paradoxe ou de la frivolité.